UE-Mercosur : ce qu’il y a dans la balance agricole

Le projet d’accord de libre-échange dessert largement les filières agricoles européenne et singulièrement française, à la compétitivité plombée par les distorsions de concurrence liées aux normes sanitaires, environnementales et sociales, avec néanmoins quelques contreparties au profit de produits laitiers et de boissons alcoolisées, mais plus substantiellement de produits manufacturés et de services.

Après leur lancement il y a exactement 25 ans, les négociations entre l’UE et les pays du Mercosur (Argentine, Bolivie, Brésil, Paraguay, Uruguay) pour supprimer les droits de douane sur 95% des biens entrants et 91% des biens sortants, pourraient se conclure lord du G20 à Rio de Janeiro (Brésil) les 18 et 19 novembre, sinon au sommet du Mercosur à Montevideo (Uruguay) les 6-8 décembre. Problème : la libéralisation des échanges serait largement défavorable aux filières agricoles européenne et française, aux prises à la concurrence de produits moins-disants et moins chers.

Depuis un certain temps, par la voix du président de la République et tout dernièrement de la nouvelle ministre de l’Agriculture Annie Genevard ou encore de 622 parlementaires en appelant à la présidente de la Commission européenne, sans oublier le Premier ministre ce mercredi à Ursula von der Leyen en personne.

La France s’oppose à la signature de l’accord « en l’état », en posant trois conditions : ne pas augmenter la déforestation importée dans l’UE, mettre l’accord en conformité avec l’accord de Paris sur le climat, instaurer des mesures miroirs en matière sanitaire et environnementale.

Viande bovine : notre modèle allaitant face aux feedlots, aux activateurs de croissance et au soja déforestant

Les pays du Mercosur sont les premiers fournisseurs de l’UE en aloyaux avec des exportations oscillant entre 100.000 et 120.000 tonnes équivalent carcasses (tec) sur un marché européen estimé à une production annuelle de seulement 400.000 tec d’aloyaux pour le cheptel allaitant. Le contingent supplémentaire de 99.000 tec à droits de douane réduits ou nuls viendra donc doubler les volumes d’aloyaux issus des pays du Mercosur, perturbant d’autant le marché. Interbev rappelle que l’élevage des pays du Mercosur se caractérise par des animaux élevés en feedlots alimentés avec du soja déforestant et traités avec des antibiotiques activateurs de croissance interdits dans l’UE depuis 2006, et sans aucune traçabilité. Publié en octobre dernier, un audit de la Direction générale de la Santé (UE) a révélé les manquements du Brésil à retracer l'utilisation d'hormones chez son bétail exportations vers l’UE, notamment l’estradiol 17β, une hormone de croissance largement utilisée mais interdite au sein de  l'UE depuis plus de 40 ans en raison de ses risques potentiels de cancer.

Viande de volaille : un puissant activateur de décroissance pour la France et l’UE

Les pays du Mercosur sont les premiers fournisseurs de l’UE en viande de poulet, avec près de 300.000 tonnes (presque exclusivement du Brésil) sur un total de 800.000 tonnes en 2023. Ils représentent près 35 % de la viande de poulet importée par l’UE. Le contingent supplémentaire dans le cadre de l’accord Mercosur est de 180.000 tonnes de viande de poulet à droit de douane réduit ou nul. Selon l’Anvol, les productions du Mercosur intègrent l’usage d’antibiotiques activateurs de croissance interdits dans l’UE depuis 2006 tandis que les règlementations salmonelles ne sont pas aussi drastiques qu’en Europe. Les opérateurs brésiliens ont un coût de production du poulet sortie abattoir 25% inférieur à la moyenne européenne, ce différentiel s’établissant à 30% avec la France.

Viande porcine : quand les normes européennes s’imposent

L’UE a accordé un quota de 25.000 tonnes d’importations de viande, dont la mise en place est étalée sur 6 ans (soit 4 000 tonnes additionnelles par an) avec un droit de douane de 83 €/t (contre actuellement entre 129 €/T et 3034 €/T selon les types de pièces ou de produits). Le risque pour le marché porcin européen est faible à court terme car l’Europe est exportatrice nette. Les importations en provenance du Mercosur sont faibles car contraintes par les normes sanitaires européennes qui interdisent l’usage de ractopamine ainsi que de certaines molécules médicamenteuses et protéines d’origine animale dans les rations alimentaires, ce que la plupart des opérateurs du Mercosur ne peuvent pas garantir.

Sucre : 1/8ème de la sole et une sucrerie française dans la balance

Les contingents supplémentaires envisagés dans le cadre de l’accord Mercosur représentent 190.000 tonnes de sucre à droit nul et 8,2 millions d’hl d’éthanol à droit réduit ou nul. Pour le sucre, les nouvelles concessions accordées seront importées dans les bassins déficitaires d’Europe du Sud (Espagne, Portugal, Italie …), pays où le tiers du sucre consommé est français. Avec le Mercosur, ce débouché pour le sucre français sera diminué de 190.000 tonnes, soit l’équivalent de la production d’une usine française. Pour l’éthanol, la concession de 8,2 Mhl représente environ 15% de la production communautaire, soit l’équivalent de la production française d’alcool à partir de ses betteraves. Ces deux concessions cumulées accordées par l’UE représentent la production de 50.000 ha, soit 1/8ème des surfaces françaises de betteraves. Selon l’AIBS (Association interprofessionnelle de la betterave et du sucre), pour sa production de canne à sucre, le Brésil dispose d’au moins 40 substances actives interdites dans l’UE (au moins 20 herbicides, 13 insecticides et 7 fongicides). En outre il n’existe aucune traçabilité relative au sucre produit à partir de canne à sucre OGM au Brésil.

Céréales et produits céréaliers : des effets en cascade

L’UE importe 25% de ses besoins en maïs grain et notamment du Brésil à hauteur de 6 à 7 millions de tonnes. L’accord prévoit un contingent supplémentaire d’un million de tonnes tandis que le contingent supplémentaire de viande de volaille constituera autant de débouché en moins pour les céréales européennes. En outre, l’accord prévoit l’ouverture totale sur les produits de mouture de maïs (farines, semoules, flocons…), la diminution des droits sur l’amidon de maïs et la fécule de manioc (1500 tonnes à droits divisés par deux), l’ouverture à droit nul sans limitation de volume des glutens de blé et de maïs, actuellement protégés en Europe  et la création d’un nouveau contingent de 600 tonnes à droits nuls pour les polyols, alors que la France est le 1er producteur européen, avec les trois-quarts de sa production. Selon Intercéréales, 77,5% des produits phytosanitaires utilisés au Brésil pour la culture du maïs sont interdits en France, dont l’atrazine, bannie depuis plus de 15 ans. Les normes des sites de stockage et de transformation sur les rejets, sur la pollution de l’air, de l’eau ainsi que les réglementations sociales sont mieux-disantes au sein de l’UE que dans les pays membres du Mercosur

Au Brésil, où plus de 95% du maïs est OGM, les coûts de production sont deux fois moins élevaes qu’en France. Dans une lettre ouverte datée du 6 novembre adressée à la présidente de la Commission européenne, 622 parlementaire français affirment que « la quantité de pesticides épandue est de 6 kilos par hectare (kg/ha) au Brésil, contre 3,6 kg/ha en France. Et sur le demi-millier de pesticides utilisés au Brésil ou en Argentine, près de 150 sont interdits en Europe parce que dangereux ! »

Produits laitiers : 30.000t de fromages, 10.000t de poudres de lait, 5000t de lait infantile

Après une période transitoire de 10 ans, l’UE bénéficiera de nouveaux  contingents libres de droits, à savoir 30.000 tonnes de fromages (dont ceux à pâte molle et le Comté), 10.000 tonnes de poudres de lait, 5000 tonnes de lait infantile. En outre, plus de 350 indications géographiques européennes seront reconnues et protégées par l’accord.