La proposition de loi « anti-entraves » et ses « irritants » débarquent à l’Assemblée nationale

La proposition de loi visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur est examinée par la Commission du développement durable avant son passage en séance à la fin du mois. Le sort de l’acétamipride, un néonicotinoïde banni en France mais pas dans l’UE, y est suspendu.

« Irritants » : c’est le terme dont avait usé à plusieurs reprises le sénateur Laurent Duplomb (LR) à l’origine, avec Franck Menonville (UDI), de la proposition de loi « visant à lever les contraintes à l'exercice du métier d'agriculteur ». Adoptée à un elarge majorité par le Sénat le 27 janvier dernier, la proposition de loi est censée apporter des « remèdes urgents » et des « réponses concrètes dans les cours de ferme » et mettre fin aux « surtranspositions et surrèglementations » franco-françaises. L’essentiel des articles porte sur les moyens de production, à commencer par les produits phytosanitaires, aux côtés de l’accès à l’eau et de la législation entourant la construction et l’extension des bâtiments d’élevage.

L’acétamipride en vedette

L’acétamipride devrait focaliser une partie des débats. L’insecticide de la famille des néonicotinoïdes est interdit en France depuis 2020, la molécule ayant bénéficié d’un régime dérogatoire après l’interdiction d’usage de cette famille de substances le 1er septembre 2018, conformément à la loi d’août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

"Il faut mettre nos producteurs à égalité de concurrence avec les producteurs européens"

Mais la molécule bénéficie d’une Autorisation de mise sur le marché (AMM) au sein de l’UE jusqu’en 2033. « 26 pays ont conservé l’acétamipride le jugeant non nocif pour la santé, a déclaré la ministre de l’Agriculture Annie Genevard sur le plateau de LCP lundi soir. Il faut mettre nos producteurs à égalité de concurrence avec les producteurs européens ». La molécule est attendue par les producteurs de betteraves sucrières et plus encore par ceux de noisettes, le fruit à coque étant considéré dans une situation d’impasse phytosanitaire face aux attaques du balanin et de la punaise diabolique. « Nous ne sommes pas sur dix années de dérogation, nous sommes sur dix années d’interdit, qui ont démontré, filière par filière, l’abrutissement de cette interdiction », avait expliqué Laurent Duplomb lors des débats.

"Semer la décroissance, c’est récolter la dépendance"

Lundi soir, la ministre de l’Agriculture a rappelé que le gouvernement avait donné, lors de l’examen au Sénat, « un avis de sagesse ». « Ça veut dire que l’on n’est pas hostile au rétablissement mais qu’il il appartient au Parlement d’en débattre ». « Semer la décroissance, c’est récolter la dépendance », avait déclaré la ministre sur CNews le 28 avril dernier.

« Mise sous tutelle de la science »

Dans une lettre ouverte aux ministres de la Santé, de l’Agriculture, du Travail et de l’Environnement, datée du 14 avril et rendue publique le 5 mai, 1200 médecins et scientifiques rappellent que l’acétamipride, ainsi que la flupyradifurone et le sulfoxaflor, visés aussi par la PLL « anti-entraves », sont « dangereux » pour l’entomofaune pollinisatrice, évoquant les alertes sur ce sujet des agences de santé de l’UE (EFSA) et de la France (Anses). Plus largement, les signataires de la tribune s’inquiètent de « la mise sous tutelle de la science », faisant référence à la création du Conseil d’orientation pour la protection des cultures, chargé d’aviser le ministère de l’agriculture des usages qu’il considère prioritaires, c’est à dire ceux pour lesquels il estimerait que les alternatives sont inexistantes ou insuffisantes.

Une initiative qualifiée de « recul pour la santé publique ». « Les priorisations faites par ce conseil composé d’industriels et de syndicats agricoles s’imposeraient à la direction de l’agence au mépris des exigences sanitaires. Le cadre déontologique ainsi corrompu, les règles de transparence et d’indépendance vis à vis des intérêts privés le seraient tout autant », dénoncent les scientifiques, qui assimilent l’initiative à un affaiblissement du rôle de l’Anses et à une remise en cause de la place de l’expertise scientifique dans le processus d’AMM, une prérogative de l’Anses depuis 2015, offrant au processus « un cadre scientifique et déontologique contraint ».

« Le moteur législatif qu’il nous fallait »

Dans un message publié mardi sur son compte Linkedin, le président de la FNSEA Arnaud Rousseau s’est livré à un véritable plaidoyer en faveur de la PPL Duplomb-Menonville, évoquant un « moteur législatif dont notre agriculture a besoin pour redémarrer », « un moteur qui nous aligne avec nos voisins européens », « un moteur qui n’est pas fait pour raviver des polémiques stériles ». « Les agriculteurs ont tout donné ces derniers mois pour se faire entendre, écrit encore Arnaud Rousseau. Cette loi, c’est leur réponse. Elle incarne le fruit de leurs mobilisations, de leurs propositions et de leur bon sens. Sans ce moteur, la machine restera grippée. Sans lui, notre souveraineté alimentaire reste une intention, pas une action. Pire : nous laissons s’installer la régression. Moins de production, plus de dépendance, une perte de compétitivité face à des agricultures moins-disantes ».

Pour la Confédération paysanne, « c’est non »

De son côté, la Confédération paysanne rejette en bloc le contenu de la PPL, affirmant qu’elle répond aux aspirations d’une « minorité de paysans » et non à celle du « monde agricole (…) Il est temps que tous les députés comprennent qu’ils sont une béquille économique au manque de revenu des paysans. C’est sur ce sujet que le Parlement et le gouvernement doivent mettre leur énergie et légiférer pour mettre en place des prix minimum garantis ». Après son passage en Commission du développement durable, la PPL sera examinée en séance à partir du 26 mai.