Pour le CESE, le paquet sur les PAT et l’assaut sur la restau’co contre la précarité alimentaire

Pour déjouer les inégalités croissantes dans l’accès à l’alimentation et ses pathologies associées, le Conseil économique, social et environnemental appelle l’Etat à mieux coordonner son orgie de programmes d’action et à faire des Projets alimentaires territoriaux et de la restauration collective les passe-plats de la sécurité alimentaire.

En 2022, 16% de Français se déclaraient en situation d’insécurité alimentaire contre 9% en 2016. En 2023, 37% de Français ont déclaré avoir réduit les portions ou sauté des repas durant les 12 mois écoulés, avec une sur-représentation des femmes (59%) et des 18-24 ans (41%). En 2023, 9 millions de Français ont bénéficié de l’aide alimentaire contre 3,5 millions en 2014. 20 millions de Français ont des pathologies liées à l’alimentation (maladies cardiovasculaires, diabète, cancer). 32% des adultes et 13% des enfants (6-17 ans) sont en surpoids. 10 % des Français les plus pauvres ont 2,8 fois plus de risque de développer un diabète que les 10 % les plus riches. 72% des Français ne consomment pas assez de fruits et légumes et 52% mangent des légumineuses moins d’une fois par semaine. Deux tiers des personnes en précarité alimentaire sont sous-dotées en équipements essentiels pour cuisiner (réfrigérateurs, plaques de cuisson...). Telles sont quelques-unes des données égrenées dans un avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) rendu le 22 avril et intitulé : « Permettre à tous de bénéficier d’une alimentation de qualité en quantité suffisante ».

L’aide alimentaire proche de la saturation

Le rapport dresse une arrière-cuisine peu ragoutante de notre pays, « considéré comme riche » comme le rappelle le CESE, lequel s’est abstenu de mentionner les inscriptions au patrimoine culturel immatériel de l’humanité du « repas gastronomique des Français » (2010) et des « savoir-faire artisanaux et la culture de la baguette de pain » (2022). Un dernier chiffre pour la (fausse) route : selon une étude C-Ways réalisée en 2023 pour l’Observatoire des vulnérabilités alimentaires de la Fondation Nestlé-France, 80% des personnes qui se déclarent en insécurité alimentaire et qui donc pourraient au moins occasionnellement recourir à l’aide alimentaire, ne le font pas.

Or selon le rapport, « les dispositifs de lutte contre la précarité alimentaire sont déjà proches de la saturation, certaines associations ayant dû refuser pour la première fois de nouvelles inscriptions de bénéficiaires ». Le coût global de l’aide alimentaire estimé à plus d’1,5 milliard d’euros par an, répartis entre financements publics, financements privés (dons des particuliers et des acteurs économiques) et valorisation du travail bénévole dans les associations. A comparer aux 11,7 milliards d’euros de dépenses liées aux maladies induites par une mauvaise alimentation et aux 5,5 milliards d’euros dépensés en 2023 par le secteur agroalimentaire en publicité et communication, soit 1000 fois le budget du Programme national nutrition santé (PNNS). Le CESE estime « crucial » de soutenir les dispositifs classiques de l’aide alimentaire en renforçant leurs moyens financiers et humains mais aussi les autres dispositifs alternatifs de lutte contre la précarité alimentaire.

Une orgie de programmes publics

Le PNNS est l’un des bras armés des politiques publiques en matière d’alimentation. C’est loin d’être le seul. Il faut aussi compter avec le Programmes national de l’alimentation (PNA), le Plan obésité, la Plan national santé environnement, le Programme alimentation et insertion, en attendant l’imminente Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (SNANC). Constatant « l’éclatement des politiques publiques autour de la question de l’alimentation et la multiplication de programmes d’’actions sur des enjeux pourtant proches », le CESE plaide pour une politique unifiée et efficace de l’alimentation placée sous l’autorité d’un délégué interministériel et demande à faire de l’accès pour tous à une alimentation de qualité une « grande cause nationale ». Le CESE demande également l’organisation d’Assises nationales de la lutte contre la précarité alimentaire.

Pour le CESE, la mise en œuvre au niveau territorial de la politique de l’alimentation revêt « une importance majeure » et voit dans les Projets alimentaires territoriaux (PAT) le meilleur des passe-plats de la transition alimentaire et de la lutte contre la malbouffe et la précarité alimentaire. « C’est à cet échelon, souvent dans le cadre de PAT, que sont généralement initiées et développées des expériences innovantes de toutes natures », relève l’instance, qui recommande leur déclinaison sur tout le territoire, « en intégrant toutes les problématiques et tous les acteurs et en assurant la pérennité de leur financement pour assurer notamment les fonctions d’animation qui doivent s’inscrire dans la durée ».

En dépit de la montée en puissance des PAT (ici ceux soutenus en 2024), sur 453 PAT, seuls 137 sont opérationnels (niveau 2), les autres étant au stade de projets émergents (Source : Ministère de l’Agriculture)
En dépit de la montée en puissance des PAT (ici ceux soutenus en 2024), sur 453 PAT, seuls 137 sont opérationnels (niveau 2), les autres étant au stade de projets émergents (Source : Ministère de l’Agriculture)

Restauration collective, Nutri-Score et produits transformés

Avec les PAT, et au sein des PAT, le CESE invite à mobiliser la restauration collective et ses 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel pour soutenir et développer des filières locales de qualité. Il préconise d’expérimenter, avant une éventuelle généralisation et à l’instar de ce qui a été entrepris pour les marchés d’innovation, le relèvement des seuils de dispense des règles de publication et de passation des marchés publics de 40.000€ HT à 100.000€ HT maximum. Il recommande également le renforcement de la formation des acheteurs privés et publics en matière de commande publique.

Sans surprise, le CESE règle son comptes aux produits ultratransformés, dont il attend une amélioration de la qualité nutritionnelle et sanitaire, la systématisation du Nutri-Score et enfin leur bannissement, avec les produits trop sucrés ou trop salés, de la publicité et des têtes de gondole des grandes surfaces.