Du malaise à la « pause », les enseignements d’une crise agricole inédite

[Edito] En dépit du rétrécissement de la profession, quelques milliers de tracteurs ont suffi à rappeler à nos gouvernants et à nos compatriotes que les agriculteurs avaient encore la clé du frigo et du resto. Et que leur combat, déporté momentanément sur l’asphalte, n’était pas seulement leur raison d’être, mais une noble et juste cause au service de la Nation toute entière.

La troisième tentative fut donc la bonne. Après les premières annonces de Gabriel Attal en Haute-Garonne, à un fêtu de paille de l’emblématique barrage de Carbonne, une sortie qualifiée de « ratée » par la FNSEA, après sa déclaration de politique générale qui a plutôt eu pour effet de remobiliser la profession, les ultimes annonces de Matignon le 1er février ont répondu, à l’exception de la Confédération paysanne et du Modef, aux attentes des adhérents et sympathisants de la FNSEA, des JA et de la CR, qui ont appelé dans la foulée à lever les blocages routiers.  Pour le gouvernement, au vu des centaines de témoignages captés sur les barrages, le défi était colossal. Car les paroles libérées ont dessiné le portrait d’une profession paupérisée, déclassée, déconsidérée, empêchée, épiée, harcelée, alors qu’elle se démène 70 à 80 heures par semaine à nourrir trois fois par jour 68 millions de Français, pour pas très cher et plutôt bon, pour ne pas dire pas cher du tout et très bon.

Les clés du frigo et du resto

En dépit du rétrécissement de la population agricole, quelques milliers de tracteurs ont donc suffi à rappeler à nos gouvernants (et prétendants) et à nos compatriotes, que les agriculteurs avaient encore la clé du frigo et du resto « co » (collectif et commercial). Et que leur combat, déporté momentanément sur l’asphalte, n’était pas seulement leur raison d’être, mais une noble et juste cause au service de la Nation toute entière : la souveraineté alimentaire, qui sera donc sacralisée dans la loi. Le gouvernement, qui a fait montre de mansuétude et réactivité, et la population, qui a fait preuve de compassion, sinon de patience, ont entendu les appels de détresse, lesquels ont résonné jusqu’à Bruxelles. La Commission européenne s’est en effet montrée encline à reconsidérer quelques-uns de ses dogmes, s’agissant notamment des impacts du Pacte vert, de la guerre en Ukraine et du projet de traité UE-Mercosur. On le doit en partie à la France et au président de la République, dans un exercice de mano a mano et à distance avec le Premier ministre.

De la « pause » Ecophyto à la pause cinéma, avec « La ferme des Bertrand »

Après des mois de malaise larvé et deux semaines de crise ouverte, le gouvernement a donc trouvé la parade à la révolte agricole, à coups de boutoir à Bruxelles, d’espèces sonnantes et trébuchantes et de symboles. Reste à concrétiser. En France, on voit mal le gouvernement ne pas mettre à exécution l’ensemble de ses promesses car les syndicats ont juste appuyé sur « pause », emboitant le pas à Gabriel Attal qui, outre une batterie de mesures à 360° (rémunération, simplification, non-surtransposition etc..) a aussi appuyé sur « pause », à propos du Plan Ecophyto, au grand dam des défenseurs de l’environnement.

A ce propos, pendant toute cette séquence, on a entendu nombre d’agriculteurs affirmer haut et fort que le respect de l’environnement était aussi leur sujet. Gageons, à l’instar de qu’ils attendent du gouvernement, qu’ils joindront, si ce n’est déjà fait, les actes à la parole et, serait-on tenté de leur conseiller, de façon un peu plus ostentatoire, face à des impacts qui eux sont bien documentés, histoire de sanctuariser les fameuses « preuves d’amour » que viennent de leur manifester les Français. En tout cas, si ces derniers veulent s’offrir une « pause » cinéma et ne pas rompre le lien tissé avec eux ces dernières semaines, en attendant le Salon de l’agriculture, on ne peut que leur conseiller de voir en salle « La ferme des Bertrand », un documentaire qui achèvera de les convaincre de la totale légitimité de leur soutien au non moins juste combat des agriculteurs, dont on n’oubliera pas qu’il a coûté la vie à une jeune éleveuse et à l’une de ses filles.