- Accueil
- A Terrats (66), la cave coop suspendue au pas du lézard ocellé et au vol de la pie-grièche
A Terrats (66), la cave coop suspendue au pas du lézard ocellé et au vol de la pie-grièche
[Reportage] Aux prises à des chutes de rendement systémiques, la cave coopérative désespère la sortie de terre de deux retenues bloquées dans les tuyaux administratifs depuis 15 ans. Malgré les visites successives des ministres Fesneau et Genevard, « on ne creusera pas en 2025 », déplore le président des Vignobles Terrassous, alors que s’envolent le budget prévisionnel, les adhérents et la friche.
Un peu plus de 30.000 hl en 2018, « la dernière belle récolte en date », 25.000 hl en 2020, 19.000 hl en 2023 et pour finir, 12.000 hl en 2024. « En l’espace de quelques années, on est passé d’un rendement moyen de 38hl/ha à 20hl/ha et la vigne devient sujette au phénomène d’alternance », déclare Patrick Mauran, président des Vignobles Terrassous, cave coopérative sise à Terrats (Pyrénées-Orientales), dans l’arrière-pays catalan. La faute à une sécheresse sans fin, dont les prémices remontent au printemps 2022.
« Nos adhérents subissent la double peine, avec -50% de récolte et +50% de charges de vinification »
Selon le Syndicat mixte pour la protection et la gestion des nappes souterraines de la plaine du Roussillon, l’année hydrologique 2023-2024 (septembre à août) s’est achevée avec un cumul pluviométrique de seulement 301mm à Perpignan, soit la moitié de la normale (578mm). En 2022-2023, le cumul avait plafonné à 280mm. Selon Météo-France, il est tombé 245mm sur la préfecture catalane en 2023. « Nos adhérents subissent la double peine, avec -50% de récolte et +50% de charges de vinification, poursuit Patrick Mauran. Ce n’est plus tenable ».
Si la crise climatique s’est soudainement exacerbée dans les Pyrénées-Orientales (PO), les viticulteurs des Aspres ne sont pas tombés de la dernière pluie. Depuis 2009, avec le soutien de la Communauté de communes des Aspres, ils portent un projet de création de deux retenues d’eau, d’une capacité totale de stockage hivernal de 121.000m3, complétée par un remplissage en étiage de 229.000m3, en période creuse d’irrigation (nuit, intempéries...). « C’est le moyen de capter des eaux de surfaces avant qu’elles ne s’écoulent dans la mer tout en réservant l’eau des forages à la consommation humaine », argumente Patrick Mauran.
La ressource proviendrait du lac de Vinça, un lac artificiel crée en 1976 et d’une capacité de 25 millions de m3, alimenté par les pluies hivernales arrosant la vallée de la Têt et par la fonte des neiges du massif du Canigou, avant d’être acheminée par un canal existant complété par une conduite d’adduction sous pression. Le tout servirait l’irrigation de 350 ha de vignes, équivalant à environ 50% du vignoble de la cave, l’arrosage ne concernant actuellement que 5% du vignoble. Et pourquoi pas des oliviers, des amandiers, des figuiers, des grenadiers, des pistachiers si le salut des exploitations passait aussi par la diversification, qui ne disait pas non nom il y a quelques décennies en arrière.
Sauf que 15 ans plus tard, le projet est toujours au point mort. Le 15 février 2024, en pleine fièvre agricole, face aux élus locaux et aux représentants de la coopérative, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau se déplace à Terrats et s’engage à débloquer le projet au plan procédural avant la fin de l’année, tout en faisant miroiter un soutien financier issu du Plan eau et de son fonds hydraulique.
Le fait est que le même jour, le Préfet saisissait l’Autorité environnementale qui, le 1er juillet, rendait son avis. Verdict ? « Ça bloque en raison notamment de la présence du lézard ocellé et de la pie-grièche sur l’emplacement d’un des futurs bassins », déclare, tout en retenue, Patrick Mauran, qui est aussi le maire de Montauriol, un des villages de la Communauté de communes. « La solution passerait par l’instauration d’une mesure de compensation, assortie d’une politique de gestion pendant 50 ans ».
Un luxe que ne peut pas s’offrir la cave coop, qui n’a pas les moyens de faire la promotion de ses vins hors des frontières départementales et qui surnage à la déprise viticole à coups de fusions à répétition, la dernière remontant à juin dernier avec les caves coopératives d’Elne et de Cabestany. Mais l’ubuesque n’est pas tant dans la préservation d’un couple nicheur de pie-grièche que dans le constat suivant : dans les PO, plus de 10.000 ha de friches, soit 15% de la SAU, gangrènent l’agriculture, un phénomène auquel n’échappe pas le territoire des Aspres où, faut-il le préciser, les deux hypothétiques retenues auraient une emprise, sur la friche, de respectivement 2,5ha et 1,8ha !
« On ne creusera pas en 2025 », déplore Patrick Mauran, qui, le 17 octobre dernier, recevait la ministre de l’Agriculture Annie Genevard. Elle avait amené la pluie (jusqu’à 50 mm par endroits) mais pas de déboucheur genre « DrealStop », au grand dam des viticulteurs.
« La sauvegarde de la cave réside en bonne partie dans le projet d’irrigation »
Pour les 80 adhérents de la cave coopérative (100 avec la fusion), le temps presse. Au plan budgétaire, l’inflation et l’empilement d’études depuis 15 ans ont fait exploser le budget prévisionnel du projet d’irrigation, passé de 5 à 10 millions d’euros. Pendant ce temps, dans un département en voie d’aridification et où un exploitant sur trois a plus de 60 ans, les viticulteurs s’évaporent et les repreneurs désertent. « Plus grave, on a perdu deux jeunes installés, qui ne se sont pas remis des épisodes de gel de 2019 et 2021 puis de la sécheresse qui n’en finit pas », déclare le président de la coopérative, pour qui « la sauvegarde de la cave réside en bonne partie dans le projet d’irrigation ».
Patrick Mauran est persuadé que la création de deux plans d’eau serait bénéfique à la biodiversité, en plus de constituer des réserves pour lutter contre les incendies, autre méfait climatique récurrent et traumatisant dans le département. Dans les Aspres, les 12 et 13 septembre dernier, à trois battements d’aile de pie-grièche, plus de 400ha de garrigues sont partis en fumée au pied du village de Castelnou. Combien de lézards et de pies carbonisées ? La cave coop n’a pas commandité d’étude.
Une chose est sûre : les coopérateurs et leurs responsables successifs n’ont pas attendu l’accumulation de nuages pour tenter de conserver la maitrise de leur destin. Dès 1975, la cave créait la marque Terrassous, bien avant que cette problématique de marque soit identifiée comme un maillon faible de la filière vitivinicole française. Ce qui n’a pas empêché la cave coopérative de batailler pendant 20 ans pour faire aboutir un projet de reconnaissance AOC pour les Côtes du Roussillon « Les Aspres ».
Multiplication des points de vente dans le département (la cave s’est faite caviste avec une franchise Vilavigne), développement d’une offre oenotouristique (qui fêtera bientôt ses dix ans), nouveaux cépages, nouveaux assemblages, cuvées premium, forcing sur le bag-in-box, vins doux naturels millésimés (clés d’entrée sur le grand export), gamme bio (une partie des adhérents est en Ferme Dephy), sans oublier le projet d’irrigation : à part le vin sans alcool (!), la cave fait tout pour déjouer l’aridification, la désertion et la déconsommation, un cocktail maléfique susceptible d’effacer la vigne, et au-delà, l’identité de tout un territoire.
Le 13 novembre prochain se clôturera le dispositif de réduction du potentiel viticole, négocié par la France auprès de la Commission européenne, allouant au mieux 4000€/ha à l’arrachage définitif, dans la limite de 120 millions d’euros. A Terrats, au cœur d’un département où la friche est en passe de devenir la culture n°1 de la SAU (hors prairies), on espère ne pas trop trinquer.