Retard d'exportation de blé européen : et si l'Argentine s'accaparait nos marchés africains ?

Pour ce premier rendez-vous "La météo des marchés" de l'année 2025, Edouard Lasserre, expert en matières premières chez Caceis, groupe Crédit Agricole SA, analyse trois chiffres qui ont fait l'actualité des grains. Les sujets abordés seront le prix du blé et la possible concurrence argentine, la mauvaise qualité du maïs français et la future tension sur le marché des huiles avec l'intégration du B40 par l'Indonésie.

94 000 

La position des fonds sur le blé Euronext a été relevée à - 94 000 le 3 janvier. Les fonds ont nettement réduit leur exposition short pendant le mois de décembre dernier d'environ 60.000 contrats. C'est ce revirement de stratégie de la part des fonds qui justifie certainement la hausse du contrat blé sur mars 2025, fin décembre dernier, l'amenant sur d'anciennes résistances autour des 239 euros.

Il serait intéressant maintenant de comprendre et de connaître les éléments qui ont motivé les fonds à réduire cette exposition vendeuse sur le contrat blé Euronext.
On peut déjà en relever deux : le 1er point est certainement en provenance de la Russie, où début décembre dernier, les analystes russes ont estimé que l'état des surfaces semées de blé était en mauvais état, à hauteur de 39 %. C’est la plus mauvaise situation jamais relevée en Russie à cette période de l'année. L'autre élément, c'est la baisse de la parité euro/dollar qu'on relève depuis septembre dernier, avec une accélération qui s'est affichée début novembre, suite à la victoire de Donald Trump aux élections américaines. Cette baisse de la parité euro/dollar a donc permis aux origines européennes de gagner en compétitivité dans l'hémisphère sud.

L'Australie vient de terminer sa récolte et affiche un potentiel de production en hausse de 20 % par rapport à l'année dernière à 32 millions de tonnes. En Argentine, la récolte qui s'approche de la fin affiche de bonnes perspectives, avec un potentiel de production annoncé par l'USDA la semaine dernière, à 17,5 millions de tonnes. C’est 1 million de tonne de plus que l'année dernière ! Si l'Argentine ne rencontre pas une demande importante à l'exportation en ce début d'année, les origines argentines pourraient être présentes sur la scène internationale jusqu'à fin juin, et de ce fait devenir un concurrent direct pour les origines européennes à l’export, comme l'Afrique du Nord ou l'Afrique de l'Ouest. Il est important de noter que l'Europe accuse encore un retard sur ses exportations de blé. Début janvier, les chiffres des douanes relevaient un retard de 34 % de ces exportations par rapport à l'année dernière. 

39,12 millions de tonnes

C'est la dernière estimation affichée par l'USDA sur les stocks de report de maïs aux États-Unis. La reprise des exportations, la hausse de la consommation, à destination de l'éthanol et la baisse d'amendement sont les 3 éléments qui justifient cette réduction. Aux Etats-Unis, le contrat corn qui naviguait sous la barre de 4,40 $ depuis septembre 2024, vient maintenant se loger au-dessus de cette résistance de 4,50 $.  

En France, la récolte de maïs est maintenant terminée, et c'est malheureusement un mauvais cru qui s'affiche pour cette année, avec des problèmes de qualité et notamment des teneurs en mycotoxines relevées sur l'ensemble des territoires. Depuis mi-novembre, on constate une pression vendeuse de la part des collecteurs à destination de certains consommateurs plus tolérants vis-à-vis de ces problèmes de qualité, comme certains fabricants d'aliments du bétail. Se pose également la question, et l'on observera ça sur les prochaines semaines pour les collecteurs, s'il faut profiter de la livraison Euronext pour vendre une partie de cette récolte de maïs. 

550 euros

C'est la barre sous laquelle est logée le contrat colza février 2025 depuis début décembre. Le trend haussier sur la gamme de colza a marqué le pas fin d'année dernière. La récente hausse du baril de brut l'année dernière, suite à des rumeurs de possibles de la mise en place de nouvelles sanctions vers les exportations de pétrole russe et à destination de l'Inde, pourraient changer cette tendance, avec une possibilité de voir la graine de colza retester cette résistance avec la hausse du complexe énergie qui donne une bouffée d'air supplémentaire aux triturateurs européens. Les disponibilités de la graine de colza en Europe restent toujours compliquées. En novembre dernier, on relevait que les stocks en dépôt chez les collecteurs en France étaient en baisse de 44 % par rapport à l'année dernière qui correspond à un volume disponible pour la trituration d'ici la fin de campagne, à environ 5 400 tonnes. A cela s'ajoute à cette tension sur la graine de colza un dernier élément : la mise en place depuis le début de cette année du programme d'incorporation B40 par le gouvernement indonésien. Ce problème d'incorporation pourra sur les jours, voire semaines, voire les mois à venir amener une certaine tension sur le complexe huile au niveau mondial.