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Les externalités positives de l’élevage : la vache !
Un rapport du CGAAER invite à dépasser les jugements simplistes et caricaturaux à propos des supposés « désordres » climatiques, environnementaux ou de santé publique générés l’élevage bovin et à (re)considérer à leur juste valeur ses contributions hautement stratégiques, culturelles, économiques et écologiques, sans ignorer ses faiblesses et les pistes de progrès.
« Si la France devait un jour basculer dans le tout végétal, on se presserait d’étudier le moyen de réintroduire l’élevage afin de bénéficier de ses apports nutritionnels, écologiques et socio-économiques. Aussi, ce rapport pose-t-il la question ultime de reconnaitre enfin et beaucoup mieux ses mérites, et ce bien avant de déplorer sa disparition ». Telle est la conclusion d’un rapport du Conseil général de l’agriculture de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER), missionné par le ministère de l’Agriculture, et consacré aux externalités positives de l’élevage, autrement dit les productions et services liés à l’élevage.
L’élevage produit bien évidemment des denrées alimentaires (viande, produits laitiers, oeufs...) mais aussi des ingrédients (pour les fromages), de coproduits (fertilisants organiques, pet-food), de produits périphériques (graisses, gélatine, laine, peaux, cuir, plumes) ou encore des énergies renouvelables (biométhane, photovoltaïque). Il est aussi au centre d’un vitalité sociale et économique, avec ses emplois directs (312.000 ETP soit 415.000 actifs permanents) et indirects (de 0,5 ETP en ovins lait à plus de 6 ETP dans le porc).
En outre, entamer le potentiel de production nationale ne ferait que renforcer le déficit commercial de la France en la matière, la consommation étant relativement stable. « La France bénéficie d’excellentes conditions d’élevage, notamment à l’herbe, et l’on perçoit mal, à consommation intérieure stable et demande extérieure croissante, l’intérêt qu’elle baisse ses productions alors même que celles-ci ne suffisent plus à son autoconsommation, lit-on dans le rapport. Quel avantage à réduire d’une unité́ un cheptel pour lui substituer la même unité́, en provenance de pays moins-disants que la France aux plans environnemental, bien-être animal et sanitaire ? Si ce n’est celui d’alourdir notre déficit commercial au détriment de notre souveraineté́ alimentaire et d’exporter de la maltraitance animale ».
Pas d’agriculture biologique sans élevage
Outre les enjeux de souveraineté, de diversité et de qualité alimentaires, le rapport mentionne aussi la circularité liée aux coproduits de l’élevage, à commencer par les effluents. « La croissance du secteur bio avant la dernière crise et la diminution concomitante du cheptel pose le problème des tensions annoncées dans l’approvisionnement en produits fertilisants », souligne la mission du CGAAER.
Le rapport relève que certains experts, « sur la base d’expérimentations dont le caractère généralisable reste à démontrer », indiquent comme étant possible une fertilisation des surfaces bio sans élevage, en systématisant les rotations et la fixation d’azote résultant de leur gestion optimisée. Mais d’autres, qui relèvent déjà̀ la dépendance actuelle de la France (aujourd’hui importatrice nette de ces fertilisants), jugent théoriques les solutions de substitution envisagées, en les considérant comme inadaptées aux situations réelles et aux facteurs socioéconomiques déterminant le choix des cultures et des productions agricoles.
Dimension culturelle et identitaire
Le rapport n’occulte pas la dimension culturelle et identitaire de l’élevage au sein de très vastes territoires. « Que deviendraient la réputation et la fréquentation de l’Aubrac ou des Cévennes, et de leurs paysages culturels et patrimoniaux tributaires de l’élevage, sans l’omniprésence des troupeaux ? », s’interrogent les rapporteurs, qui évoquent le cas plus général des zones de montagne où l’agriculture reste dominée par l’élevage, notamment au sein des 58 parcs naturels régionaux et des 11 parcs naturels nationaux.
Des faiblesses relatives
Le rapport ne fait pas non plus l’impasse sur les externalités négatives. Parmi les faiblesses sont évoqués l’impact environnemental négatif « s’il n’est pas anticipé » (émissions de gaz à effet de serre, pollution de l'eau et de l'air, consommation d'eau), le bien-être animal parfois mis à l’index, la sécurité sanitaire (risques liés aux densités d’animaux) ou encore la santé, la consommation de viandes rouges en trop grande quantité et de charcuterie augmentant le risque de cancers. Mais le rapport en relativise la portée. A propos des GES, la mission du CGAAER estime que le discours incriminant l’impact de l’élevage sur le réchauffement atmosphérique ne doit pas ignorer la différence fondamentale entre le méthane biogène émis par les ruminants, gaz qui relève d’un cycle neutre et rapide, et le méthane additionnel résultant de la consommation de stocks fossiles, dont l’impact climatique s’inscrit au contraire dans le temps long.
Des polémiques artificielles
A propos des « disputes » autour de la consommation « exorbitante » d’eau et les fameux 15m3 par kilo de bœuf, la mission rappelle que le chiffre correspond au rapport entre la prise de poids d’un ruminant à l’ensemble des précipitations qui tombent sur les surfaces nécessaires à son alimentation. Le calcul des scientifiques abouti quant à lui à 50 litres d’eau utile (quantité de ressource privée pondérée par un facteur territorialisé de stress hydrique) et à 550 à 700 litres d’eau verte, autrement dit d’eau de pluie.
A propos de la nocivité « supposée » de la viande pour la santé humaine, le rapport fait référence à des études scientifiques montrant que le problème n’est pas dû à une surconsommation de protéines animales mais plutôt à une insuffisance de fibres végétales. « Le bol alimentaire étant par nature limité, il convient donc d’en rééquilibrer la part animale et la part végétale, de façon à bénéficier de la potentialisation des aliments d’origine végétale par ceux d’origine animale ».
Le rapport mentionne aussi le fait que les protéines animales sont, comparativement aux protéines végétales, de meilleure qualité en acide aminés essentiels. « Pour les personnes à besoins particuliers, la qualité et la densité des protéines de viandes restent donc incontournables », notamment pour les enfants et adolescents, et plus encore s‘ils sont sportifs.
Le dilemme de la consommation de terres
Le rapport n’élude pas le débat sur la consommation « excessive » de terres dont serait coupable l’élevage, au détriment de leur affectation à des cultures destinées à l’alimentation humaine, la fameuse opposition classique « feed- food », qui met en avant le chiffre de trois quarts de la SAU qu’utiliserait l’élevage en ne laissant donc qu’une part minimale à notre alimentation végétale. Pour les rapporteurs, cet argument ignore que 60 % de ces trois quarts sont constitués de pâturages souvent impropres à toute autre production végétale (ainsi en est-il des zones de massif et de montagne, représentant au total un petit tiers du territoire français), de prairies permanentes aux bénéfices environnementaux reconnus (pour la biodiversité, la qualité des eaux et le stockage de carbone qu’elles déstockeraient si on les retournait10) et enfin de terrains à faible potentiel agronomique, économiquement valorisables moyennant certaines conditions (très grandes exploitations, accès à l’irrigation ou bien à certains marchés de niche). « 46 % de ce que consomment les animaux sont constitués de tiges et de feuilles et 86 % de matériaux que l’homme ne consomme pas », relève l’étude. Les élevages de monogastriques, et plus encore de ruminants, sont des producteurs nets de protéines, en ce sens qu’ils produisent plus de protéines utilisables par l’homme qu’ils ne consomment de protéines qui pourraient être consommées par l’homme ».
En guise de conclusion, le rapport estime que modèle de production français, « assis sur un lien au sol et une large part d’autonomie alimentaire, supérieurs la plupart du temps à ceux de nos concurrents, a en outre comme mérite d’avoir conservé́ des élevages de dimension humaine, sources de bénéfices territoriaux objectifs. Il est dommage que l’absence d’analyses locales, réalisées de manière homogène et s’intéressant aux élevages français dans leur diversité́, ne permette pas de démontrer simplement les effets plus positifs de l’élevage sur la vitalité́ des territoires que ceux liés à d’autres scénarios d’évolution ou de transformation des pratiques ». Un véritable plaidoyer, qui ne ferme pas les yeux sur une autre réalité, à savoir les conditions contraignantes d’exercice. « L’élevage est le secteur où la rémunération à l’heure travaillée est la plus basse », rappelle le CGAAER.