Les sols agricoles davantage pollués par les plastiques que les océans

Selon une expertise scientifique collective INRAE-CNRS, la pollution est généralisée à tous les types de sols, constituant une menace pour la santé humaine, les écosystèmes et la production alimentaire, sans autre issue que de réduire les usages, malgré le recyclage et les plastiques biodégradables, qui s’avèrent être une fausse bonne solution.

« La contamination totale des sols par les microplastiques est vraisemblablement supérieure à la totalité de celle des océans. Les sources incluent les dispositifs plastiques agricoles comme le paillage, l’épandage de compost et de lisier, l’irrigation et les dépôts atmosphériques sans pouvoir quantifier, en l’état actuel des connaissances, la part exacte de chacune de ces contributions ». C’est l’un des enseignements d’une expertise scientifique collective INRAE-CNRS publiée le 23 mai. Elle confirme une étude de l’Ademe, publiée en 2024, révélant la présence « quasi systématique » de microplastiques dans les sols.

Pollution généralisée des écosystèmes

En France en 2023, 20% des plastiques consommés seraient destinés aux secteurs agricole et alimentaire, dont 91 % servent à l’emballage des aliments et de boissons et 9 % à l'agriculture. Parmi les plastiques agricoles, 73% sont utilisés dans les systèmes d'élevage. Davantage que les océans, les sols agricoles sont donc le réceptacle des microplastiques. Mais également les animaux et les humains ne sont pas épargnés. « Tous les organismes vivants sont contaminés par les microplastiques, y compris les humains », affirment les chercheurs. Chez les animaux et les humains, les microplastiques sont retrouvés dans la plupart des organes, comme les poumons, le système digestif, le placenta chez l’humain, et les fluides dont le lait maternel. Encore peu étudiés, les nanoplastiques peuvent pénétrer dans les cellules.

Des effets délétères sur la santé

Selon les études précliniques, les micro et nanoplastiques induisent des pathologies du système reproducteur, des inflammations (côlon) et des fibroses (foie, rein, poumon, cœur). Ces dernières ont également permis d’établir des seuils de toxicité dès 20 µg/kg de masse corporelle et par jour pour plusieurs pathologies et organes cibles, et des effets neurologiques dès 6,5 ng/kg de masse corporelle et par jour. Ils impactent également la qualité de la production des animaux d’élevage (croissance, production de lait). De plus, en favorisant l’adsorption de nombreuses substances, les microplastiques agissent comme un « cheval de Troie » et véhiculent des contaminants toxiques comme des métaux ou des polluants chimiques.

La photosynthèse et la production alimentaire affectées

Outre un impact direct sur la santé, les microplastiques sont porteurs d’une menace secondaire pour l’espèce humaine, comme le révélait une autre étude publiée en février dernier dans la revue PNAS, et selon laquelle les microplastiques présents dans les écosystèmes réduisent la photosynthèse chez les plantes et les algues, respectivement de 7% et 12%, du fait d’une baisse du contenu en chlorophylle. Les productions de riz, de blé ou encore de maïs, seraient les principales affectées, avec une réduction de leur production comprise entre 4% et 14%, menaçant la sécurité alimentaire.

Les limites du recyclage et des plastiques biosourcés

Si la majorité des plastiques sont recyclables, peu le sont dans les faits, selon l’expertise INRAE-CNRS. En France, un tiers est mis en décharge, un tiers incinéré et un tiers recyclé. Pourquoi si peu de recyclage ? Selon les experts, le recyclage nécessite l’ajout d’additifs voire de nouveaux plastiques pour maintenir des propriétés fonctionnelles et est susceptible de véhiculer des contaminants. « La complexité des plastiques rend le recyclage difficile et aucune technologie actuelle ne permet leur réutilisation complète ».

Les plastiques biosourcés n’échappent pas à l’inclusion d’additifs, voire de polymères pétrosourcés, ce qui complique leur traitement. Quant à leur biodégradabilité, elle est toute relative. « Les plastiques biodégradables restent faiblement biodégradés en conditions réelles (sols, compost domestique) et ne se décomposent que dans des conditions très spécifiques, voire uniquement en milieu industriel contrôlé », indique l’étude.

Vers des stratégies « réalistes » de réduction

Entre les limites technologiques du recyclage, une « action plus curative que préventive », et qui donne à penser que « consommer du plastique reste acceptable », et de l’autre, la très grande « plasticité » des plastiques utilisés pour protéger, préserver, transporter et promouvoir par le design et l’étiquetage les produits alimentaires, répondant à la fois aux contraintes réglementaires et aux besoins des acteurs économiques de la chaîne d’approvisionnement (légèreté, robustesse, faible coût, etc.), la réduction des usages et des impacts des plastiques est un véritable défi. Les stratégies de réduction mentionnent l'éducation à l’environnement, le contrôle de la pratique du lobbying et des politiques de régulation qui sont en vigueur, comme la directive sur les plastiques à usage unique ou la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire, et en devenir, comme les négociations sur un traité mondial pour lutter contre les pollutions plastiques. « Un axe de recherche scientifique important sera désormais de documenter précisément les usages réputés essentiels des plastiques tout au long de la chaîne de valeur, pour identifier des scénarios réalistes de réduction de leur production et de leur consommation », conclut l’expertise scientifique.