Après une décennie de turbulences, le foie gras enfin à la fête

La campagne 2024 de foie gras se présente sous les meilleurs auspices pour la filière. Après plusieurs années de marasme économique et sanitaire, la vaccination semble avoir permis de tourner la page et de nouvelles installations commencent à voir le jour. En 10 ans, le métier a largement évolué pour s’adapter à un contexte de grippe aviaire.

Pour la première année depuis bientôt 10 ans, la filière foie gras a tous les voyants au vert à l’approche des fêtes de fin d’année. « Nous avons enfin pu travailler normalement », se félicite Chantal Brèthes, éleveuse de canards et vice-présidente de la production de palmipèdes de Maïsadour. Un constat partagé par les producteurs en vente directe. « En 2022 et 2023, j’ai eu du mal à trouver des oisons pour ma production d’oie. Cette année, j’ai pu recommencer à travailler normalement avec mon couvoir », témoigne Pascal Coeurjoly, producteur de foie gras d’oie en Eure-et-Loir. Dans les Landes, Thibault Lesgourgues élève à la ferme, abat et conditionne 9 000 à 10 000 canards chaque année. Pour lui, l’année 2024 confirme un retour à la normale déjà constaté en 2023.

Les chiffres publiés mi-décembre par l’interprofession du foie gras (Cifog) confirment les impressions des éleveurs. Après des années marquées par la grippe aviaire et le manque de produit en rayons, le Cifog annonce une hausse de 33% de l’offre en magasin cette année. Chez Maïsadour, ce sont 29 millions de canards qui ont été produits cette année pour Delpeyrat. Un niveau de production qui pourrait servir de référence à l’avenir. « Ce sont des volumes d’une année normale quand nos produits trouvent des débouchés », se félicite Patrick Faget, directeur des productions animales de la coopérative. Comme un témoignage de ce retour à une dynamique positive, la coopérative a recommencé à installer des jeunes éleveurs en pré-engraissement de canard.

Chez Maïsadour, ce sont 29 millions de canards qui ont été produits cette année pour Delpeyrat. (Crédits photo : Maïsadour)

Les consommateurs de foie gras au rendez-vous

Rien ne sert de produire si le canard n’est pas mangé. L’augmentation de la production a pu générer des craintes chez les producteurs après plusieurs années de disette. « Au sein de l’interprofession, la famille des producteurs a insisté auprès des industriels de ne pas nous demander de surproduire », insiste Chantal Brèthes. Pour 2024, la situation ne devrait pas poser problème tant le consommateur semble au rendez-vous.

"Nous n’avons pas assez de production pour répondre à la demande"

En vente directe, les producteurs sont submergés. « À 14 jours de Noël, je n’avais déjà presque plus rien à vendre. J’ai la capacité de produire plus, mais le facteur limitant est la main d’œuvre », constate Pascal Coeurjoly sur son exploitation en Eure-et-Loir. Un constat partagé par Thibault Lesgourgues dans les Landes. « Depuis un an, nous voyons une augmentation des ventes sur chaque salon. Nous n’avons pas assez de production pour répondre à la demande », révèle-t-il. Là aussi, le frein à l’augmentation de la production réside dans le manque de main d'œuvre.

Côté circuit long, les chiffres du Cifog évoquent des achats de foie gras en hausse de 3,6% en volume sur les 9 premiers mois de 2024. En magret, les ventes explosent à plus de 138%.

Un avant et un après grippe aviaire

L’épizootie de grippe aviaire aura laissé une marque indélébile sur la filière foie gras française. La généralisation de la vaccination en est le signe le plus marquant. Si certains éleveurs restent circonspects face à ce processus de prévention, la plupart se félicitent de sa mise en œuvre. « Depuis 2016, j’étais pour la vaccination. La mise en place de mesures de biosécurité, c’est bien. Mais je savais que ça ne suffirait pas », analyse Thibault Lesgourgues. Aujourd’hui, l’éleveur des Landes estime que la vaccination représente une heure de travail pour 1000 canards.

" Tant que les consommateurs et la distribution nous suivront, la filière tiendra"

Concernant les mesures de biosécurité, justement, Chantal Brèthes souligne l’impact économique qu’a généré leur mise en place pour les producteurs. « La modernisation des bâtiments pour permettre la claustration des animaux représente plusieurs centaines de milliers d’euros en moyenne pour une exploitation », chiffre-t-elle. Des investissements qui seront rentabilisés sur plus de 10 ans. « Tant que les consommateurs et la distribution nous suivront, la filière tiendra », prévoit-elle.

Les mesures de biosécurité ont également fait évoluer les méthodes de travail, notamment l’obligation de travailler en bande unique, contrairement à un fonctionnement en bande multiple auparavant. « Ce que nous prenions pour une contrainte a par ailleurs des côtés positifs. Les périodes sans animaux sur l’exploitation offrent un répit aux éleveurs », constate Chantal Brèthes.

Le dernier point noir pour la filière est la claustration des animaux lorsque les pouvoirs publics relèvent le niveau de vigilance face à l’épizootie. « C’est dommage que la mise à l’abri soit imposée aussi rapidement. C’est très contraignant pour les éleveurs et ce n’est pas notre façon de travailler, particulièrement vis-à-vis des cahiers des charges des signes officiels de qualité », regrette l’éleveuse de Maïsadour. Elle prône plutôt une politique de mise à l’abri par région, plutôt qu’à l’échelle nationale.

Une longueur d’avance pour la France

Alors que l’Europe de l’Est a connu un important épisode de grippe aviaire durant les derniers mois et que plusieurs cas de transmission à l’homme ont été signalés Outre-Atlantique, Chantal Brèthes estime que la France a pris une vraie longueur d’avance sur la maladie avec la mise en place de la vaccination. « Nous avons la chance d’avoir des vétérinaires de terrain qui ont vécu les moments les plus difficiles avec les éleveurs et qui ont poussé à la mise en place de la vaccination », évoque-t-elle. L’éleveuse souligne également l’importance de surveiller tous les animaux, comme c’est le cas dans l’hexagone. « Le déplacement d’un lot ne peut pas être réalisé s’il n'a pas été prouvé qu’il était négatif au préalable »