Les eaux usées traitées, un peu plus qu’une goutte d’eau pour irriguer

Encore embryonnaire en France, la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) constitue une ressource potentielle éprouvée dans de nombreux pays. Même s’il ne faut pas en sous-estimer les limites, d'ordre financier et hydrologique, le recyclage des eaux usées peut apporter sa contribution à la sécurisation de la production agricole.

30% : c’est l’économie d’eau générée par la réutilisation d’eaux usées traitées issues de la station d’Aureilhan (Hautes-Pyrénées) sur une surface de 8 ha de maïs, à laquelle il faut ajouter 10% d’économie d’engrais. Mené depuis 2018 à titre expérimental par SEDE Environnement, avec le soutien des pouvoirs publics, le projet de recherche SmartFertiReuse, est l’un des rares exemples, en France, de réutilisation d’eaux usées traitées (REUT).

Possible en viticulture

Dans l’Aude, c’est la vigne qui profite de la REUT, dans le cadre d’un projet expérimental conduit par l’INRAE sur sa station de Pech-Rouge. Un démonstrateur de 80 ha reçoit les eaux sortant de la station d’épuration de Narbonne-Plage. Comparativement aux eaux usées rejetées dans l’environnement, qui subissent classiquement deux traitements, les eaux destinées à irriguer la vigne reçoivent un traitement tertiaire reposant sur la chloration et l’irradiation UV. Son but est d’éliminer de façon ciblée les micro-organismes pathogènes, bactéries ou virus, présentant des risques de contamination pour l’environnement, la santé humaine, animale et végétale. Ce traitement tertiaire est rigoureusement suivi par l’Agence régionale de la santé (ARS) qui réalise notamment le traçage de molécules dangereuses (comme celles présentes dans les médicaments­­) afin de vérifier que leur quantité ne dépasse pas le seuil autorisé dans l’eau potable. De nombreuses analyses de l’eau sont ainsi réalisées dès la sortie de la station d’épuration, puis au niveau du sol, des raisins et jusque dans le vin, afin que les exigences sanitaires soient strictement respectées. Résultats ? Le premier millésime est en bouteilles !

La France en retard...

D’un point de vue réglementaire, la réutilisation des eaux usées traitées pour l'irrigation des cultures est autorisée depuis un arrêté du 2 août 2010, complété par un arrêté du 25 juin 2014. En mars dernier, un nouveau décret a élargi l’éventail des réusages. Ces différents arrêtés ont fait suite à plusieurs expérimentations menées depuis de longues années, notamment dans les îles (Ré, Noirmoutier, Oléron, Porquerolles…) où les contraintes hydriques sont souvent exacerbées.

Evolution du nombre de cas de REUT en fonction, avortés, en projet et abandonnés parmi les 128 cas de REUT recensés en mai 2017 (Source : Cerema)
Evolution du nombre de cas de REUT en fonction, avortés, en projet et abandonnés parmi les 128 cas de REUT recensés en mai 2017 (Source : Cerema)

Selon le Cerema, un centre d’expertise partagé par l’Etat et les collectivités, 63 cas de REUT étaient recensés en 2017, portant  le taux de réutilisation des eaux usées à moins de 0,6 %. Selon l'INRAE, ce taux s’établit à 2,4 % en moyenne en Europe du Nord. Il est beaucoup plus élevé dans les pays méditerranéens. Il pointe ainsi à 60% à Malte et 85% en Israël. Dans ce pays, les deux tiers des eaux usées traitées servent l’irrigation. A Shafdan, sur le littoral proche de Tel Aviv, l’usine de traitement des eaux de Mekorot traite 370 000 m3/jour. Le processus de traitement s’achève par un lagunage sur sable, laissant l’eau s’infiltrer sur un horizon de 150 m avant de rejoindre l’aquifère d’eau douce. Un cycle de 400 jours au bout duquel l’eau pompée affiche des caractéristiques propres à l’eau de boisson.

Vue aérienne de la station de Shafdan en banlieue de Tel Aviv en Israël, pays où le taux de réutilisation des eaux usées atteint 85%, les deux tiers servant l’irrigation (Crédit photo : Mekorot)
Vue aérienne de la station de Shafdan en banlieue de Tel Aviv en Israël, pays où le taux de réutilisation des eaux usées atteint 85%, les deux tiers servant l’irrigation (Crédit photo : Mekorot)

... mais une volonté politique affichée

En 2019, les Assises de l’eau ont fixé un objectif de triplement de la REUT à l’horizon 2025. Dans le cadre du Varenne de l’eau, l’État s’est engagé à améliorer la connaissance des eaux non-conventionnelles via la création d’un observatoire dédié à la réutilisation des eaux usées traitées au sein du portail national de l’assainissement communal. L’objectif est de capitaliser les retours d’expérience et de faire connaître ces techniques auprès des collectivités territoriales. Les expérimentations locales devraient aussi se multiplier.

L’Europe pousse aussi à la roue. Dans la perspective du futur règlement européen entourant la REUT et entrant en vigueur le 23 juin 2023, la Commission européenne vient de publier ses lignes directrices pour aider les autorités nationales et les entreprises concernées à appliquer les règles de l'UE relatives à la réutilisation en toute sécurité des eaux usées urbaines traitées pour l'irrigation agricole.

Des limites financières et hydrologiques

La REUT pourrait donc apporter sa contribution à la réduction des tensions sur la ressource et à la sécurisation de la production agricole de vue de la ressource. Dans un département comme la Charente-Maritime, selon la Chambre d’agriculture, les volumes d’eau usées équivalent aux volumes prélevés pour l’irrigation. Les eaux usées traitées représentent un gisement annuel de 8,4 milliards de m3 en France métropolitaine. Selon Eaufrance, l’agriculture prélève 3,6 milliards de m3 (2016) pour irriguer.

Sans compter les autres leviers d’adaptation (assolements, gestion des sols, pilotage de l’irrigation...), la REUT s’ajouterait aux autres infrastructures de stockage, existantes et potentielles, que sont les barrages, les retenues collinaires, les retenues de substitution collectives, les transferts d’eau entre bassins ou encore la réalimentation artificielle des nappes.

Cependant, selon l’INRAE, les procédés induits par les REUT sont coûteux, une problématique commune à tous les types d’infrastrutures. Ils sont plutôt réservés à des zones péri-urbaines, proches des stations d’épuration, et à des zones côtières. Cependant, lorsqu'ils sont faibles, les volumes de rejet d'une station d'épuration urbaine peuvent représenter une part significative du débit d’un cours d’eau et leur réutilisation pour l'irrigation agricole, en réduction du rejet en cours d'eau, peut alors avoir un impact hydrologique dommageable. Dans l’Hérault par exemple, le Schéma départemental d’irrigation (SDI) 2018-2030 a exclu la possibilité de mobiliser les eaux usées traitées de l’agglomération de Montpellier.

En dehors des zones urbaines et littorales, les rejets de stations d’épuration soutiennent l’étiage des cours d’eau. Les eaux usées ne donc pas jamais totalement « perdues ».