L’agroéquipement, la bulle et le smartphone

[Edito] L’agroéquipement n’a rien perdu de sa capacité d’attraction terrienne. Mais l’inflation du prix des machines, limite spéculative, alliée aux transitions agroécologiques et climatiques, nourrit une prise de distance dépassionnée mais pas déconnectée.

« Un tracteur ou une moissonneuse-batteuse, ça ne rapporte rien ». « Quand je sors un engin, je sais très précisément ce qu’il me coûte », « Acheter du matériel neuf, pas pour moi », « On a développé au maximum la mutualisation ». « Lors de notre conversion en bio, on a fait appel à l’entraide plutôt que d’investir dans du matériel de binage ». « Les subventions, on y regarde à deux fois car on a parfois l’impression que le prix du matériel intègre le montant de la prime ». Ce sont là quelques déclarations recueillies dans les allées et sur les stands d’Innov-Agri, pour ne pas dire « in love agri » tant la satisfaction de retrouver la vie d’avant la pandémie était palpable. On a adoré la poussière soulevée par les machines en action. Merci le masque.

Le surinvestissement, c’est dans la cour d’à-côté

Ces paroles glanées auprès de visiteurs n’ont évidemment aucune valeur statistique et n’engagent que leurs auteurs. Si l’on en croit ces témoignages, le surinvestissement, c’est dans la cour de ferme d’à côté. Et pourtant, les charges de mécanisation sont, en France, globalement plus élevées que chez nos voisins – et compétiteurs – européens, notamment dans le secteur des grandes cultures. C’est ce qui ressort, entre autres enseignements, de la méga-analyse de compétitivité des filières, dévoilée récemment par FranceAgriMer.

Difficile de voir un lien de cause à effet entre la pandémie et la sagesse affichée par les agriculteurs. Encore que. La reprise économique qui se dessine au plan mondial crée des tensions énormes sur les cours des matières premières, et pas seulement agricoles. Acier, pneus, composants hydrauliques et électroniques : la pénurie menace et les délais s’allongent. Le défaut d’un simple tapis de sol peut à lui bloquer un tracteur en sortie d’usine. Résultat : sur certains composants, la flambée des prix atteint parfois 70% selon les constructeurs. Les tractoristes et les majors s’évertuent à contenir les hausses finales de tarifs entre 5% et 7%, en jouant de leurs forces de négociation et d’organisation et en arrachant des gains de productivité. Mais sans pour autant s’interdire de réimprimer les tarifs dans les mois à venir.

Le smartphone plutôt que le stylo

Si la hausse des prix ne rebute pas automatiquement les investissements, elle offre opportunément matière à réfléchir à deux fois avant d’investir dans un matériel subissant une flambée à deux chiffres. Certains agriculteurs soupçonnent, non sans raison, un caractère spéculatif qu’ils refusent d’alimenter, d’autant que les matériels en parc sont rarement en réelle fin de vie.

Cette prudence s’avère très prégnante chez les jeunes installés, davantage soucieux de réussir leur transition agroécologique et climatique que de parader au volant du petit (gros) dernier. « On vend de la technologie comme jamais, l’agronomie s’invite de plus en plus dans la discussion et le renouvellement à puissance égale n’est plus rare », confie un full-liner. Les jeunes ont aussi une propension à dégainer leur smartphone et à afficher leurs ratios et indicateurs comptables. En moins de temps qu’il n’en faut pour signer un bon de commande.