L'exécutif sur le qui-vive face au malaise des agriculteurs

Le ministre de l’Agriculture est attendu samedi après-midi dans une exploitation du Cher. Le président de la République a demandé aux préfets d'être à l'écoute des agriculteurs, qui expriment un mécontentement croissant en France comme dans d'autres pays européens.

« Le président de la République a demandé au ministre de l'Intérieur de donner instruction aux préfets d'aller dès ce week-end à la rencontre des agriculteurs et de leurs organisations représentatives », a indiqué la présidence. « Il souhaite qu'ils échangent directement sur les problématiques qu'ils expriment, au plus près du terrain, comme le ministre de l'Agriculture ». Selon le cabinet du ministre, Marc. Fesneau se rendra dans le Cher samedi après-midi « à la rencontre d'agriculteurs pour évoquer leurs problématiques ».

La grogne dans les pays voisins n'a pas échappé à l'exécutif. Après les Pays-Bas, c'est en Allemagne que la colère des agriculteurs se fait entendre, avec une mobilisation massive contre un projet d'augmentation des taxes sur le gazole agricole, à coups de blocages de routes et défilés de tracteurs. En France aussi, des actions ponctuelles s'organisent. Des éleveurs laitiers se sont rassemblés jeudi devant plusieurs sites Lactalis dans l'Ouest, dénonçant le prix du lait fixé par le groupe basé en Mayenne, jugé trop bas. Vendredi, la circulation a été bloquée par des agriculteurs sur l'A64 entre Toulouse et Bayonne.

Sur toute une série de « sujets brûlants », la profession « attend des réponses très claires avant le Salon de l'agriculture », a mis en garde le président de la FNSEA Arnaud Rousseau lors de ses vœux, menaçant de « ressortir sur le terrain » faute de réponses satisfaisantes. Deuxième syndicat agricole, la Coordination rurale prévoit de se mobiliser le 25 janvier « un peu partout en France », notamment via la poursuite d'opérations de « bâchage des radars » pour dénoncer « la suradministration », voire des « opérations plus spectaculaires ».

« Réarmer l'agriculture »

Inflation, lourdeurs administratives, ras-le-bol face au sentiment d'être écrasés par des normes nationales ou européennes, au nom de la transition écologique : les motifs de colère sont diffus. « J'entends et je suis très attentif aux expressions des agriculteurs », a assuré vendredi dans un entretien à la Dépêche du Midi le ministre de l'Agriculture, soulignant « avoir obtenu un budget historique pour notre agriculture de 4 milliards pour les trois prochaines années ».

Lors de sa conférence de presse le 16 janvier, Emmanuel Macron a cité l'agriculture parmi les domaines où il comptait « accélérer » le « réarmement » du pays. Le nouveau Premier ministre Gabriel Attal, lors d'un déplacement le 14 janvier à Caen, avait souligné que « l'un des premiers projets de loi » que présentera son gouvernement concerne « le renouvellement des générations en
agriculture ».  Ce texte, au menu du Conseil des ministres du 24 janvier, prévoit de créer un nouveau diplôme de niveau bac+3, un « bachelor agro », et un guichet unique pour soutenir les candidats à l'installation. La profession, elle, attendait une loi d'orientation plus ambitieuse.

L’extrême droite aux aguets

Dans ce climat d'inquiétude, l'extrême droite est aux aguets : reçu vendredi par Gabriel Attal, le président du RN Jordan Bardella lui a demandé de « décréter l'état d'urgence agricole » et « d'instaurer le patriotisme économique pour protéger nos agriculteurs ». M. Bardella, par ailleurs tête de liste du RN aux élections européennes, a prévu de rencontrer samedi des agriculteurs de Gironde pour appuyer leurs revendications. « Le RN cherche à souffler sur les braises de la colère et le désespoir des agriculteurs, mais ce n'est que de l'opportunisme électoral pour les élections européennes », critique Marc Fesneau, fustigeant les élus RN qui « ne travaillent pas au Parlement européen et ne défendent donc pas les agriculteurs au quotidien ». Le ministre devrait s'exprimer dimanche lors de l'émission « Le Grand Jury » RTL/Paris Première/M6/Le Figaro. Lundi, il sera en déplacement en Vendée sur le thème de l'eau en agriculture.

"Je les tiens pour l'instant, mais attention ça pourrait déborder"

Jérémy Decerle, eurodéputé Renaissance et ancien président des Jeunes agriculteurs « ne sous-estime pas le mouvement, la détresse des agriculteurs ». « Mais je ne suis pas convaincu que cela finisse sur des mouvements impressionnants, car je ne crois pas que l'engagement du gouvernement soit à côté de la plaque », dit-il.  L'ancien éleveur et ancien député Renaissance Jean-Baptiste Moreau se montre plus inquiet : « il y a un truc qui bout depuis longtemps à la base » et qui pourrait « se finir en violences ».

Pour le politologue Eddy Fougier, « le gouvernement a très peur de rallumer la mèche des gilets jaunes et d'un basculement d'une partie du monde agricole vers le RN qui se structure autour d'un credo anti-écologie punitive ». Selon lui, le message de la FNSEA au pouvoir « consiste à dire : " je les tiens pour l'instant, mais attention ça pourrait déborder " ».