Mycea ou quand les champignons se font...gicides

Créée en 2018, la start-up Mycea s’est donnée pour mission d’explorer la formidable diversité du règne des champignons. Elle y cherche, d’une part, des molécules aux activités antifongiques susceptibles de remplacer les fongicides. D’autre part, des populations de champignons endomycorhiziens, propres à chaque terroir, qui pourraient stimuler les cultures et les rendre moins dépendantes des intrants.

Ni animaux ni végétaux, les champignons ou plutôt fonges ou mycètes constituent un monde à eux seuls : 1,5 million d’espèces, très diverses dans leurs formes, puisqu’elles vont des êtres unicellulaires (comme les levures) aux organismes complexes que sont les macro-champignons dotés d’un pied et d’un chapeau, également très appréciés en poêlées automnales. D'autres, rendent de fiers services à l’humanité, comme ceux qui permettent la fermentation du jus de raisin en vin, ou du lait en fromage, ou encore ceux qui sont à l’origine de la découverte fortuite de la pénicilline (issue de Pénicillium notatum), l’un des antibiotiques les plus précieux de la médecine humaine.

Les champignons détruisent 20 % des cultures

Mais bien d’autres mycètes compliquent la vie des humains, en causant des pertes aux cultures agricoles. Ils ont pour nom mildiou, oïdium, rouille, tavelure, septoriose, botrytis, ergot de seigle… Aujourd’hui, environ 20 % de la production agricole mondiale est détruite par les maladies fongiques. Et encore, ces pertes parviennent à être limitées en partie grâce à l’usage massif de fongicides. Ces pesticides, qui représentent un marché mondial de 20 milliards de dollars chaque année, protègent les cultures mais sont responsables de pollutions importantes dans les eaux et dans les sols. 

Pouvoir remplacer ces fongicides chimiques par des molécules dites de biocontrôle, c’est-à-dire issues de mécanismes naturels, posant peu ou pas de problèmes de pollution, constitue un enjeu majeur de l’agroécologie. En partant de l’hypothèse que les champignons sont un réservoir de molécules nouvelles, la start-up montpelliéraine Mycea, créée en 2018, s’est donnée pour mission d’explorer leur formidable biodiversité « à ce jour encore peu exploitée et peu valorisée », décrit Pierre-Jean Moundy, co-directeur général de Mycea

Mais chercher une molécule active parmi 1,5 million d’espèces (en réalité, seul un dixième est connu), c’est un peu chercher une aiguille dans une botte de foin : Mycea prépare des extraits à partir de quelques centaines de champignons et les testent contre une quarantaine de pathogènes agricoles. Cette recherche au long cours (plus de 5 ans) n’a pas encore abouti à un produit disponible sur le marché. Mais quelques extraits ont montré des activités intéressantes. Deux d’entre eux sont même pressentis comme solutions de biocontrôle contre le mildiou (sur pomme de terre et vigne), le botrytis (vigne) et la tavelure (sur fruits à pépin). Les essais de ces candidats au biocontrôle sont en cours de réalisation cette année, en conditions réelles sur des parcelles cultivées.

©Mycea

Quand les champignons sont des alliés des plantes

Mycea explore aussi les propriétés positives des champignons vis-à-vis des végétaux. "Sans les champignons, il n’y aurait pas de végétaux sur terre", rappelle Pierre-Jean Moundy. Certains champignons dits endomycorhiziens sont en effet capables de créer des symbioses, associations étroites avec les racines des végétaux qui augmentent considérablement leurs performances trophiques.

« Il s’agit d’un échange entre la plante et le champignon. La plante fournit des sucres au champignon et en échange, le champignon augmente les capacités d’absorption de l’eau et des nutriments de la plante », décrit Pierre-Jean Moundy. «On estime qu’une racine mycorhizée est capable de prospecter 1000 fois plus de volume de terre qu’une racine non mycorhizée ».

Sur ce sujet aussi, Mycea s’est lancée dans des recherches de longue haleine, pour explorer la diversité des populations de champignons endomycorhiziens dans les sols agricoles français. L’entreprise a notamment caractérisé leurs populations dans des sols viticoles, en constituant un réseau de 44 parcelles situées dans 5 régions viticoles.

Des populations propres à un terroir

Les analyses des populations endomycorhiziennes de ces parcelles montrent qu’elles sont souvent propres à chaque sol, ce qui valide au passage la notion de terroir, mais qu’elles dépendent aussi des pratiques agricoles. Ainsi, les sols sont plus riches en quantité et en diversité de champignons endomycorhiziens lorsque les vignes sont conduites en bio, et lorsqu’elles sont enherbées. Le labour a également un impact négatif sur les champignons endomycorhiziens. Le travail du sol trop profond casse les réseaux mycéliens et est défavorable à leur développement.

Sachant que chaque terroir possède des communautés de champignons caractéristiques, Mycea explore la possibilité de réensemencer les sols appauvris avec une culture de leurs propres champignons, ou de champignons issus d’un sol très voisin. Une sorte d’autogreffe de champignon, après multiplication des souches en laboratoire.

Un tout premier essai a eu lieu durant trois années, sur une vigne héraultaise, âgée de 40 ans et devenue très peu productive. Le résultat est encourageant, puisque, durant les deux premières années, le rendement de la vigne a été multiplié sur la partie réensemencée de la parcelle, par deux par rapport à la partie non ensemencée. La 3 e année d’essai, les deux parties de parcelles ont présenté le même rendement amélioré, « car les mycorhizes ont fini par coloniser toute la parcelle », décrit Pierre-Jean Moundy.

Les dirigeants de Mycea en sont désormais persuadés : « Il est possible de reconstituer le capital biodiversité dans un sol ». Les implications de ces travaux pourraient largement dépasser la seule restauration de parcelles dégradées. Pouvoir disposer de ces stimulants que sont les champignons endomycorhiziens pourrait permettre aux cultures concernées d’être plus résistantes aux stress comme la sécheresse ou les maladies, et d’être beaucoup moins exigeantes sur les engrais et minéraux.