Bio : et le « moins pire » des distributeurs est…

... Carrefour, talonné par Coopérative U, selon une étude-réquisitoire de la Fondation pour la nature et l’homme, qui attend de la grande distribution, et de l’Etat, des engagements fermes pour passer de 6% à 12% la part des ventes alimentaires bio en 2030, tels que spécifiés dans le projet de Stratégie nationale alimentation nutrition climat, en cours d'élaboration.

Comment acheter des produits bio s’ils sont insuffisamment présents dans les rayons ? S’ils ne sont pas accessibles financièrement ? Si les messages publicitaires et promotions mettent en avant d’autres produits ? Déréférencement, sur-marges, sous-investissement dans la publicité et les programmes fidélisation des clients : tels sont les principaux facteurs explicatifs à la baisse des achats de produits bio en France selon la Fondation pour la nature et l’homme (FNH).

Après une décennie de croissance à deux chiffres et un sommet à 12,8 milliards d’euros en 2020, équivalant à 6,5% des achats alimentaires, le chiffre d’affaires de la bio n’a cessé de s’éroder depuis pour s’établir à 12,0 milliards d’euros en 2023, la part des achats de produits bio atterrissant à 5,6%. Avec l’appui du cabinet d’études Ceresco, la FNH a décrypté les stratégies en matière de bio des 8 principaux groupes français de distribution qui pèsent, à eux seuls, près de 60% des ventes de produits alimentaires en France.

Selon la FNH, de par son hégémonie, son maillage territorial, son matraquage publicitaire (2 milliards d’euros en 2023, quatre distributeurs dans le top 5 des annonceurs), son obsession monomaniaque des prix bas, son influence sur l’amont des filières (via les marques de distributeurs notamment) ou encore l’entrisme médiatico-politique de ses dirigeants, la grande distribution influence, pour ne pas dire conditionne, très fortement nos achats et donc notre assiette. « Distributeurs et politiques ont souvent tendance à faire reposer la responsabilité de la baisse de la consommation du produits biologiques sur les seules épaules des consommateurs et consommatrices. C’est omettre le pouvoir de la distribution dans la construction de l’offre alimentaire et l’orientation des comportements des consommateurs », devise la FNH, citant le « pouvoir de l’offre » décrit par la chaire consommation de l’Essec ou encore le poids de « l’environnement alimentaire », documenté par l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).

Le bio, grand absent des stratégies des distributeurs (Source : FNH)
Le bio, grand absent des stratégies des distributeurs (Source : FNH)

A l’appui de son affirmation, la FNH a évalué de A à G les engagements et efforts réalisés par les enseignes pour promouvoir la bio. L’étude repose sur les données disponibles publiquement (sites institutionnels, déclaration de performance extra-financière, RSE…) et sur des entretiens, du moins avec celles les acceptant, Aldi, Auchan et E.Leclerc ayant décliné la proposition. Un premier mauvais point  avec l’absence d’objectifs chiffrés pour les 8 groupes sans exception, « témoignant a minima d’une réticence à s’engager publiquement sur le sujet, sinon d’une dépriorisation par rapport à d’autres préoccupations ». La FNH relève tout de même qu’une personne est spécifiquement dédiée à l’AB au sein du groupe Carrefour et de Coopérative U.

Le bio, très peu visible en magasin (Source : FNH)
Le bio, très peu visible en magasin (Source : FNH)

En 2024, la parte d’offre de produits bio s’élève en en moyenne à 7,6% en hypermarchés, 6,9% en supermarchés, 5,4% en proximité. Le nombre de références bio a diminué de 7 à 25% entre 2022 et 2023 et de 7% en grandes et moyennes surfaces pendant les 3 premiers semestres 2024. « On observe sans surprise une très nette corrélation entre l’évolution de l’offre et l’évolution des volumes, relève l’étude. Si maintenir une offre bio large dans un contexte d’inflation n’est évidemment pas chose aisée, il faut garder à l’esprit le fait que le déréférencement entraîne le bio dans un cercle vicieux de déconsommation ». L’étude délivre quelques bons points à Monoprix (15% d’offre bio en 2024), Intermarché, qui continue de lancer de nouvelles références bio, Coopérative U qui travaille à la double implantation sur les produits secs ou encore Lidl qui propose des produits bio sans équivalent conventionnel.

Le bio victime de l’opacité des prix (Source : FNH)
Le bio victime de l’opacité des prix (Source : FNH)

La Fondation s’est intéressée à l’écart de prix entre le bio et le conventionnel, ainsi qu’à l’intégration du bio dans les programmes fidélité des enseignes. Résultat : deux enseignes (Intermarché, Monoprix) sur huit ont un écart de prix évalué à plus de 70% alors que certaines parviennent à le maintenir sous les 60%, d’après l’étude la plus récente sur le sujet. Une seule enseigne (Carrefour) possède un programme de fidélité dédié au bio. Pour les autres, le bio est soit absent du programme de fidélité, soit présent mais d’une manière non quantifiée. La FNH délivre un satisfecit à Coopérative U qui propose des produits bio à prix coûtant même si le nombre de références concernées est faible, et à Carrefour qui déclare pratiquer des « marges bio inférieures à certains produits conventionnels », une affirmation non vérifiable, précise l’étude.

Le bio quasi exclu de la communication (Source : FNH)
Le bio quasi exclu de la communication (Source : FNH)

La FNH s’est intéressée à la part des investissements publicitaires dédiée au bio en 2021, au soutien de la campagne BioReflexe de l’Agence Bio et aux actions diverses déployées par les enseignes pour améliorer l’état des connaissances des consommateurs. Résultat : 7 enseignes sur 8 ont dédié moins de 5% de leurs investissements média à la bio en 2021, lui réservant une part dérisoire au regard des sommes investies, et seule 3 enseignes mènent des actions pédagogiques en faveur de la bio. La FNH distingue notamment Carrefour, qui dédiait 7,5% de ses investissements média au bio en 2021, deux fois plus que la moyenne de ses concurrents, et Coopérative U, qui réalise des animations en magasin en partenariat avec Biolait, et qui les a maintenues pendant la crise.

Bio : où en sont les distributeurs ? (Source : FNH)
Bio : où en sont les distributeurs ? (Source : FNH)

Au final, en dépit de « quelques démarches de progrès qui permettent à certaines enseignes de se démarquer », la FNH estime que « que l’ensemble de la grande distribution est encore loin de prendre sa part dans le développement de l’agriculture biologique ». Pour atteindre l’objectif de 21% de surface agricole utile en bio d’ici 2030, inscrit dans la loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture promulguée le 24 mars dernier, et pour multiplier par deux la part de bio dans la consommation à domicile, en passant de 6 à 12% comme le projette la Stratégie nationale de l’alimentation, de la nutrition et du climat (SNANC), la FNH écrit une double liste de courses.

La liste de courses de la FNH pour les distributeurs…

Des distributeurs, elle attend qu’ils fixent, publient et pilotent des objectifs de ventes ambitieux (12%), qu’ils (re)nouent des liens avec l’amont de filières biologiques, en enclenchant un dialogue avec leurs représentants pour établir des feuilles de routes, et en multipliant les engagements tripartites sur les filières bio et enfin qu’ils renforcent la communication (à hauteur de 10% de leurs investissements) et la formation sur le label bio, non seulement auprès des consommateurs en renforçant les opérations de promotion et de communication sur le label, mais aussi en interne en formant les équipes et la direction aux plus-values de la certification bio.

… et les pouvoirs publics

Des pouvoirs publics, la FNH attend qu’ils inscrivent dans le marbre l’objectif de 12% de marché (avec publication annuelle des ratios pour chaque enseigne), à l’image d’Egalim et des 20% de produits bio en restauration collective, tout en poussant le développement de la bio dans tous les circuits. Elle exige aussi plus de transparence sur la construction des prix bio envers les industriels et distributeurs, en renforçant le mandat et les moyens de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits (OFPM) et en prévoyant un encadrement des marges si des déséquilibres défavorables aux produits de qualité sont constatés. La FNH préconise par ailleurs d’encadrer la promotion et la publicité focalisée sur les prix bas ainsi que sur ceux ne relèvant pas des recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS), et d’initier une réflexion autour de la valorisation des achats biologiques via les tickets restaurant. Enfin, la FNH appelle à doter les structures du secteur bio (dont l’Agence bio) de moyens suffisants pour la promotion, la pédagogie et la production de données et à « poser les bases d’une réflexion autour de la structuration d’une démarche de type interprofessionnelle pour fluidifier la relation entre maillons des filières et permettre la construction de feuilles de route ».