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Avec ses repas 100% bio, 70% locaux, 50% végétariens, Mouans-Sartoux veut croire à des « Mouans-Partout »
Ferme municipale, reconquête foncière, soutien à l’installation, Maison d’éducation à l’alimentation durable, lutte contre le gaspillage… : la cité azuréenne est un laboratoire à estomacs et esprits grand ouverts à la transition alimentaire. Le tout à coût constant pour le ticket-repas à la cantine. Et réplicable ad libitum, dixit Gilles Pérole, maire-adjoint délégué à l’alimentation de Mouans-Sartoux.
Avec sa cantine 100% bio appliquant les repères nutritionnels du Programme national nutrition santé (PNNS), le taux de surpoids et d’obésité des enfants mangeant à la cantine de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) est inférieur de 45% à la moyenne nationale. Ça, c’est une étude du Département de santé publique du CHU de Nice (Alpes-Maritimes) qui le révèle. Grâce aux actions d’accompagnement de la Maison d’éducation à l’alimentation durable (MEAD) de Mouans-Sartoux, 71% des 10.000 habitants de la commune ont modifié leurs habitudes alimentaires en 5 ans, réduisant respectivement de 30% et 23% la consommation de produits ultra-transformés et de viande, le tout aboutissant à une réduction de 26% de l’impact carbone de l’alimentation des habitants. Ça, c’est une thèse soutenue en 2024 par Andrea Lulovicova, étudiant en géographie à l’Université de Nice Côte-d’Azur, qui le démontre.
A quelques encablures de Cannes (Alpes-Maritimes), Mouans-Sartoux, c’est un village gaulois, aux antipodes géographiques du village d’Astérix mais où la succession de deux Aschieri, André puis Pierre actuellement, édiles apparentés écologistes, a fait de la cité azuréenne un modèle de transition agricole et alimentaire unique en France, et accessoirement de résistance à l’urbanisation débridée et à la malbouffe. « L’alimentation n’est ni de droite, ni de gauche, elle est juste centrale ». Ça, c’est Gilles Pérole, l’adjoint délégué à l’alimentation, qui le déclare. Et qui s’amuse à l’envi des postures à la carte (des partis) entre plateaux télé nationaux et plateaux repas locaux.
L’histoire ne remonte pas en 50 avant Jésus Christ mais aux années 1990 et a pour élément déclencheur la crise de la vache folle. En résistance à la malbouffe envahissante, la commune intègre à partir de 1998 des produits bio dans ses cantines scolaires. Elle va monter en puissance jusqu’en septembre 2012, rentrée qui consacre l’instauration du 100% bio pour les 1200 repas servis aux enfants des crèches, des écoles et du collège de la ville.
Pour pallier l’insuffisance d’approvisionnement en produits bio et locaux, la commune a créé un an plus tôt une régie municipale agricole. Une première en France. Au domaine communal de Haute-Combe, d’une superficie de 6ha dont 4ha cultivés et 2500m2 d’abris froids, trois agriculteurs salariés produisent chaque année 25 tonnes de légumes de saison, dont 4 tonnes sont surgelées pour assurer l’approvisionnement hors saison. L’exploitation communale assure ainsi 85% de l’approvisionnement en fruits et légumes des cantines.
Chaque année, la municipalité fait authentifier sa démarche par Ecocert. L’organisme certificateur est à l’origine du label « En Cuisine », premier cahier des charges français dédié à la restauration collective durable, et qui intègre le périmètre géographique de l’approvisionnement. Dans une région où la densité de résidents et d’estivants outrepasse largement celles de vaches, de brebis ou de poules, Mouans-Sartoux pêche côté viande mais la commune remporte tout même haut la main le graal des « 3 carottes » du label, qui distingue les cantines les plus vertueuses.
Il faut dire aussi que la ville a révisé à la baisse la portion de viande. A la rentrée 2022 en effet, 50 % des repas sont servis avec des œufs et des protéines végétales et 50% avec de la viande ou du poisson. Le tout, sans mettre les familles à croc. Qu’est-ce qui fait qu’à Mouans-Sartoux, le menu végétarien est plus digeste un jour sur deux qu’il ne l’est ailleurs un jour sur cinq ? « Quand 85% de la population réduit sa consommation de viande, proposer aux enfants un menu végétarien un jour sur deux n’est pas un problème car la démarche est cohérente avec les choix personnels », avance Gilles Pérole.
Quand les enfants éduquent les parents
Certes. Mais comment la population a-t-elle, de son plein gré, réduit sa consommation de viande ?« Quand les choix alimentaires d’une cantine impactent la manière des manger des enfants, les enfants en parlent à la maison et font changer les pratiques, c’est un effet que nous avons documenté dans nos études d’impact, argumente l’élu. Mais surtout, quand vous créez et animez une Maison de l’éducation à l’alimentation durable, laquelle sensibilise la population aux enjeux de santé et d’environnement, à travers des ateliers cuisine et nutrition, des défis Foyers à alimentation positive, des conférences, des débats etc., les habitants adhèrent au projet. Si une commune énonce qu’il faut manger moins de viande parce que le PNNS le dit et que vous servez toujours autant de viande à la cantine, le message ne passe pas. Par contre, s’il est en cohérence avec l’exemplarité de la commune, votre message est amplifié ».
La MEAD, l’ingrédient qui change tout
La Maison de l’éducation à l’alimentation durable (MEAD), c’est le grand œuvre de la ville de Mouans-Sartoux. Le projet remonte à 2016 et il fera office de plat de résistance au Projet alimentaire territorial (PAT) labellisé par le ministère de l’Agriculture en 2017. Selon les études d’impact citées précédemment, les habitants modifient deux à trois fois plus vite leurs habitudes alimentaires en suivant les activités de la MEAD, 81% estiment qu’ils sont associés aux décisions de la commune en matière d’alimentation, 92% des familles adhèrent au PNNS et 70% à l’alimentation bio.
La MEAD, c’est un peu l’antithèse de la grande distribution qui fait tout son possible pour détourner les consommateurs des produits bio, comme l’a illustré une étude récente de la Fondation pour la nature et l’homme. A Mouans-Sartoux, la municipalité a pour tête de gondoles des surfaces commerciales 100% bio, une AMAP, un marché de producteur, des potagers collectifs de citoyens, une épicerie associative et sociale etc.
Avec la MEAD, la préservation du foncier agricole est un autre pilier du PAT. Dans un territoire - la Côte d’Azur - où les rares terres se négocient au prix des terres rares, la mairie parvient à reclasser dans son PLU, en 2012, 72ha en zone agricole. Puis elle s’attèle au phénomène de rétention foncière, sans recourir à la loi et la procédure en mise en valeur des terres incultes ou manifestement sous exploitées, mais par la « simple » persuasion des propriétaires.
Là encore, la MEAD remplit ses bons offices. « On a notamment organisé une exposition, s’intitulant Terres d’hier, Terres de demain », donnant à voir ce que les terres produisaient hier et ce qu’elles pourraient produire demain, explique Gilles Pérole. La crise du Covid, la guerre et en Ukraine et le fait que la plupart des propriétaires soient des descendants de paysans nous a sans doute beaucoup aidé. Au cours des 2 ans passés, 10 propriétaires ont accepté de signer des baux ruraux et on a installé 5 agriculteurs ».
Une transition à coût constant grâce à la végétalisation et la lutte contre le gaspillage
Au plan budgétaire, indépendamment des choix politiques en matière d’animation socio-éducative et foncière, la municipalité affirme avoir opéré sa transition alimentaire à coût constant, en partie grâce à la végétalisation de l’assiette. « A condition de faire du cuisiné maison avec des céréales et des légumineuses car les galettes végétales industrielles sont excessivement chères », précise Gilles Pérole. La lutte contre le gaspillage est l’autre levier d’économies. Le tri et la pesée quotidienne des restes alimentaires, combinés à l’encouragement des jeunes convives à choisir (et à finir) le contenu de leur assiette en fonction de leur appétit, a permis de réduire le gaspillage à moins de 40 grammes par menu contre 120 grammes en moyenne au plan national. A l’arrivée, le coût moyen du repas est de 2,18 euros contre 2,21 euros en moyenne nationale. « Qu’il s’agisse de l’eau, des transports, de la cuisine et de l’agriculture, Mouans-Sartoux privilégie les régies municipales qui, si elles sont bien gérées, coûtent forcément moins cher qu’un service privé qui doit sortir des dividendes ».
Partager la recette avec d’autres collectivités
Forte de son antériorité, de la constance de sa politique dans le temps, de ses impacts sur les pratiques alimentaires de ses administrés, la ville de Mouans-Sartoux s’est assignée une dernière mission dans son PAT, consistant à partager sa « recette » avec d’autres collectivités. « La recette, s’il y en a une, c’est d’élaborer un PAT systémique, incluant l’urbanisme, l’éducation, la santé, l’environnement, l’économie car l’alimentation est par nature systémique, donc il faut travailler tous ces champs », suggère l’élu.
Depuis 2018, environ 800 collectivités, en France et en Europe, ont ainsi été approchées. En 2024, la commune a organisé sur ses terres les premières Rencontres nationales des fermes publiques, au nombre d'une centaine actuellement. La prochaine édition est programmée les 18 et 19 juin à Epinal. Mouans-Sartoux a par ailleurs largement inspiré la création du diplôme universitaire « Chef de projet en alimentation durable – option collectivité territoriale », proposé par l’Université de Nice Côte-d’Azur.
Dans la perspective des élections municipales de 2026, la ville organise tout au long de cette année un programme de sensibilisation aux enjeux de l’alimentation, reposant notamment sur des webinaires, avec le soutien de l’Ademe et de la fondation Daniel et Nina Carrasso. Ce travail d’accompagnement va d’ailleurs faire l’objet d’une autre étude d’impact dans le prolongement de celles réalisées sur les pratiques alimentaires et sur la santé (et qui ne constituent pas le dernier intérêt du PAT mouansois). « Je suis convaincu que les transitions viendront des territoires et pas des gouvernements ou de l’Europe, affirme l’élu, qui co-préside le groupe de travail « restauration collective » à l’Association des maires de France (AMF). Faire bouger depuis le sommet, ça ne marche pas, même avec une loi semi-ambitieuse comme Egalim. Il faut vraiment partir des territoires et des habitants pour impulser des changements. C’est peut-être plus long mais quand le changement est là, c’est plus profond ». Un mauvais présage pour la future Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat ? A Mouans-Sartoux, on croit davantage aux PAT. En 2026, « Mouans-Partout » ?