Irrigation : le Marais poitevin au régime, la Coop de l’eau 79 médusée

Le tribunal administratif de Poitiers a retoqué l’Autorisation unique pluriannuelle (AUP) de prélèvement d’eau accordée en 2021 à l’Etablissement public du Marais poitevin (EPMP), suscitant la stupéfaction de la Coop de l’eau 79, porteuse du projet de construction de 16 réserves de substitution, dûment autorisées. Le tout en plein été, après une séquence historiquement pluvieuse et à la veille de la mobilisation « Stop méga-bassines ».

Par un jugement du 9 juillet, le tribunal administratif de Poitiers (Vienne) a annulé l’autorisation pluriannuelle délivrée par les services de l’État pour l’ensemble des prélèvements à usage d’irrigation dans les bassins versants du Marais poitevin. « Saisi par l’association Nature Environnement 17, le tribunal a constaté que la nouvelle autorisation portait sur des niveaux de prélèvement similaires à ceux mentionnés dans la première autorisation [datant du 12 juillet 2016] et que, comme cette première autorisation, la nouvelle autorisation permettait une augmentation nette des prélèvements annuels, les prélèvements hivernaux projetés dans le cadre de la création de nouvelles réserves de substitution n’étant pas compensés par une baisse des prélèvements estivaux », justifie le tribunal administratif.

En mai 2019, le même tribunal avait annulé l’Autorisation unique pluriannuelle (AUP) délivrée en 2016 par les préfets de la Charente-Maritime, des Deux-Sèvres, de la Vendée et de la Vienne. Toutefois, « afin de permettre la poursuite de l’irrigation dans des proportions raisonnables », le tribunal a délivré à l’Etablissement public du Marais poitevin (EPMP) une autorisation de prélèvement provisoire, jusqu’à ce que les préfets concernés en délivrent une nouvelle. L’AUP invalidée courrait jusqu’au 31 mars 2026.

Pour la Coop de l’eau 79, des stupéfactions en cascade

Le périmètre de l’EPMP concerne environ 4000 irrigants, dont 200 exploitations directement engagées dans la construction de 16 réserves de substitution (1 en service à Mauzé-sur-le-Mignon, 4 en construction, 11 en projet), totalisant 6,2 millions de m3 de réserve à l’horizon 2026. Pour la Coop de l’eau 79, c’est la stupéfaction à tous les ét(i)ages. « La construction des 16 réserves a été validée par ce même tribunal le 11 avril 2023, avec toutes les études d’impact en bonne et due forme, rappelle en préambule son président Thierry Boudaud, qui regrette au passage que les premiers concernés – les agriculteurs – n’aient pas été associés à la procédure. « Présidé par l’Etat, l’Etablissement public du Marais poitevin est un des seuls Organismes unique de gestion collective public et territorial, porteur d’une vision et d’une gestion partagées de l’eau, et que la décision du tribunal remet complètement en cause ».

Mais le plus ubuesque est à venir. « En attendant la construction et la mise en service des réserves, nos exploitations sont régies par des arrêtés-cadres qui limitent nos capacités d’irrigation pour respecter le milieu, avec télérelève hebdomadaire envoyée à l’Administration, indique Thierry Boudaud. Mais comme nos consommations baissent, nos références historiques baissent elles aussi et oblitèrent en partie le bénéfice des futures substitutions. On ne construit pas une gestion volumétrique comme cela ».

Une insécurité juridique persistante

Au-delà de leur cas personnel, les adhérents de le Coop de l’eau s’interrogent sur la solidité juridique des outils de gestion de l’eau en agriculture, « que n’importe qui peut s’amuser à attaquer et à faire tomber ». A cet égard, le Projet de loi d’orientation agricole était porteur d’éléments de sécurisation en élevant la protection, la valorisation et le développement de l’agriculture et de la pêche au statut « d’intérêt général majeur » ou encore en instituant une « présomption d’urgence » permettant de purger les contentieux en moins de 10 mois. Mais le projet de loi s’est noyé dans la dissolution de l’Assemblée nationale et réduit, pour l’heure, à la publication d’un décret entérinant l’accélération des projets hydrauliques (et de bâtiments d‘élevage). « En matière d’eau, le droit est un processus en construction et qui s’appuie en partie sur la jurisprudence, que la décision du tribunal administratif de Poitiers ne va pas manquer d’alimenter », s’inquiète Thierry Boudaud.

"On a pris des quantités d’eau phénoménales, on est sur un cumul de 1200 mm, soit trois fois la pluviométrie d’une saison normale"

Comble de l’ironie, la décision intervient après une séquence météorologique inédite, avec un printemps 2024 se classant au 4ème rang des printemps les plus pluvieux depuis 1959, selon Météo-France, et une anomalie de +45 % par rapport aux normales 1991-2020. « On a pris des quantités d’eau phénoménales, confirme Thierry Boudaud dans le Poitou. On est sur un cumul de 1200 mm, soit trois fois la pluviométrie d’une saison normale, ce qui rend encore plus incompréhensible la décision ».

Sur le qui-vive avant la mobilisation « Stop méga-bassines »

Le « timing » de la décision ne manque pas d’interpeler la Coop de l’eau 79, alors que les canons enrouleurs sont en service, avant le risque de voir d’autres canons se mettre en branle d’ici au 16 juillet prochain. En effet, plus de 100 organisations appellent à converger à Melles (Deux-Sèvres), avec la mobilisation « Stop méga-bassines » programmée du 16 au 21 juillet, avec des extensions à Saint-Sauvant (Vienne) et à la Rochelle (Charente-Maritime). Il s’agit de la 6ème manifestation au compteur contre les « méga-bassines », ses opposants réclamant l’instauration d’un moratoire. Les adhérents de la Coop de l’eau 79 sont sur le qui-vive. Ils attendent de l’Etat qu’il assure la sécurité des biens et des personnes. Et qu’il fasse appel de la décision du tribunal de Poitiers.