- Accueil
- Sécheresse dans les Pyrénées-Orientales : « Sur cette syrah, on a perdu de l’argent en la vendangeant »
Sécheresse dans les Pyrénées-Orientales : « Sur cette syrah, on a perdu de l’argent en la vendangeant »
[Reportage] Dans les Pyrénées-Orientales, après trois années de sécheresse, le rendement moyen est tombé autour de 20 hl/ha, bien en-deçà des seuils de rentabilité. Le plan d’arrachage pourrait effacer la vigne du territoire, sans autre alternative que la friche… sinon les cactus.
A Terrats (Pyrénées-Orientales), Amaury Paraire incarne potentiellement la 6ème génération de viticulteurs. Potentiellement car le jeune homme est encore étudiant. « Mon père et mon grand-père m’ont dit : fais quelque chose à côté ». Ce pas de côté, ce sera kinésithérapeute, dont il achèvera le cursus à l’été 2025. En attendant, l’étudiant donne la main à l’exploitation familiale qui compte 35 hectares de vignes. « Cette syrah, qui a été plantée il y a plus de dix ans, elle a une certaine maturité, mais cet été, elle a été foudroyée par le soleil. On a perdu de l’argent en la vendangeant ».
Selon les premières estimations, le rendement moyen du vignoble des PO pourrait tomber à 20 hl/ha en 2024, une chute brutale d’un tiers sur un an, s’expliquant par l’effet cumulatif d’une sécheresse qui n’en finit pas depuis le printemps 2022. Selon le Syndicat mixte pour la protection et la gestion des nappes souterraines de la plaine du Roussillon, l’année hydrologique 2023-2024 (septembre à août) s’est achevée avec un cumul pluviométrique de seulement 301mm à Perpignan, soit la moitié de la normale (578mm). En 2022-2023, le cumul avait plafonné à 280mm, le tout faisant naître un risque de salinisation des nappes, pointé par le BRGM.
L’échéance du 13 novembre
Le département des Pyrénées-Orientales est aux avant-postes des méfaits du changement climatique, à telle enseigne que le gouvernement a déclenché au printemps dernier un « plan de résilience pour l’eau », crédité de 10 millions d’euros, alloués notamment à la rénovation de canaux d’irrigation et à la réutilisation des eaux usées. Mais dans le même temps, le ministère de l’Agriculture enclenchait, au plan national, un dispositif de réduction définitive du potentiel viticole, assorti d’une aide forfaitaire de 4000 €/ha au mieux à l’arrachage définitif de parcelles.
Alors que le dispositif est censé offrir une bouée à des exploitations fragilisées par la mévente du vin, dans les PO, la profession s’inquiète d’un potentiel succès retentissant, qui pourrait araser jusqu’à 8000 ha de vignes aux dires de certains, et achever de sabrer la viticulture, qui concerne une exploitation sur deux, et où un exploitant sur trois a 60 ans ou plus. Entre 2010 et 2020, le vignoble a déjà perdu 29% de sa superficie (19.840 ha en 2020). Autant dire que l’échéance du 13 novembre, date de clôture du dispositif, est scrutée de près par l’ensemble des institutions. « Ce plan d’arrachage, c’est quelque chose que l’on est forcé de regarder », concède Amaury Paraire.
La friche, future culture n°1 des PO ?
Quel que soit l’impact du dispositif, il grossira encore un peu plus le réservoir de friches qui occuperaient 15,5% de la SAU des PO, soit 10.559 ha, selon l’outil d’inventaire et de suivi WaSaBi. Derrière les prairies, la friche deviendrait ainsi la « culture » n°1 du département, devant la vigne, l’arboriculture et le maraichage. Au-delà des répercussions économiques, et paysagères, c’est l’identité même de tout un territoire qui serait ébranlée, avec quelques pépites comme les vins doux naturels (Banyuls, Maury, Rivesaltes et Muscat de Rivesaltes) ou encore ses pittoresques vignobles en terrasses de Banyuls et Collioure plongeant dans la Méditerranée.
Si la famille Paraire n’est pas complètement indifférente au plan d’arrachage, c’est pour éventuellement en exploiter le volet offensif, consistant à arracher des parcelles en souffrance pour les convertir par exemple à la culture de l’olivier. Il s’agit là d’une diversification que l’exploitation a entamée il y a quelques années, mais qui ne la soustrait pas pour autant aux problématiques hydriques. D’où les friches et le pessimisme ambiant dans le département face au « mirage » de la diversification. Amaury Paraire lorgne sur d’autres espèces telles que le figuier de barbarie et l’Aloe vera, deux espèces inféodées aux territoires arides. Aux grands maux les grands remèdes. Et dans un an, le jeune homme sera-t-il nanti d’un numéro Adeli (professionnel de santé) ou d’une affiliation à la MSA ? « Dans l’idéal, les deux, agriculteur le matin, kiné l’après-midi », devise Amaury.
Le Ciel pourrait aussi y mettre du sien : la pluie a fait son retour en toute fin du mois d’octobre sur le département, notamment dans l’intérieur des terres, où 132 mm ont été mesurés en 24 heures à Perpignan le 28 octobre selon Météo-France. Il est ainsi tombé en 24 heures la moitié du cumul de l’année 2023 sur la cité catalane (245 mm). Puissent ces millimètres se convertir en hectolitres en 2025.