Agrumes, arachides, fruits tropicaux : le réchauffement climatique, une opportunité pour relocaliser la production de fruits et légumes en France ?

Un certain nombre de fruits, et dans une moindre mesure des légumes, pourraient être relocalisés en France, notamment dans le sud du pays, à condition de viser un marché de niche à haute valeur ajoutée, selon un rapport commandé par le ministère de l'Agriculture. Ces productions, adaptées aux conditions climatiques méditerranéennes, offriraient de nouvelles perspectives pour les agriculteurs français, mais il est évident que cela ne suffira pas à combler les besoins globaux de la France en fruits et légumes.

Le Plan de souveraineté de la filière des fruits et légumes, mis en place par le gouvernement en mars 2023, a pour objectif de gagner 5 points de souveraineté en fruits et légumes d’ici 2030, et 10 points d’ici 2035. Entre 2000 et 2020, le taux d’auto-approvisionnement de la France en fruits et légumes frais a chuté de 64% à 50%. Cette évolution résulte d’une diminution des surfaces de production et du nombre d’exploitations, conjuguée à la concurrence accrue des pays producteurs voisins, en particulier le Maroc, l’Espagne et l’Italie.

Dans ces pays, la sécheresse et le stress hydrique impactent fortement les rendements et occasionnent des pertes de production. Ils nécessitent des adaptations coûteuses et peuvent induire des arrêts ou des déplacements des zones de production.

En France, les effets du changement climatique sont déjà constatés sur les espèces fruitières de la zone tempérée : le déficit de températures basses en hiver pour lever la dormance, la persistance du risque d’aléas climatiques comme le gel printanier ou la grêle et l’irrégularité des précipitations estivales (ou leur excès temporaire).

L’aggravation des effets du changement climatique dans les pays du pourtour méditerranéen pourrait-elle constituer une opportunité pour la France de relocaliser certaines productions de fruits et légumes, voire de permettre le développement de nouvelles filières actuellement non présentes sur le territoire métropolitain ? Rien n’est moins certain, selon un rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), commandé par le ministère de l'Agriculture et publié le 21 mars 2025. « Rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que ces pays envisagent de renoncer de manière significative à des productions de fruits ou de légumes », indiquent les conclusions de l’étude. « Ces pays ont engagé des stratégies d’adaptation robustes, notamment en matière de gestion de l’eau. Ils misent sur des investissements conséquents dans les technologies de dessalement d’eau de mer, qui permettent d'augmenter les réserves disponibles pour l’agriculture. À cela s’ajoutent des initiatives visant à moderniser les systèmes d’irrigation, à optimiser la consommation d’eau grâce à des méthodes comme l'irrigation au goutte-à-goutte et à développer le recyclage des eaux usées. »

En 2021, la France a importé plus de 500 000 tonnes de fruits et légumes frais en provenance du Maroc, avec une augmentation constante ces dernières années. L’Italie représente 7 % des importations françaises (32 % de raisin, 27 % de fruits à coque et 24 % de fruits à pépins). Quant à l’Espagne, le pays demeure de loin le premier fournisseur de la France en fruits frais, à l'origine du tiers des importations françaises (48 % d'agrumes, mais aussi 15 % de fruits à noyau, 14 % de fruits exotiques et 11 % de fruits rouges).

Une relocalisation "limitée" et "ciblée"

Si la France ambitionne la relocalisation de certaines productions agricoles, « cela ne pourra se faire que de manière limitée et ciblée », indique le rapport. « Il s'agit d'opportunités limitées mais stratégiques, qui pourraient permettre d’une part à la France de se positionner sur des segments de produits premium, en tirant parti de labels de qualité et d’une meilleure visibilité de « l’Origine France » et d’autre part, d’offrir aux agriculteurs d’intéressants compléments de revenu ».

Le rapport détaille certains exemples de productions déjà présentes sur le territoire et susceptibles de se développer ou d’émerger. La relocalisation de certaines cultures industrielles, dont la récolte est entièrement mécanisable (maïs doux, haricots verts, tomates destinées à la transformation…) pourrait être recherchée par des industriels dans un objectif de sécuriser leur approvisionnement. Mais face aux investissements nécessaires pour les agriculteurs, « le besoin de visibilité et de sécurité à moyen terme est capital », note le rapport.

Malgré une baisse continue de la consommation en légumes verts qui se conjugue avec des problèmes de production (main d’œuvre, diminution des substances phytosanitaires, coûts de production, inflation), des productions de légumes frais et de légumes feuilles connaissent un certain succès en France. Le groupe Florette mentionne par exemple l’accroissement de sa production de salade « Iceberg » en sachet.

De son coté, le groupe Andros évoque la possibilité de développer une petite filière de production d’arachides (cacahuète), destinée à la fabrication de pâte à tartiner. La récolte, entièrement mécanisée, pourrait faciliter son développement. La production est actuellement modeste en Europe, répartie à 50% en Italie et 50% en Bulgarie. Pour Andros, « le développement d’une petite filière ne sera possible qu’avec une génétique adaptée. Il faut trouver la génétique qui convient, réinventer la cadre phytosanitaire (peu de molécules utilisables dans l’UE). Dans le cas contraire, cette filière restera une culture de niche, valorisée localement à 6-7 €/kg pour des produits haut de gamme. Les achats pour des productions de grande consommation continueront à se faire sur les marchés internationaux à 1 ou 1,5 €/kg ».

En arboriculture, plusieurs exemples de relocalisation en France

C’est en arboriculture que les exemples de cultures nouvelles et d’expérimentations sont les plus significatifs.

La culture de l'amandier représente pour beaucoup une solution de diversification intéressante, notamment dans un contexte de crise viticole qui touche particulièrement le midi. Chaque année, 45 000 tonnes d’amandes sont consommées en France alors que la production nationale est faible et varie selon les aléas climatiques (500 tonnes en 2022, 1200 tonnes en 2023). « A moyen terme, la seule option pour un renouveau de la culture de l’amandier, voire un début d’élargissement, pourrait être de développer un segment Premium de production (produits haut de gamme), s’appuyant sur des vergers de surface limitée, mais à production régulière en optimisant la sélection variétale, et des conditions climatiques favorables », indique le rapport.

Même son de cloche pour l’olivier. De nombreuses huiles d’olive françaises bénéficient d’une appellation d’origine protégée (AOP), au prix de vente bien plus élevé que l’huile provenant d’Espagne ou du Portugal. Sa commercialisation se fait en circuits courts (vente directe) et très peu via les grandes et moyennes surfaces. « Pour l’heure, ce positionnement haut de gamme est le seul permettant à l’agriculteur oléiculteur de tendre vers la rentabilité, à condition toutefois de ne pas uniquement se consacrer à cette culture », pointe le rapport.

La culture d’agrumes présente de bonnes perspectives dans le sud de la France. Du fait des gels hivernaux devenus moins fréquents, des orangers et des bigaradiers ont été récemment replantés dans tout le sud de la France. Les surfaces de citronniers de Menton ont augmenté et des agriculteurs se reconvertissent en plantant des clémentiniers dans le sud-est. L’oranger est aujourd’hui considéré comme une piste de diversification de la culture d’agrumes en Corse. « La création variétale se renouvelle également et pourrait bientôt offrir de nouvelles productions en régions méditerranéennes », ajoute le rapport.

Présente auparavant dans le sud de la France, la culture de la pistache a progressivement disparu dans les années 1950. Aujourd'hui, elle est surtout présente sur le bassin méditerranéen. En 2018, plusieurs agriculteurs de Provence décident de relancer la culture du pistachier. Désormais la pistache française compte environ 500 hectares répartis entre la région PACA, l'Occitanie et la Corse (un peu en Nouvelle Aquitaine et dans la Drôme). Avec 10 000 tonnes en moyenne de pistaches importées en France et face à la tendance croissance du « snacking sain » et à la forte demande de la transformation (pâtissiers/chocolatiers/glaciers), la pistache tricolore vise de nombreux débouchés, un argument de poids pour les producteurs cherchant à se diversifier.

Productions à haute valeur ajoutée

Quid des fruits tropicaux ? A petite échelle, certains agriculteurs s’essaient à la production de grenades ou de kakis, ou réfléchissent à l’avocat ou la papaye. Ces productions restent pour l’instant des produits de niche, à haute valeur ajoutée, à destination des restaurants ou des épiceries fines.

Enfin, le raisin de table sans pépins correspond à une vraie attente des consommateurs, mais la concurrence est forte avec le raisin espagnol. « Les essais de variétés de raisins apyrènes (sans pépin) donnent de bons résultats sur le plan technique mais les coûts de production ne permettent pas, pour l’instant, de conquérir les marchés », fait savoir le rapport.

Ainsi, certaines productions, en particulier en arboriculture, présentent des potentialités intéressantes pour un éventuel développement ou pour une relocalisation en France. « Les évolutions variétales, l’apport de l’agroécologie, l’évolution du climat, la volonté d’innover et d’expérimenter des professionnels, la contribution des nouvelles technologies, l’émergence de nouveaux marchés, constituent autant d’atouts qui permettent d’être optimiste et qu’il convient de porter au crédit des filières de fruits et légumes et de mieux valoriser », affirme le rapport.

Mais « il reste de nombreuses hypothèques à lever » : construire un « consensus sur les questions d’eau », avoir « une stratégie phytosanitaire comprise et partagée par tous les acteurs », « mieux comprendre les futurs marchés et les attentes des consommateurs », « investir, plus et mieux, dans la robotisation, la mécanisation et l’IA », ou encore développer une « meilleure coordination des politiques publiques entre l’État, les collectivités et les structures professionnelles (investissements, recherche) ».

« Il est raisonnable de penser que c’est en travaillant sur nos forces et nos faiblesses, et non pas en misant sur d’hypothétiques difficultés de nos concurrents économiques, que notre auto-suffisance en fruits et légumes pourra s’améliorer », conclut l’étude.