Vers une généralisation de l’assurance récolte

Le Varenne de l’eau et du climat prône la montée en puissance de l’assurance récolte pour toutes les cultures, sous l’effet d’un subventionnement, assorti de la prise en charge par l’État des sinistres exceptionnels, mais dont les non assurés ne profiteraient que partiellement à l’horizon 2030, voire nullement à terme.

Lancé le 28 mai dernier, le Varenne de l’eau et de l’adaptation au changement climatique livre ses premiers comptes-rendus. Le premier groupe de travail à dégainer est celui constitué autour de la gestion des aléas, les deux autres thématiques étant consacrées au renforcement de la résilience de l’agriculture et à la gestion de l’eau.

Présidé par le député Frédéric Descrozaille, auteur d’un récent rapport sur la gestion des risques en agriculture, le groupe de travail a remis sa copie au ministre de l’Agriculture sous la forme d’un Plan stratégique 2023-2030.

Le rapport prône une augmentation du taux de pénétration de l’assurance Multirisque climatique (MRC) à l’horizon 2030, avec un objectif de 60% en grandes cultures, légumes d’industrie et viticulture (contre 30% actuellement) et de 30% pour les prairies et l’arboriculture (contre 5% actuellement).

La carotte et le(s) bâton(s)

Pour assurer la montée en puissance de la MRC, le groupe de travail préconise le subventionnement des cotisations des MRC, lesquelles couvriraient des niveaux de pertes compris entre 25% (seuil-franchise) et 50% (en grandes cultures) ou 60% (en viticulture), seuil au-delà desquels s’activerait le dispositif de pertes exceptionnelles, abondé par l’Etat et en partie par les agriculteurs, par le biais de la taxe complémentaire aux contrats d’assurance, dont le taux serait porté de 5,5% à 11%.

Pour les prairies et l’arboriculture, le seuil d’intervention pour pertes exceptionnelles serait de 30% en 2023 et voué à être relevé à l’horizon 2030, pour ménager l’effet de rupture avec l’actuel régime de calamités.

Le subventionnement de la MRC ne constitue pas une nouveauté par rapport au régime actuel. La nouveauté réside dans les deux dispositifs incitatifs suivants : d’une part, à l’horizon 2030, les agriculteurs assurés bénéficieraient, le cas échéant, à 100% du dispositif de pertes exceptionnelles quand les non assurés verraient un taux de 45% leur être appliqué, « jusqu’à la suppression à terme », une dégressivité censée « permettre un réinvestissement progressif des moindres dépenses de ce côté vers les autres mesures incitatives » selon les termes du Plan stratégique.

"L’instauration d’une obligation d’assurance, lorsque les conditions seront réunies, et sous réserve de sa faisabilité juridique, peut être envisagée à terme"

D’autre part, l’octroi de certaines aides publiques, telles que les aides à l’investissement attribuées par les Régions, pourrait être conditionné à la souscription d’une MRC.

Une logique de droits et de devoirs en quelque sorte, qui rappelle celle qui va s’appliquer à la filière des palmipèdes gras, avec des indemnisations, en cas d’abattage sanitaire pour cause de grippe aviaire, conditionnées aux mesures de biosécurité.

A noter également la perspective d’une franchise s’appliquant à l’ensemble de l’exploitation.

Le rapport milite donc sans ambiguïté pour la généralisation de la MRC, évoquant « l’instauration d’une obligation d’assurance, lorsque les conditions seront réunies, et sous réserve de sa faisabilité juridique, peut être envisagée à terme ».

Budget constant moyennant quatre paramètres ajustables

L’effort budgétaire supporté par la puissance publique (État, Pac) est estimé entre 600 et 700 millions d’euros, une estimation théorique fondée sur la sinistralité actuelle. « Quatre paramètres à forte incidence budgétaire feront l’objet d’un suivi rapproché et d’ajustements progressifs pour garantir la maîtrise du budget », précise le rapport, ce qui accréditerait la thèse d’une enveloppe budgétaire constante.

"L’hypothèse de l’abandon de productions dans certaines régions ou de transformation radicale du paysage de production n’est pas à écarter"

Il faut dire que le rapport pointe en filigrane un changement de paradigme. « L’hypothèse de l’abandon de productions dans certaines régions ou de transformation radicale du paysage de production n’est pas à écarter (...). L’accompagnement doit consister à encourager les décisions de diversification, d’investissement, voire d’abandons de production permettant de se soustraire au maximum aux risques climatiques ».

Les quatre paramètres ajustables et évolutifs sont les suivants : le seuil de perte, autrement dit la franchise qui restera à la charge des agriculteurs, le taux de subvention de la MRC (70% en 2023 mais voué à baisser pour les grandes cultures et la viticulture), le seuil de déclenchement des pertes exceptionnelles et leur taux d’indemnisation par l’Etat (avec distinction entre assurés et non assurés). 

En termes de durabilité et de visibilité, l’éventualité d’avoir à moduler l’un ou l’autre de ces paramètres n’est sans doute pas ce qu’il y a de plus rassurant dans ce Plan stratégique 2023-2030.

Réactions syndicales

Celui-ci serait mis en œuvre en 2023 avec une clause de revoyure en 2026 afin d’évaluer l’atteinte des objectifs et, si besoin, de réorienter le dispositif. La Plan stratégique prône la mise en place d’un guichet unique pour la gestion du contrat d’assurance et pour le déclenchement et l’évaluation de l’intervention de l’État en cas de sinistre exceptionnel.

Du côté des syndicats, la FNSEA salue « l’esprit constructif » du groupe de travail mais note que « les perspectives à horizon 2023 annoncées et qui se traduisent notamment dans les niveaux d’intervention de l’Etat et les taux d’indemnisation méritent d’être renforcées ».

La Coordination rurale dénonce une « marche forcée vers l’assurance privée (...). Ce système repose d’abord sur les agriculteurs en alourdissant leurs charges sans aucune garantie de couvrir l’ensemble de leurs pertes (...) L’assurance est bien trop coûteuse face à la non rentabilité de l’activité ! Même descendue à 25% la franchise est encore trop haute. Quel agriculteur peut se permettre de perdre 25% de son chiffre d’affaires », questionne le syndicat.

"Cette réforme supprimera surtout les indemnisations de la moitié de l'agriculture française à l'horizon 2030"

La Confédération paysanne dénonce « un jeu gagnant pour les assureurs, les agriculteurs les plus nantis, l'amont et l'aval de la filière, mais perdant pour le monde paysan (...) Non seulement il n'est prévu aucune prise en compte de la baisse du potentiel de production liée au changement climatique, mais cette réforme supprimera surtout les indemnisations de la moitié de l'agriculture française à l'horizon 2030 ».