En bio depuis 1967 : « Tout va bien »

A Saint-Nazaire (Pyrénées-Orientales), l’Earl Le chant de la terre doit davantage sa subsistance et sa résilience au(x) marché(s) qu’aux aides publiques. Gage de durabilité s’il en est, elle se prépare à l’installation de la 3ème génération en biodynamie, bien décidée à relever de nouveaux défis, et pas seulement technico-économiques.

En maraichage et arbo très diversifiés (une cinquantaine de légumes, une dizaine de fruits) sur une SAU de 6,5 ha dont 1500m2 d’abri froid, l’Earl Le chant de la terre n’a jamais croulé sous les aides spécifiques attribuées à l’AB. Et le tout dernier plan de soutien du ministère de l’Agriculture, mobilisant près de 200 millions d’euros pour à la fois contrer le risque de déconversion et soutenir la demande des consommateurs, ne fait ni chaud ni froid à Nicolas Payré, gérant du domaine. « A part le crédit d’impôt, que l’on nous donne et que je prends, je ne veux rien », explique l’agriculteur, hérissé à l’idée de monter un quelconque dossier de demande d’aide, brinqueballé qu’il a été dans le passé.

Nicolas Payré : « On n’a peut-être pas assez expliqué que dans le prix d’un produit conventionnel, il n’y a pas le coût des atteintes à l’environnement alors que dans le prix d’un produit bio, il y a le prix du respect des milieux et de la santé du consommateur et du producteur »
Nicolas Payré : « On n’a peut-être pas assez expliqué que dans le prix d’un produit conventionnel, il n’y a pas le coût des atteintes à l’environnement alors que dans le prix d’un produit bio, il y a le prix du respect des milieux et de la santé du consommateur et du producteur »

Le domaine doit donc sa subsistance et sa résilience au marché, aux marchés pour être plus précis, la vente directe assurant plus du tiers des débouchés, confirmant si besoin en était que l’appétence pour le « local » n’a pas phagocyté la bio, comme l’Agence bio le révèle dans son panorama 2022 de l’AB.

"Nos clients sont toujours au rendez-vous, on a d’excellents retours au plan gustatif, on manque de produits"

Dans un département en proie à une sécheresse historique, dont la facture pourrait s’élever entre 350 et 750 millions d’euros selon la Chambre d’agriculture, l’Earl Le chant de la terre redoute davantage les soubresauts climatiques que la désaffection des consommateurs, que l’inflation échaude depuis bientôt deux ans. « En 2022, nous avons perdu 14% de chiffre d’affaires sous l’effet de pertes de rendement dues à la chaleur, pas à la sécheresse, souligne Nicolas Payré. Mais nos clients sont toujours au rendez-vous, on a d’excellents retours au plan gustatif et on manque de produits. On n’a pas trop augmenté les prix, non plus », concède le producteur. Sage pour l’environnement, la bio peut l’être aussi pour le porte-monnaie...

Présent le samedi sur le marché de Perpignan (Pyrénées-Orientales), l’Earl Le chant de la terre résiste à l’érosion des ventes qui affecte la bio, notamment en GMS et magasins spécialisés
Présent le samedi sur le marché de Perpignan (Pyrénées-Orientales), l’Earl Le chant de la terre résiste à l’érosion des ventes qui affecte la bio, notamment en GMS et magasins spécialisés

Outre les marchés de Perpignan et d’Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales), le domaine écoule sa production auprès de magasins et restaurants bio locaux, d’un grossiste bio et d’une boutique attenante à l’exploitation, mais indépendante.

En bio depuis 55 ans

L'engagement en bio remonte à 1967, bien avant l’officialisation en 1981 par la France du label AB. « Mon père avait la mention Nature et Progrès, précise Nicolas Payré, passé par l’école d’agrobiologie de Beaujeu (Rhône). Au plan technique, ce fut une galère de dix ans mais mes parents ont décroché le 2ème prix des Rubans verts, décernés à l’époque par le Crédit agricole pour encourager l’innovation. Mon père l’avait obtenu pour des abricotiers conduits en biodynamie ».

Le domaine est certifié Demeter en biodynamie depuis 1981. Au-delà de ses labels, l’Earl fait du « plaisir » de travailler dans un environnement préservé, son plus gros capital. « Il ne faut pas vouloir gagner trop », précise le producteur, qui mentionne également l’absence d’emprunts.

Les porcs Gascon vont bientôt embarquer dans une porcherie mobile pour nettoyer les parcelles après récolte
Les porcs Gascon vont bientôt embarquer dans une porcherie mobile pour nettoyer les parcelles après récolte

Incarnée par Thomas, aujourd’hui salarié, la 4ème génération (la 3ème en bio) se prépare à prendre la suite. « Nous avons en projet de fabriquer une porcherie mobile sur la base d’un châssis de mobile-home, pour nettoyer les parcelles après récolte, déparasiter, pré-labourer, explique le futur agriculteur. Mon installation pourrait s’accompagner de la création d’un atelier de transformation, destiné dans un premier temps à valoriser les fruits et légumes de deuxième choix ».

Plus prestement, l’Earl va aussi compléter son réseau de goutte-à-goutte pour s’accommoder des restrictions d’irrigation en vigueur dans le département, dans un double souci de respect des règles et de « solidarité » avec l'ensemble des agriculteurs.

Ne plus négliger la communication

Thomas a par ailleurs investi le champ de la communication, en ouvrant une page Facebook destinée notamment à montrer, derrière l’étal de fruits et légumes, l’envers du décor, en tous points honorable évidemment. « Au marché, les clients sont juste face au prix, c’est important de leur montrer l’environnement, les plantations, la biodynamie, la fabrication du compost », explique Thomas. L’initiative est à rattacher au confinement du printemps 2020, pendant lequel l’Earl a initié la vente de paniers.

"Dans le prix d’un produit conventionnel, il n’y a pas le coût des atteintes à l’environnement, on ne l’a pas assez expliqué"

La démarche ravit le père de Thomas. « On n’a peut-être pas assez communiqué, pas assez expliqué que dans le prix d’un produit conventionnel, il n’y a pas le coût des atteintes à l’environnement alors que dans le prix d’un produit bio, il y a le prix du respect des milieux et de la santé du consommateur mais aussi de celle du producteur ». Un mea culpa dont fait sien depuis peu la filière bio, en proie à la première crise de son histoire, sur fond d’inflation et de concurrence des éco-labels (HVE, ZRP...) et d'une prétendue prédilection pour le « local ». Le producteur pointe aussi « l’emballement » des magasins bio qui ont ouvert « à chaque coin de rue ».

Cette bonne parole, l’Earl pourrait dans un avenir plus ou moins proche la porter au sein d’un magasin de producteurs bio auquel elle réfléchit avec une dizaine d’agriculteurs. « La demande est là, estime Nicolas Payré. On proposerait un prix intermédiaire entre celui que l’on affiche sur les marchés et celui pratiqué par les magasins spécialisés ».