Adieu l’obligation d’étiquetage nutritionnel et durable des aliments ?

Un rapport du CGAAER estime prématurée l’instauration de l’étiquetage nutritionnel et environnemental des denrées alimentaires pré-emballées, faute de politiques publiques dûment formalisées au niveau national et/ou dûment harmonisées au niveau européen.

« Les travaux engagés dès le second semestre 2020 sur un étiquetage nutritionnel obligatoire harmonisé au niveau européen n’ont pas permis pour le moment de dessiner un consensus entre des pays qui n’ont pas la même approche des enjeux liés à l’alimentation. Les travaux sur l’étiquetage de la durabilité des denrées alimentaires, qui n’ont pas démarré, seront probablement encore plus difficiles ». Tel est le constat dressé par le Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) dans un rapport commandité par le ministère de l’Agriculture et consacré aux scores alimentaires.

La France pionnière

Les scores alimentaires, ce sont les logos à 5 lettres et 5 couleurs apposés sur certains produits alimentaires pré-emballés. Dans ce domaine, la France s’avère pionnière. En 2017, sous le contrôle de Santé publique France, donc de l’Etat, le Nutri-score étiqueté à la face avant de certains produits, vient renforcer, sur une base volontaire, les informations légales (déclaration nutritionnelle, liste des ingrédients) qu’impose le règlement EU n°1169/2011, dit règlement INCO. Depuis, cinq autres pays membres de l’UE, ainsi que la Suisse, l’ont adopté.

En 2021, le Planet-score, porté par l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab) intronise quant à lui l’étiquetage environnemental, fondé sur la base de données Agribalyse de l’Agence de la transition écologique (Ademe), servant de support à l’analyse du cycle de vie (ACV), et complété par trois sous-indicateurs relatifs aux pesticides, à la biodiversité et au climat. Le Planet-score est indirectement légitimé par la loi Climat et résilience d’août 2021, qui pose les bases d’un futur étiquetage environnemental des biens et services, à caractère obligatoire, à commencer par le textile et l’alimentation.

La charrue avant les bœufs

Qu’il s’agisse du score nutritionnel comme du score environnemental, le rapport du CGAAER laisse à penser que la France a mis la charrue avant les bœufs. « La mission considère qu’il aurait été préférable de fixer le cap des transitions alimentaires et agroécologiques avant d’engager les travaux sur l’affichage environnemental », en référence à la Stratégie nationale de l’alimentation, de la nutrition et du climat (SNANC), que le gouvernement doit prochainement publier, conformément à conformément à l’article 265 de la loi Climat et résilience. « L’éducation alimentaire constitue une priorité stratégique dans l’accompagnement du consommateur », tranche le rapport, qui en appelle à la restauration collective.

Le calendrier européen en la matière, avec en ligne de mire le règlement Systèmes alimentaires durables (SAD), intégrant un volet étiquetage, est encore plus lâche, puisqu’il pourrait être publié à l’horizon 2026-2027, la Commission européenne n’ayant pas encore révélé sa proposition législative. « Les travaux conduits en France pour la mise en place d’un affichage environnemental montrent que les difficultés à l’échelle d’un seul pays sont importantes, souligne le rapport. Même si ce point ne fait pas partie du périmètre de la mission, il apparaît clairement – au vu des débats publics - que la perception des enjeux de transformation des systèmes alimentaires est très différente selon les pays de l’Union européenne ». Le CGAAER relève au passage que l’affichage environnemental n’est pas conforme aux dispositions actuelles du règlement INCO relatif à l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires.

Le Nutri-score pas épargné

En outre, le CGAAER juge que les scores alimentaires « se doivent d’être robustes et limités en nombre afin de rester utiles et visibles pour le consommateur » et qu’à ce titre, « ils doivent être autorisés par l’État ». C’est le cas du Nutri-score, qui pour autant, n’échappe pas, selon le rapport, à la critique de spécialistes de la nutrition, estimant qu’il n’y a « pas de bons ou de mauvais aliments, mais des bons et des mauvais régimes alimentaires ». En outre, le Nutri-score ne prend pas en compte certaines préoccupations liées à certains additifs autorisés et aux pratiques d’ultra-transformation. « Le Nutri-Score a les défauts de ses qualités : il donne des informations sur la qualité nutritionnelle de chaque aliment mais il ne permet pas en lui-même de répondre aux enjeux de pédagogie en faveur de régimes alimentaires sains, équilibrés et variés », décrit le rapport qui pointe « un discours anti Nutri-Score était de plus en plus présent en France, notamment à l’égard des fromages sous signe officiel de qualité ».

"« Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l’est pas est inutilisable »"

A la différence du score environnemental, l’instauration d’un étiquetage nutritionnel obligatoire harmonisé sur la face avant des emballages est d’ores-et-déjà à l’agenda de la Commission européenne, via la stratégie « De la ferme à la fourchette » et la révision du règlement INCO. Mais le CGAAER note que le rôle de « favori » qu’il tenait jusqu’à fin 2022 semble désormais « fortement » remis en cause. « Dans l’attente de l’aboutissement des travaux conduits par la Commission, et compte-tenu du principe de libre circulation des marchandises au sein du marché intérieur européen, la mission recommande que les dispositifs d’affichage mis en place au niveau national soient basés sur le volontariat », préconise le rapport, qui ouvrait sur la citation suivante : « Ce qui est simple est toujours faux. Ce qui ne l’est pas est inutilisable ». Epigraphe ou épitaphe ?