Politique foncière : les attentes et propositions des propriétaires-bailleurs

La Fédération Nationale de la Propriété Privée Rurale (FNPPR) attend du législateur des assouplissements du statut du fermage et, de la part de l’Etat, un allègement de la fiscalité. Interview de son président, Bruno Keller.

L’enterrement du projet de loi agricole nourrit-il des regrets à la FNPPR ?

Bruno Keller :  le fait qu’une grande loi d’orientation puisse faire abstraction de la problématique foncière nous interrogeait car il s’agit d’une question centrale. Dans les 10 ans à venir, 150.000 agriculteurs vont partir en retraite, ils exploitent en moyenne 60 ha chacun, donc 10 millions d’hectares vont changer de main. On a l’impression que le chiffre de 10 millions fait peur et à juste titre. Je comprends qu’il s’agit d’une question politique délicate car touchant en partie au statut du fermage, un acquis de longue date.

Bruno Keller, La Fédération Nationale de la Propriété Privée Rurale (Source : FNPPR)
Bruno Keller, La Fédération Nationale de la Propriété Privée Rurale (Source : FNPPR)

Quels sont vos griefs à l’endroit du statut du fermage ?

Bruno Keller : les contraintes inhérentes au statut du fermage constituent un frein à la location des terres. Lors de notre congrès [le 14 mai dernier à Paris, réunissant plus de 450 bailleurs agricoles], des avocats nous ont fait part du fait que, dans le cadre de successions, la question récurrente de leurs clients était de savoir comment éviter le statut du fermage. Si l’on ne fait rien, les propriétaires ne voudront plus louer et les agriculteurs auront de plus en plus de difficultés à accéder à leur outil de travail.

Quels sont, de votre point de vue, les principaux verrous du statut du fermage ?

Bruno Keller : ils sont au nombre de trois. Le premier est lié à la reconduction ad vitam aeternam du bail rural. Si vous transmettez du foncier à vos enfants, ils sont liés au bail en cours. Il faut revoir la reconduction tacite des baux ruraux. Le deuxième tient au droit de préemption, qui permet au locataire d’acheter prioritairement des terres à moindre prix. Repenser le droit de préemption est nécessaire. Le troisième tient au contrôle des structures, qui ne prévoit pas pour le bailleur de droit de refus sur le choix de l’exploitant de ses terres. Ces trois aménagements, à coût zéro pour les finances publiques, ne figuraient pas dans le projet de loi d’orientation agricole.

En matière de fiscalité, quelles sont vos revendications ?

Bruno Keller : la rentabilité du foncier non bâti est très faible, de l’ordre de 1,5% à 2%, voire négative selon la situation du bailleur au regard de l’impôt sur les revenus et sur la fortune immobilière. On nous répète sans cesse que les impôts n’augmentent pas mais en l’espace de trois ans, la TFNB a augmenté de 14% sous l’effet d’une modification de l’assiette (les taux d’imposition fixés par les communes n’ayant pas nécessairement évolué). Il faut absolument remettre le foncier au cœur du débat et donner envie à ceux qui le détiennent de le conserver, à la génération suivante de le conserver et s’il y a du foncier à vendre, de redonner de l’attrait à cet investissement.

Que pensez-vous des Groupements fonciers agricoles d’investissement abandonnés eux aussi en rase campagne ?

Bruno Keller : on prétend réconcilier le monde agricole avec la société civile mais avec les GFAI, on allait faire dialoguer les agriculteurs avec une part sociale, qui plus est soumise à l’autorité des marchés financiers et génératrice de frais de gestion. Plutôt que d’accorder des avantages fiscaux à l’acquisition de parts, mieux vaut les accorder directement aux propriétaires.

Qu’en est-il du partage de la valeur générée par l’agrivoltaïsme ?

Bruno Keller : l’agrivoltaïsme présente l’avantage, dans les zones un peu délaissées, de retrouver un peu de rentabilité tant pour l’exploitant agricole que pour le bailleur et de rendre plus attrayante la transmission de l’exploitation. Mais l’affaire est un peu plus complexe et le partage de la valeur moins schématique que ce que l’on peut entendre parfois. Un projet agrivoltaïque suppose que le propriétaire et l’exploitant sortent les terres concernées du statut du fermage, moyennant une indemnité versée par l’énergéticien à l’exploitant et faisant l’objet d’un premier contrat. Un second contrat lie l’énergéticien au propriétaire foncier, lequel se trouve quasiment dépossédé du droit de propriété sous l’effet de la signature d’un bail emphytéotique sur 30 ou 40 ans, en contrepartie de quoi une rémunération est négociée de gré à gré et qui ne regarde que ces deux parties. Enfin, un troisième contrat lie l'énergéticien à l’exploitant destiné à compenser les contraintes subies par l’exploitant en raison de la présence de panneaux photovoltaïques et qui, là encore, ne regarde que les deux parties. On est donc très loin du très schématique partage de la valeur « 50/50 » avancé ici ou là. Je souligne au passage deux sources d’insécurité juridique potentiellement préjudiciables pour les propriétaires. La première concerne le risque de défaut de l’énergéticien et d’une éventuelle astreinte de démantèlement. La seconde est liée au changement d’exploitant en cours de bail emphytéotique. Des textes sont attendus pour prévenir ces risques. En tout état de cause, ces projets sont conditionnés au maintien de l’activité agricole et à l’absence de nuisance pour l’environnement et le paysage.