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Egalim 1, 2, 3 : appliquer la loi, appliquer la loi, appliquer la loi
Le groupe de suivi des lois Egalim du Sénat met en garde contre la tentation d’un bouleversement du cadre des négociations commerciales et d’une complexication, tout en s’alarmant du décrochage de la « ferme France » dans les rayons.
Comme chaque année, à l’issue du cycle de négociations commerciales, le groupe de suivi des lois Egalim du Sénat se livre à un travail d’évaluation de l’application des dispositions issues des lois de 2018, 2021 et 2023. Concernant le cycle de négociations de l’hiver dernier, les rapporteurs relèvent que le climat fut « particulièrement délétère » et caractérisé par le retour du rapport de force « pur et dur ». « La pression déflationniste du gouvernement de l’époque a conforté les demandes de baisses de tarifs des distributeurs. Cette façon de procéder, partant du prix aval en déflation pour obtenir le tarif de l’industriel, est aux antipodes de la logique Egalim qui construit le prix « marche en avant » afin de préserver la rémunération de l’amont agricole ».
Contractualisation et indicateurs de référence à la peine
Selon les rapporteurs, les lois Egalim souffrent d’un déficit d’application, à commencer par la contractualisation écrite, s’imposant « en principe » à la quasi-totalité des productions animales. Si la filière laitière fait exception, du fait d’un ancrage historique, le taux de contractualisation est passé de « seulement » 17% en 2022 à 25% fin 2023. Les rapporteurs appellent ainsi les interprofessions à poursuivre les efforts d’accompagnement à la contractualisation. Les rapporteurs accueillent positivement les demandes de filières végétales exemptées (riz, lin, chanvre, oléo-protéagineux, fruits et légumes, certains vins…) de rentrer dans le champ de la contractualisation écrite obligatoire. Ils dénoncent aussi une application lacunaire de publication des indicateurs de référence, faute d’accord entre les acteurs, alors que « les indicateurs fournissent une base de discussion ainsi qu’un référentiel fiable et objectif ».
Contournement de la loi Egalim du 30 mars 2023
Le groupe de suivi dénonce par ailleurs les manœuvres de contournement de la loi Egalim du 30 mars 2023, avec comme cheval de Troie les centrales d’achats basées à l’étranger. « Environ 20 % en valeur ou jusqu’à 50 % en volume des produits commercialisés par la grande distribution en France pourraient être négociés à l’étranger, écrivent les rapporteurs. Les industriels sont de plus en plus nombreux à être convoqués par ces structures internationales qui ne se limitent plus aux multinationales, mais intègrent aussi des PME et ETI ». À ces centrales internationales d’achat s’ajoutent des centrales de services commerciaux, qui se superposent à des services déjà payés au niveau national et qui peuvent s’apparenter à un droit d’entrée en négociations sans contrepartie économique réelle, indique le groupe de suivi. Ce dernier salue l’initiative européenne visant à créer un cadre commun de régulation des pratiques des centrales et à renforcer la coopération des autorités de répression des fraudes, tout en appelant, en attendant sa concrétisation, à systématiser les sanctions.
Le « décrochage » des marques la « ferme France »
Selon le groupe de suivi, l’affaiblissement de la sanctuarisation de la matière première agricole et la généralisation des centrales d’achat internationales ont engendré un « décrochage » des marques de la « ferme France » dans les rayons. Il se matérialise par une progression des produits dont la matière première agricole est d’origine « Union européenne » (ou ailleurs), notamment au niveau des produits de marque de distributeur (MDD). Après des années de retrait, la part de marché des produits sous MDD a augmenté et s’élève à 34 % en valeur. Le groupe de suivi a été alerté à plusieurs reprises sur le fait que le recul de la consommation en 2023 a plus fortement impacté les marques nationales que les MDD. Certains acteurs l’ont expliqué par une décorrélation entre la hausse du tarif consentie à l’industriel et celle du prix de vente en rayon de certains produits de marques nationales, compensée par des baisses de prix de produits MDD – notamment dans le cadre du « panier anti- inflation ». « Si le distributeur est maître de sa stratégie commerciale, il n’est pas acceptable que les industriels aient été désignés responsables de la dégradation du pouvoir d’achat des Français alors même que les évolutions de leurs tarifs ne reflétaient pas toujours celles des prix en rayon », taclent les rapporteurs.
La progression des MDD n’est pas sans incidence sur l’origine des matières premières, chaque fournisseur étant libre de répondre aux appels d’offres internationaux des distributeurs. « Cette guerre des prix au détriment des matières premières agricoles françaises confirme les doutes formulés dès l’examen de la première loi Egalim par le Sénat sur la stratégie de « montée en gamme » de l’agriculture française – doutes par ailleurs confirmés par la non-atteinte des objectifs de produits bios et de qualité dans la restauration collective publique », tranchent les sénateurs.
Les recommandations du groupe de suivi des lois Egalim
Mettant aussi en avant des « réussites récentes », comme l’encadrement des pénalités logistiques ou l’extension de l’encadrement des promotions à tous les produits de grande consommation, les rapporteurs mettent en garde contre « la tentation d’un bouleversement du cadre des négociations commerciales et d’une complexification à l’heure où les acteurs sont en quête de stabilité juridique ». Le groupe de suivi formule les recommandations suivantes :
- renforcer la construction « marche en avant » du prix selon les réalités économiques agricoles : le groupe de suivi appelle les interprofessions à prendre leurs responsabilités en publiant les indicateurs de référence. Une place prépondérante doit être donnée aux indicateurs de coûts de production au sein des formules de détermination et de révision du prix, afin de protéger les agriculteurs de la volatilité des prix.
- généraliser enfin la contractualisation écrite amont : les rapporteurs recommandent qu’un bilan annuel des contrôles de la contractualisation soit rendu public et d’assurer un suivi de la contractualisation, aujourd’hui trop peu appliquée.
- fluidifier les relations commerciales aval au service de la sanctuarisation de la matière première agricole : face à la période d’inflation récente qui a montré les faiblesses des clauses de révision automatique du prix, les rapporteurs recommandent de les renforcer en les intégrant au socle unique de la négociation. Ils recommandent aussi, pour les négociations postérieures à 2025, un allègement de la durée de négociation de trois mois à deux mois.
- mieux documenter les effets de la guerre des prix sur la matière première agricole française : les rapporteurs déplorent l’absence d’évaluation du relèvement du seuil de revente à perte (SRP + 10 %) dont l’expérimentation arrive à échéance en avril 2025. Conscient des effets assurément néfastes pour les agriculteurs d’une guerre des prix entraînée par la fin du SRP +10 %, ils plaident néanmoins pour une prolongation assortie d’une véritable évaluation et non pour une pérennisation. Ils estiment aussi important d’évaluer les effets sur l’amont agricole de la publicité comparative portant sur les prix des denrées alimentaires et d’envisager son encadrement. Enfin, ils recommandent que soit assuré un suivi des prix et de l’origine des produits vendus sous « marque de distributeurs » par rapport aux produits de marques nationales.
- mieux réguler les pratiques des centrales d’achat et de services à l’échelle européenne. Pour Anne‑Catherine Loisier, sénatrice de Côte-d’Or (Union centriste) et rapporteure du groupe de suivi, « les centrales d’achats et de services à l’échelle européenne sont devenues une voie de contournement des lois Egalim, quand elles ne sont pas le support de pratiques abusives. Il faut être intraitable à leur égard et ne pas amoindrir la portée de la loi du 30 mars 2023, qui érige le cadre français des négociations commerciales, protecteur pour l’amont agricole, en loi de police. Nous appelons le ministre à intensifier les contrôles et à systématiquement prononcer des sanctions importantes à leur encontre ».