Influenza aviaire : les filières à la veille d’un big bang ?

[Edito] Le ministère de l’Agriculture et les interprofessions ont scellé une feuille de route visant à explorer les conditions d’une baisse de densité des élevages, facteur avéré de la diffusion de l’influenza aviaire, aux effets toujours plus dévastateurs. Mais la dédensification, c’est un autre big bang.

Le projet tient dans la fiche action n°7 du plan d’action dévoilé par le ministère de l’Agriculture le 29 juillet dernier, à l’intitulé suivant : « Engager une réflexion à moyen et long terme sur l’adaptation et la transformation des secteurs de production avec un objectif central : bâtir l’élevage de demain ». Dit autrement, il s’agit d’ouvrir le chantier de la maîtrise des densités d’élevage, de la protection des sites sensibles (sélection accouvage) et de réinventer des modèles économiques. Après quatre épizooties en sept ans, dont la dernière paroxystique (1378 foyers en élevages, 19,3 millions de volailles abattues, 1,1 milliard d’euros d’indemnisations sanitaires et économiques), c’est la première fois que le sujet des densités s’invite officiellement dans la stratégie de lutte à l’échelon national. Le Sud-Ouest l’avait esquissé en canards gras à l’automne dernier, notamment en Chalosse (Landes).

Une double vulnérabilité

Du fait de la récurrence et de la virulence des épizooties, les filières sont contraintes à cet aggiornamento. Selon l’Anses, la maladie pourrait désormais se manifester par des réintroductions à l’origine d’épizooties récurrentes, voire évoluer en endémisation avec une possible implantation virale au sein de l’avifaune locale non migratrice. Le fait est que deux cas ont été détectés les 29 et 30 juillet, respectivement dans des élevages de la Manche et de la Somme. L’épizootie 2021-2022 a par ailleurs confirmé l’hypothèse de l’Anses selon laquelle la densité d’élevage est un des facteurs de diffusion du virus. En s’attaquant aux Pays de la Loire, le virus a aussi pointé une autre vulnérabilité, celle du maillon sélection-accouvage, cette région (avec les Deux-Sèvres) y contribuant à hauteur de 55%, en plus de représenter 25% de la production avicole nationale, en volume comme en valeur.

Le plan « Adour » en cobaye

Le chantier de la maîtrise des densités d’élevage est courageux car il est porteur d’un big bang pour les filières concernées (chair, œufs, foie gras), avec des incidences socio-économiques potentiellement très fortes pour tous les maillons de la chaine, les éleveurs étant bien entendu en première ligne. A l’heure où la consommation de poulet augmente, et avec elles les importations, la réflexion ne pourra pas occulter la question de la compétitivité, déjà pas mal déplumée, notamment en poulet standard, alors que se profile à l’horizon 2026  le cahier des charges de l’European chicken commitment (ECC).

Mais dans la balance, il y a là aussi un enjeu de santé publique, l’influenza aviaire n’étant pas exempte de risque zoonotique, comme le souligne l’Anses, sans compter le sort funeste de millions d’animaux et l’épreuve subie par les éleveurs, les opérateurs et les agents de l’Etat lors des euthanasies et dépeuplements préventifs.

Le retour d’expérience de la dédensification programmée l’hiver prochain dans le Sud-Ouest à travers le plan « Adour » (vide sanitaire du 15 décembre au 15 janvier dans 68 communes, indemnisations élargies à 270 jours) sera à ces égards riche d’enseignements, alors que le plan avive déjà les tensions entre parties prenantes, la Confédération paysanne et le Modef dénonçant des injustices en matière d’indemnisations. Les conclusions de la réflexion sur les densités au plan national sont attendues pour le premier semestre 2023. A cette échéance, l’expérimentation de la vaccination sur palmipèdes devrait aussi avoir livré son verdict. Croisons les palmes.