L'UE durcit les contrôles sur les produits issus de la déforestation... mais ouvre une brèche énorme à la concurrence déloyale

Un règlement censé lutter contre la déforestation pourrait ouvrir la porte à des produits russes blanchis sur le marché européen ou d'autres issus de pays tiers, soumis à moins d'exigences. A la clef : une concurrence déloyale et un risque économique pour les filières françaises.

Alors que le bois illégal russe continue d’alimenter le marché européen malgré les sanctions imposées depuis 2022, l’Union européenne s’apprête à appliquer son règlement phare contre la déforestation, l’EUDR, adopté en 2023. Pour rappel, un règlement s'applique à tous les Etats membres, sans lois de transposition. Prévu pour entrer en vigueur le 30 décembre 2025, ce texte oblige aux importateurs à prouver que leurs produits – bois, soja, café, cacao, huile de palme, bétail – ne contribuent pas à la déforestation. Cela implique une traçabilité rigoureuse : géolocalisation des parcelles de production, documentation complète, évaluation des risques et contrôles par les autorités compétentes. 

L’un des objectifs majeurs de l’EUDR est de freiner l’importation de produits issus de la déforestation, notamment en provenance du Brésil. Le soja brésilien et la viande bovine sont fortement liés à la déforestation en Amazonie. Grâce à l’EUDR, l’obligation de la traçabilité permet de remontrer jusqu’à la ferme d’origine et d’assurer aussi aux pays importateurs que les produits respectent bien les normes européennes. Cette exigence met une pression directe pour les exportateurs brésiliens, qui devront démontrer leur conformité. Pour les agriculteurs français, cette mesure représente une protection bienvenue contre une concurrence jugée déloyale et les futurs accords du MERCOSUR. 

Voir aussi : accord UE-Mercosur, la France met en garde contre un "passage en force". 

Une réforme contestée au Parlement européen

Le 9 juillet 2025, le Parlement européen a rejeté le système proposé par la Commission visant à classer les pays fournisseurs en trois niveaux de risque (faible, standard, élevé). Ce système a été jugé peu fiable et incohérent. Des pays à forte déforestation comme le Brésil ou l’Indonésie figuraient en « standard », tandis que des partenaires économiques tels les États-Unis ou la Chine apparaissaient en catégorie « faible risque », sans fondement environnementale solide. Seuls les pays soumis à des sanctions internationales, à l’instar de la Russie ou la Corée du Nord par exemple, ont été classés en “risque élevé”. Ce rejet a rouvert la porte à une proposition défendue de longue date par le Parti populaire européen (PPE), qui rassemble les forces de centre-droit, conservateurs et démocrates-chrétiens : l’introduction d’une quatrième catégorie « sans risque ».

La catégorie "sans risque" : simplification ou faille majeure ?

Cette nouvelle catégorie exempterait certains pays de toutes obligations de traçabilité, y compris la géolocalisation des parcelles. Les produits en provenance de ces États pourraient ainsi entrer librement sur le marché européen, sur simple déclaration et sans contrôle. Plusieurs ONG alertent sur le risque important de contournement des règles. Earthsight, en particulier, documente depuis deux ans la manière dont du bois russe, pourtant sanctionné, est reconditionné, via la Turquie, la Chine ou le Kazakhstan et vendu dans l’UE avec des certificats d’origine douteux. Si ces pays étaient déclarés « sans risque », ces pratiques deviendraient légalement indétectables.
Malgré les sanctions décidées en 2022 après l’invasion de l’Ukraine, le bois russe continue d’alimenter les marchés européens. Selon Earthsight, plus de 1,5 milliard d’euros de contreplaqué de bouleau illégal auraient été importés dans l’UE depuis 2022, soit environ une vingtaine de conteneurs par jour. Huit pays européens – dont la Pologne, l’Italie, le Portugal et la Tchéquie – concentrent près de 70 % de ces flux. Plusieurs de ces États soutiennent aujourd’hui l’instauration d’une catégorie « sans risque », qui pourrait institutionnaliser ces pratiques.

Quel impact pour les agriculteurs français ?

Pour les exploitants français, cette exemption représente un risque commercial et réglementaire. Si la France obtenait ce statut “sans risque”, cela allégerait les démarches administratives, les contrôles ou encore les coûts de conformité. Mais si d’autres pays - où les normes sont moins stricts - accédaient aussi à cette exemption, cela créerait une distorsion de concurrence. Des produits agricoles ou forestiers moins chers, issus de déforestation ou de pratiques douteuses, pourraient concurrencer ceux des filières françaises engagées dans la durabilité. Dans ce contexte, l’entrée éventuelle du Brésil dans cette catégorie serait particulièrement problématique. Le pays pourrait devenir un fournisseur majeur de l’Union européenne, simplement en montrant “patte blanche”. 

Une ligne rouge pour la France

Face à ces dérives, la France adopte une position de fermeté. Le gouvernement s’oppose clairement à l’introduction d’une catégorie « sans risque » qui viderait le règlement de sa substance. Pour Paris, il en va de la crédibilité de la politique climatique européenne, de la robustesse des sanctions contre Moscou, mais aussi de la protection de ses propres filières agricoles et forestières. Si la catégorie “sans risque” venait à passer, elle pourrait mettre en péril tous les efforts déjà fournis. En assouplissant le règlement, l’Union risquerait de sacrifier les acteurs vertueux au profit de produits importés, moins chers et moins transparents. 

En cherchant à renforcer ses standards environnementaux, l’Union européenne prend paradoxalement le risque d’ouvrir une brèche à la concurrence déloyale. Derrière les ambitions du règlement EUDR, les failles juridiques laissées ouvertes pourraient permettre à des produits illégaux de contourner les contrôles — fragilisant les filières agricoles européennes au nom de l’efficacité administrative.