Charges de mécanisation (4/4) : « La stratégie de conseil existe, à la filière de la vulgariser, aux agriculteurs de s’en emparer »

Julien Hérault est formateur et conseiller indépendant en agroéquipement. Il a lu attentivement le rapport du CGAAER, un tant soit peu critique à l’égard de l’écosystème. Sur-mécanisation, défaut de concurrence, conseil stratégique... : son point de vue.

La « ferme France » est-elle sur-mécanisée ?

Julien Hérault : en France, depuis des années, on corrèle charges de mécanisation et rentabilité et on veut nous faire croire que les deux sont liés. Le rapport du CGAAER n’échappe pas à ce travers. Il part du postulat que le faible revenu en agriculture est le fait de l’augmentation des charges, notamment de mécanisation. Ce n’est pas forcément ceux qui ont le moins de charges de mécanisation qui sont le plus rentable. Selon moi, l’enjeu réside davantage dans l’augmentation de la productivité et dans celle du chiffre d’affaires à l’hectare ou à l’UTH. Depuis 1988, selon l’Insee, la mécanisation représente environ 18% des charges totales, ce qui s’avère comparable à ce que l’on observe en Europe.

Pourquoi les charges à l’hectare varient-elles du simple au double dans deux exploitations semblables ?

Julien Hérault : il faut être très prudent sur les charges de mécanisation à l’hectare. Il y a aussi des erreurs d’interprétation sur le calcul du coût réel de possession de machine. Entre le calcul comptable de l’amortissement et donc de la valeur du parc, et le calcul réel de l’amortissement avec la valeur vénale du parc, on peut avoir de gros écarts. C’est donc un indicateur biaisé car quelqu’un qui a un parc vieillissant avec des occasions pas renouvelées depuis 10 ou 15 ans, comptablement, a des charges de mécanisation potentiellement réduites, sauf que dans la comptabilité, il y a des frais d’entretien et réparation qui ne sont pas pris en compte. C’est un amortissement qui vaut zéro en valeur réelle d’amortissement comptable, alors que réellement y a un capital d’immobilisé sur l’exploitation. Dans mon activité de conseil, je n’accentue pas sur les charges de mécanisation à l’hectare mais sur le montant de capital roulant à l’hectare.

Que pensez-vous de la concurrence toute relative entre marques et concessionnaires, pointée par le rapport ?

Julien Hérault : la concurrence existe sur le terrain, mais on ne sait pas toujours bien l’utiliser car on ne sait pas bien définir un cahier des charges d’investissement. Quand un agriculteur veut un pulvérisateur, il appelle son concessionnaire en lui disant : il me faut un 3500 litres en 28 m de large avec coupure de tronçons automatique. En caricaturant, le cahier des charges se résume un peu à ça. Pour moi, c’est le fait que les agriculteurs ne définissent pas suffisamment précisément un cahier des charges qui leur fait penser qu’il n’y a pas de différence concurrentielle.

"Le premier objectif du vendeur, c’est de vider son stock"

Si je n’ai pas défini dans mon cahier des charges mes contraintes, mes exigences et mes souhaits, j’en viens à faire un choix sur les souhaits et je m’assois sur les exigences alors qu’elles étaient primordiales au début. Le premier objectif du vendeur, c’est de vider son stock. Si l’achat de morte saison du concessionnaire a mal été pensé, on se retrouve avec un parc pas adéquat l’année N+1. On subit la stratégie commerciale du vendeur mais cela ne devrait pas justifier que l’on ne fasse pas de cahier des charges précis et préalable à l’investissement.

Pourquoi renoncer un à 200 ch quand il est au prix d’un 160 ch ?

Julien Hérault : parce que l’investissement ne se résume pas à une annuité et à une consommation de carburant, les deux paramètres qui focalisent l’attention des agriculteurs. Si c’est moins cher que l’ETA, ils achètent. L’important, c’est le TCO, le Total cost of ownership ou coût total de possession, qui inclus les frais d’entretien et de réparation ou encore l’usure des pneus à raison de 1,50€/h pour un 180 ch par exemple, toutes ces charges variables qui sont plus importantes sur un 200 ch que sur un 160 ch.

En quoi consiste votre prestation d’accompagnement à l’investissement ?

Julien Hérault : elle commence par la définition du cahier des charges jusqu’à la signature du bon d’achat en passant par l’analyse comparative des offres. Les agriculteurs n’ont pas forcément besoin de moi pour faire la liste exhaustive de tous les équipements et options.

"Je classe tous les items du cahier des charges dans ces trois colonnes :  contraintes, exigences et souhaits"

Là où on a besoin d’échanger, c’est dans le classement des contraintes, des exigences et des souhaits. Je classe tous les items du cahier des charges dans ces trois colonnes :  contraintes, exigences et souhaits. Cela permet notamment d’assainir l’échange avec le concessionnaire, et de ne pas batailler sur un argument commercial si l’item est dans la colonne « souhait » et pas « exigence ». La contrainte, c’est par exemple du gabarit sous hangar ou du débit hydraulique pour entrainer le semoir requérant 60 l/mn. L’exigence, c'est l’agriculteur qui se l’impose : « il me faut des distributeurs programmables en temps et en débit » et le souhait, c’est par exemple un pack confort, c’est un plus mais pas indispensable.

Pourquoi n’existe-t-il pas d’outil d’aide à la décision dédié à l’investissement dans l’agroéquipement ?

Julien Hérault : des OAD, contrairement à ce qui écrit dans le rapport, il en existe. Ils s’appellent J Dispo chez Arvalis ou Equipagro chez les Chambres d’agriculture. Equipagro était un super outil à ceci près qu’il fallait presque une semaine pour remplir les champs et il est devenu obsolète au plan informatique.

"J Dispo, c’est une véritable bête de course. Le problème, c’est que c’est un outil qui coûte 200 euros de l’heure et que seuls les organismes peuvent se payer"

J Dispo, c’est un super outil pour estimer les jours de travail disponibles et dimensionner le débit de chantier de ma machine, en prenant en compte les itinéraires techniques, le ressyuage, la compaction des sols. C’est une véritable bête de course. Le problème, c’est que c’est un outil qui coûte 200 euros de l’heure et que seuls les organismes peuvent se payer. Pour bien faire, il faudrait que les ingénieurs acceptent de fournir un outil un peu moins précis, mais c’est un crève-cœur pour un ingénieur.

Sur quoi fondez-vous vos propres conseils en dimensionnement ?

Julien Hérault : j’ai développé mon propre OAD sur les jours agronomiquement disponibles en fonction du climat et de la pluviométrie. C’est certes un peu approximatif et critiquable mais cela me permet de délivrer ce service de manière économique et de définir en conséquence le débit de chantier de l’outil, A force de dire que l’on travaille sur du vivant et sous la loi des aléas climatiques, on s’interdit de faire des calculs alors que les outils existent depuis 40 ans.

Pourquoi les plateformes d’échanges n’ont-elles par percé ?

Julien Hérault : ni à cause des concessionnaires ni à cause des constructeurs mais parce que les agriculteurs n’y ont pas proposé de matériel, par peur de ne pas pouvoir en disposer le jour J. Une peur bien exagérée de mon point de vue. En Allemagne et en Ecosse, les cercles d’échange sont le premier levier de mécanisation. Une plateforme comme WeFarmUp n’était rien d’autre qu’un cercle d’échange en ligne.