Les eaux non conventionnelles, une ressource ni gratuite, ni magique

Un rapport gouvernemental formule un certain nombre de recommandations destinées à lever les obstacles réglementaires et procéduraux limitant l’usage des eaux non conventionnelles, dont les eaux usées traitées, tout en soulignant plusieurs points de vigilance.

Développer, d’ici à 2027, 1000 projets recourant aux Eaux non conventionnelles (ENC) : tel est l’objectif consigné dans le Plan eau, le Plan d’action pour une gestion résiliente, sobre et concertée de la ressource en eau, présenté par le président de la République le 30 mars dernier.

Par ENC, on entend les eaux usées traitées (EUT), les eaux de pluie récupérées en aval des toitures, les eaux pluviales de voirie, les eaux d’origine domestique autres que les eaux grises (eaux provenant des douches, baignoires, lavabos, lave-linge et éventuellement de la cuisine après traitement), les eaux de piscine, les eaux industrielles de process, et les eaux d’exhaure (eau de puisage ou de pompage des mines, carrières et milieux souterrains). Trois inspections administratives, à savoir le Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER), l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), ont été chargées d’analyser les conditions d’un changement d’échelle du recours aux ENC.

Selon la lettre de mission, les ENC représentent un gisement de 1,6 milliard de mètres cubes, un chiffre à comparer aux 4,1 milliards de m3/an que la France a consommés (sans retour direct au milieu naturel) au cours de la période 2010-2019, avec en tête des usages l’agriculture (58%), la production d’eau potable (26%), le refroidissement des centrales électriques (12%) et l’industrie (4%). L’enjeu des ENC n’est donc pas négligeable. Selon le décompte opéré par la mission, 449 projets d’ENC sont à l’étude ou en service, dont 419 projets de Réutilisation des eaux usées traitées (REUT) et 30 projets d’ENC hors REUT. Un premier constat qui fait dire à la mission que « la France a initié un nombre de projets comparable à ses voisins italiens et espagnols, souvent mis en avant ». Cependant, le recours aux ENC pointe à 0,6% du potentiel quand nos voisins précités sont à respectivement à 14% et 8%, les meilleurs élèves au plan international étant le Koweït, Israël, le Qatar ou encore Singapour.

Cette mise en perspective fait dire à la mission que « l’objectif, ambitieux » du Plan eau, « ne paraît pas hors d’atteinte », tout en estimant « nécessaire de réaliser une évaluation détaillée du potentiel de volume et d’usage et d’évaluer les gisements et usages à valoriser selon une analyse coût/bénéfice/risques, dans le strict respect de la santé des populations et des milieux ». La mission propose d’élargir aux ENC le recensement en cours des projets de REUT.

Les recommandations de la mission

Afin d'accélérer le déploiement des projets de recours aux ENC, la mission suggère en particulier de faciliter le travail des services, en mettant rapidement à leur disposition les instructions, notamment sanitaires, dont ils ont besoin pour traiter les demandes non couvertes par la réglementation actuelle, en veillant à ne pas laisser d'usage « orphelin », sur la base d'une capitalisation des expérimentations en cours, d'une actualisation des avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire alimentaire, de l'environnement et du travail (ANSES) et de propositions du Haut conseil de la santé publique (HCSP).

Elle recommande de passer à un régime de déclaration pour la réutilisation des eaux usées pour l’hydrocurage des réseaux et le lavage des bennes et véhicules de services de propreté, et à l’issue des expérimentations en cours, envisager de passer à ce régime les autres usages urbains tels que le lavage de voiries et l’arrosage des espaces verts.

Pour faciliter l’acceptabilité sociale des projets et limiter la conflictualité autour des usages, la mission suggère, d'associer les usagers très en amont et de leur délivrer une information de qualité sur la ressource en eau et les enjeux liés à sa mobilisation. 

Les points de vigilance

La mission liste un certain nombre de points de vigilance et formule l’avertissement suivant : « la REUT doit s’articuler avec un prérequis de maîtrise de la consommation d'eau et de sobriété des usages, et par ailleurs, s’inscrire dans un cadre global de stratégie territoriale de la gestion de l'eau visant à réduire la vulnérabilité de la ressource au changement climatique ». Elle souligne que la REUT est coûteuse d’un point de vue économique, mais également environnemental, car elle nécessite de l’énergie et des additifs chimiques. « Ce n'est une eau ni nouvelle, ni gratuite. Sa mobilisation doit répondre à une attente du territoire pour éviter une politique de l’offre déconnectée des besoins et être prise en compte dans l’économie générale des prélèvements ».

La mission note que le rejet des stations d'épuration peut contribuer de manière significative au soutien d'étiage des cours d'eau, notamment à l’intérieur des terres, les zones littorales y étant plus propices, quoi que la soustraction d’un rejet en rivière, même à peu de distance du littoral, peut priver d’eau douce une zone humide.  « Les eaux non conventionnelles ne sont pas une solution magique aux problèmes tendanciels de manque d’eau et doivent trouver leur juste place au sein du bouquet de solutions d’adaptation au changement climatique », conclut la mission.