NTG/NBT : les trois prérequis de l’Anses

L’agence sanitaire préconise une évaluation des risques sanitaires au cas par cas, doublée d’un plan de surveillance post-AMM, au plan environnemental mais aussi socio-économique, compte tenu des risques d’abus de position dominante ou des effets pénalisants sur les filières non-NTG, le tout dans un cadre transparent et démocratique impliquant l’ensemble des parties prenantes.

A la demande de la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) et de la Direction générale de l’alimentation (DGAl), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) a procédé à une expertise sur les risques et enjeux socio-économiques liés aux Nouvelles techniques génomiques (NTG, NGT ou NBT en anglais). Publiée le 6 mars, l’expertise s’est concentrée sur la technique de sélection prédominante, à savoir la mutagène ciblée faisant appel à la technologie CRISPR-Cas qui permet de modifier de façon précise et ciblée une séquence génétique, ce qui distingue les NTG des OGM obtenus par transgenèse. A ceci près que ces « ciseaux génétiques » peuvent entraîner des « effets hors cible non désirés » et souvent non évalués, mais également de « transférer » ces gènes édités chez des plantes sauvages, décrypte l’Anses

Une évaluation des risques au cas par cas

Selon l’Anses, la mise en œuvre de la mutagenèse présente dans certains cas des risques assimilables à ceux connus et déjà générés par les OGM, tout en étant susceptible d’en générer de nouveaux, liés à l’obtention de génotypes ne pouvant pas être obtenus à l’aide d’autres techniques de sélection. « La modification d’espèces jusqu’à présent non concernées par la transgenèse pourrait entrainer des risques nouveaux pour l’environnement, en favorisant la dissémination des gènes ou des plantes modifiées, et en modifiant les interactions entre les animaux et ces plantes », relève l’agence qui considère « possible » un changement de la toxicité, de l’allergénicité ou des caractéristiques nutritionnelles de la plante, en cas de modification de la composition des plantes, souhaitée ou inattendue.

En termes de risques, l’agence pointe un second cas de figure, lié à « la grande diversité́ des espèces et caractères pouvant potentiellement être modifiés » au moyen de CRISPR-Cas ou encore à « la potentielle surexposition qui serait liée à l’importante augmentation des surfaces de culture de variétés présentant un même caractère modifié ». L’étude pointe enfin un « niveau de risque moins préoccupant et pouvant justifier d’une évaluation simplifiée des risques » lorsque l’innocuité de la plante est déjà démontrée, ce qui peut être le cas quand le système CRISPR-Cas est utilisé pour reproduire des mutations connues, soit parce qu’elles ont déjà été obtenues par d’autres systèmes, soit parce qu’elles visent à répliquer un allèle connu dans une autre variété ou dans une espèce proche.

Face à ces trois cas de figure révélateurs d’une diversité des situations, l’Anses préconise une évaluation des risques associés aux plantes issues de mutagenèse dirigée obtenues au moyen du système CRISPR-Cas « au cas par cas ». « Cette évaluation devra prendre en compte l’objet et les conséquences de la modification génétique sur les caractéristiques agronomiques, phénotypiques et de composition de la plante génétiquement modifiée, ainsi que des évaluations sur les plans immunologique, toxicologique et nutritionnel ».

Un plan de surveillance post-AMM

Au-delà des risques sanitaires et environnementaux, l’expertise collective s’est penchée sur les enjeux socio-économiques liés au développement des plantes NTG. Et de citer la multiplication des brevets sur le végétal qui pourrait ainsi impacter « fortement et négativement » la capacité à innover des petites et moyennes entreprises du secteur de la création variétale, les effets potentiels sur la concentration du secteur de la sélection végétale et le risque d’éventuels abus de position dominante ou encore les effets pénalisants sur les filières non-NTG, c’est à dire conventionnelles et biologiques. « Un renforcement de la traçabilité documentaire, déjà en place dans les filières avec labels, et se traduirait très certainement par une augmentation des coûts de suivi des produits pour les filières mais aussi les autorités de contrôle, d’autant plus en l’absence de méthodes analytiques de détection normalisées, pointe l’étude. L’étiquetage des semences, mentionnant la technologie utilisée, serait un requis indispensable à la traçabilité ».

L’Anses relève qu’à la différence des plantes issues de transgenèse, les variétés issues de mutagenèse dirigée sont dans certains cas difficiles à distinguer, sur la base des méthodes analytiques de détection actuelles, des variétés issues de techniques conventionnelles de sélection. « Cette caractéristique soulève des questions en matière de traçabilité, d’étiquetage et de contrôle des plantes et produits qui sont issus des NTG ».

L’expertise collective préconise ainsi la mise en place d’un plan de surveillance post-AMM (Autorisation de mise sur le marché), chargé d’évaluer les impacts sanitaires, environnementaux et socio-économiques liés aux plantes issues de NTG autorisés.

Pour une mise en débat « ouverte et éclairée »

Outre l’analyse des impacts sanitaires, environnementaux et socio-économiques inhérents aux NTG, l’Anses s’est également livrée à une analyse des controverses entourant les nouvelles techniques génomiques, identifiant « plusieurs points de tension » un « nouveau nœud », à savoir celui de l’existence, ou non, d’une frontière entre les technologies OGM et NTG, et celle des indicateurs utilisés pour tracer cette frontière et déterminer une éventuelle « équivalence » entre les produits conventionnels et les produits issus de mutagenèse dirigée. « D’un côté, le choix, aujourd’hui, de ne pas recourir à la technologie de mutagenèse dirigée peut être vu comme limitant les capacités d’action en cas de difficulté à répondre, dans le futur, aux enjeux climatiques et environnementaux par le seul biais d’un changement des pratiques agricoles et des manières de produire, pose l’expertise collective. D’un autre côté, recourir à la technologie de mutagenèse dirigée peut être vu comme s’opposant à la nécessaire évolution du système agricole et alimentaire actuel vers un modèle agroécologique plus durable ».

Ainsi, l’Anses appelle à une « nécessaire mise en débat la plus ouverte et la plus éclairée possible », engageant « l’ensemble des parties prenantes dans un cadre transparent et démocratique », compte tenu du fait que les enjeux inhérents aux décisions de développement et d’encadrement des NTG sont « des choix de société »́ qui ne peuvent pas uniquement s’appuyer sur des arguments scientifiques et socio- économiques  mais qui devraient faire l'objet d'une « gouvernance structurée et démocratique ».

En outre, l’Anses plaide pour une intervention de la recherche publique, afin de garantir « les capacités de développement d’innovations dans une perspective de plus grande durabilité du système agricole et alimentaire européen », pointant en creux le risque que le marché privilégie les innovations générant « des gains de productivité » et/ou « une croissance de la demande ».