Changement climatique : par quoi remplacer les cultures devenues « contre-nature » ?

L’adoption et la migration de nouvelles cultures ne sont pas uniquement dictées par les évolutions climatiques, mais également par les conditions pédoclimatiques, le marché ou encore les soutiens publics : tel est l’enseignement d’une étude la Délégation interministérielle pour le Varenne agricole de l’eau (DIVAE), qui a passé une vingtaine d’espèce au prisme des facteurs agronomique, génétique, sanitaire et économique.

Le changement climatique va redessiner la carte des assolements de la France agricole : ce n’est pas une prophétie mais un scénario des plus réalistes, que les pouvoirs publics anticipent et accompagnent à travers différentes politiques, telles que le Plan eau et les stratégies nationales bas-carbone (SNBC), biodiversité (SNB) ou encore alimentation, nutrition et climat (SNANC).

Selon une étude de la Délégation interministérielle pour le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique (DIVAE), réalisée avec l’appui du Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des eaux et forêts (CGAAER), les changements d’assolement sont déjà une réalité. Entre 2000 et 2020, la sole a sensiblement évolué sous l’effet conjugué de dynamiques spécifiques à certaines espèces (hausse du tournesol, soja, pois chiche, lentille, chanvre, baisse du blé dur et du maïs irrigué et pluvial), de la migration de certaines espèces vers le nord (maïs grain irrigué, tournesol, blé dur) et enfin du développement de nouvelles cultures.

"Faudra-t-il privilégier les cultures nourricières à la viticulture ou encore au maïs irrigué dans le Sud-Ouest ?"

Dans ce registre sont notamment cités le sorgho, le soja, les lentilles, les mélanges de céréales hors méteil (orge-avoine, blé-avoine, etc.), les autres céréales non mélangées (sarrasin, alpiste, millets, quinoa, etc.), la fève et la féverole, la luzerne, les prairies multi-espèces. Plus spécialement au sud sont cités le pois sec, le pois chiche et le lin oléagineux, au nord le chanvre, le lin textile, le miscanthus ou encore la silphie. « Faudra-t-il privilégier les cultures nourricières à la viticulture ou encore au maïs irrigué dans le Sud-Ouest ? », s’interroge le CGAAER, en se gardant de se prononcer.

La résilience, un concept à tiroirs

L’étude de la DIVAE a passé en revue une vingtaine de grandes (et petites) cultures au prisme des facteurs agronomique, génétique, sanitaire et économique, en excluant de leur champ d’investigation les fruits et légumes, au motif qu’il font l’objet d’un Plan de souveraineté spécifique, ainsi que la vigne. L’analyse des principaux facteurs de production a ainsi permis d’inventorier les cultures paraissant les plus résilientes. Au regard du facteur sécheresse, sont citées le tournesol, le sorgho, le pois chiche et le chanvre.

En ce qui concerne l’utilisation de l’eau par les plantes, l’étude fait le distinguo entre les cultures sèches et irriguées, distinguant le pois chiche et le chanvre dans la première catégorie, le tournesol, le maïs, le sorgho et le soja, dans la seconde, pour leur faculté à valoriser l’eau d’irrigation. Sous l’angle agronomique, la palme de la résilience revient aux prairies multi-espèces, au miscanthus, à la luzerne, au chanvre ou encore aux légumineuses, notamment le soja et le pois chiche. Il faut évidemment compter avec les facteurs économiques et, « sans surprise », le blé tendre d’hiver, le maïs, le blé dur et le colza s’avèrent plus intéressants que les tournesol, sorgho, soja, chanvre et pois chiche.

Des freins divers et variés

Le facteur économique est clairement identifié par la DIVAE comme à frein à l’adaptation des assolements, pointant au passage un sous-développement en matière de recherche (variétés et de systèmes de production) pour les cultures adaptées au changement climatique comparativement aux cultures traditionnelles. Il faut aussi compter avec les freins agronomiques et la nécessité de trouver des compromis entre date de semis, précocité de la culture et date de récolte. Entrent en jeu plusieurs paramètres tels que la sensibilité au gel, l’implantation de la culture, la récolte qui doit se faire dans des conditions pas trop humides, la nécessité d’implanter la culture d’hiver suivant la culture de printemps dans de bonnes conditions, l’équilibre entre précocité de la culture et baisse de rendement. S’agissant des cultures de printemps en particulier est invoquée la pression adventice.

Il y a aussi tout un cortège de facteurs pédoclimatiques. L’étude donne en exemple les pois protéagineux qui résistent mal à la sécheresse alors qu’ils nécessitant relativement peu d’eau, illustrant ainsi le fait que « la résistance à la sécheresse est un facteur complexe, pas absolu », tout en relevant par ailleurs que « l’évolution des surfaces est directement corrélée à celle des soutiens publics ».

En outre, des périodes de sensibilité différentes peuvent permettre de mieux répartir l’utilisation de l’eau en cas d’irrigation. Si la plupart des cultures sont sensibles pendant la période estivale, certaines le sont un peu plus tardivement (le soja a des besoins plus étalés que le maïs) ou au contraire plus précocement, comme c’est le cas pour les cultures d’hiver et la silphie.

« L’amont attend l’aval et l’aval attend l’amont »

Un dernier facteur de résistance aux changements réside dans l’organisation des filières, en matière de logistique (transport, séchoirs, silos), voire d’outils industriels s’agissant du chanvre par exemple. Le cas du sorgho est assez emblématique. Aux prises à des capacités de stockage limitées, les opérateurs privilégient les matières premières disponibles toute l’année, autrement dit... le maïs, alors que le sorgho a des propriétés nutritives proches de celles du maïs, avec notamment une teneur en protéines plus élevée de +2% à +3%. Résultat : le sorgho est majoritairement exporté vers l’Espagne. Ces freins logistiques valent également pour les légumineuses à graines. « Un effet de seuil est présent dans la plupart des filières étudiées, relève l’étude. L’amont attend l’aval et l’aval attend l’amont ».