Gestion des risques climatiques : le nouveau dispositif en 15 questions

Le ministère de l’Agriculture a rendu les derniers arbitrages d’une réforme entrant en vigueur le 1er janvier 2023. Demeurent quelques inconnues et revendications de la profession. Décryptage non exhaustif.

Quel est le cadre réglementaire ?

Le nouveau dispositif d’assurance récoltes est régi par la loi du 2 mars 2022 d’orientation relative à une meilleure diffusion de l’assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture. Il entrera en vigueur le 1er janvier 2023 et s’appliquera à tous les exploitants et à toutes les productions : céréales, oléagineux, protéagineux, plantes industrielles, vigne, arboriculture, prairies, légumes (industrie et marché du frais), horticulture, plantes à parfum, aromatiques et médicinales.

Quels sont les objectifs ?

La réforme vise à renforcer la résistance et la résilience des exploitations face à des aléas climatiques à l’intensité et à la récurrence toujours plus impactantes. Par-delà, il s’agit aussi de préserver notre souveraineté agroalimentaire. Face à cette double menace, qui outrepasse largement les prérogatives des agriculteurs, l’Etat en appelle à la solidarité nationale en mobilisant davantage de fonds publics, européens et nationaux. Mais pas seulement. Assureurs et agriculteurs auront aussi leur part de responsabilité.

La nouvelle assurance récoltes, comment ça marche ?

Le dispositif repose sur une architecture à trois étages, correspondant à trois niveaux d’intensité de pertes. En-deçà de 20% de pertes, les conséquences relèvent de la responsabilité de l’exploitant, car ce seuil n’est ni assurable, ni indemnisable. Au-delà de 20% de pertes, l’exploitant peut se couvrir avec une assurance privée, subventionnée à hauteur de 70% grâce à des fonds de la Pac, moyennant une franchise de 20%. Passé un seuil de pertes exceptionnelles (30% dans le cas des prairies et de l’arboriculture, 50% pour les grandes cultures, les cultures industrielles, les légumes et la vigne), le Fonds de solidarité nationale (ex-calamités agricoles) est activé.

Quels sont les engagements de l’Etat ?

L’Etat s’est engagé à doubler la contribution des finances publiques au nouveau dispositif assurantiel, qui passera ainsi de 300 millions d'euros actuellement à 680 millions d'euros en 2025, comme s’y est engagé le président de la République à Terres de Jim le 9 septembre 2022. Ces fonds publics sont abondés par le budget de l’Etat (90 millions d'euros en 2021), par les crédits de la Pac (150 millions d'euros via les subventions à l’assurance récolte) et par la taxe additionnelle sur les contrats des assurances agricoles (60 millions d'euros).

Le nouveau dispositif acte-t-il la fin des « calamités agricoles » ?

Porté par le Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), le régime des calamités agricoles est remplacé par le Fonds de solidarité nationale (FSN). Le FSN constitue ainsi la 3ème section du FNGRA aux côtés des sections dédiées aux indemnisations des pertes de fonds et au subventionnement de l’assurance récolte. Ses modalités de déclenchement diffèrent de celles des ex-calamités agricoles. C’est un point essentiel de la réforme.

Calamités agricoles et Fonds de solidarité agricole : quelles différences ?

Le FSN se déclenchera en cas de pertes exceptionnelles, fixées à 50% pour les grandes cultures, les cultures industrielles, les légumes et la vigne et à 30% pour toutes les autres productions, dont l’arboriculture et les prairies. Le franchissement de ces seuils impliquera le versement d’une indemnisation à tous les agriculteurs, qu’ils soient couverts ou non par un contrat d’assurance récolte. Mais les assurés seront mieux indemnisés que les non assurés. En 2023, les assurés percevront une indemnisation à hauteur de 90% des pertes dépassant les seuils de 50% ou 30%. L’indemnisation s’ajoutera à celle versée par l’assureur. En 2023, les non assurés percevront une indemnisation à hauteur de 45% des pertes dépassant les seuils de 50% ou 30%. En 2024, le taux d’indemnisation pour les non assurés passera à 40%, puis à 35% en 2025.

Quels sont les objectifs de taux de diffusion à l’horizon 2030 ?

La loi du 2 mars 2002 mentionne les principaux objectifs indicatifs relatifs au pourcentage des surfaces agricoles assurées par le biais d’un contrat d’assurance multirisque climatique subventionné au regard des surfaces agricoles totales à horizon 2030 :

- céréales, oléagineux, protéagineux, plantes industrielles : 60% (contre 33% en 2020)

- vigne : 60% (contre 34% en 2020)

- arboriculture : 30% (contre 3% en 2020)

- prairies : 30% (contre 1% en 2020)

- légumes (industrie et marché du frais) : 60% (contre 28% en 2020)

- horticulture : 30% (contre 3% en 2020)

- plantes à parfum, aromatiques et médicinales : 30% (contre 6% en 2020)

Qui sera l'interlocuteur des assurés et des non assurés ?

Le nouveau dispositif acte la création d’un guichet unique dévolu aux assureurs, et examinant l’ensemble des prérogatives du nouveau dispositif de gestion des risques, pour tous les exploitants, qu’ils aient ou non souscrit une assurance récoltes. Le ministère de l’Agriculture devrait incessamment sous peu mettre en place une plateforme digitale où chaque agriculteur désignera son interlocuteur-assureur.

Tous les assureurs vont-ils jouer le jeu ?

L’article 12 de la loi du 2 mars 2022 stipule que le Gouvernement est habilité à prendre par voie d’ordonnances toute mesure relevant du domaine de la loi concernant l’assurance contre les aléas climatiques en agriculture, afin de permettre aux systèmes de production agricole de surmonter durablement ces aléas et de garantir un large accès des exploitants agricoles à un régime d’assurance contre ces risques, en évitant que la sélection des risques par les entreprises d’assurance aboutisse à une éviction de nombreux exploitants agricoles du marché de l’assurance. L’ordonnance n°2022-1075 du 29 juillet 2022 entérine la création d’un groupement de réassurance par les assureurs commercialisant les assurances subventionnables. Mais le groupement ne sera opérationnel qu’en 2024, ce qui inquiète la FNSEA.

Comment va évoluer le montant des cotisations d’assurance récolte ?

Le montant des cotisations est du ressort des assureurs. Le coût de l’assurance récolte ayant été identifié comme un frein à la souscription, le ministère de l’Agriculture mise sur la nouvelle architecture du dispositif, et notamment sur la création du Fonds de solidarité nationale pour tirer les prix à la baisse. En effet, l’instauration de seuil de pertes exceptionnelles, pour toutes les productions, a pour effet de plafonner les risques encourus par les assureurs et ainsi de réduire, potentiellement, le coût des cotisations.

Les autres assurances agricoles risquent-elles d’augmenter ?

Dans son projet de loi de finances 2023, le ministère de l’Agriculture prévoit de doubler le taux de la contribution au Fonds national de gestion des risques en agriculture, qui devrait ainsi passer de 5,5% à 11%. Cette contribution est prélevée sur les différents contrats d’assurances agricoles (véhicules professionnels, biens d’exploitation...) hors dommages aux cultures et au bétail. En 2023, cette contribution devrait alimenter le FSN à hauteur de 120 millions d'euros selon le ministère de l’Agriculture.

Les efforts d’atténuation des effets du climat seront-ils pris en compte ?

Le nouveau dispositif est clairement conçu pour faire monter en puissance le taux de souscription à l’assurance récoltes et armer les exploitations face au dérèglement climatique, en capitalisant sur le double bénéfice d’une assurance privée et de la solidarité nationale. Cependant, certains agriculteurs pourraient faire valoir leurs efforts d’adaptation à la nouvelle donne climatique, justifiant leur non adhésion à l’assurance récolte. A défaut d’une prise en compte effective de tels moyens de prévention, l’article 20 de la loi du 2 mars 2022 impose au gouvernement de dresser, dans un rapport, « les moyens envisagés par l’Etat pour mieux prendre en compte les moyens de prévention des risques climatiques mis en œuvre par les exploitants, qu’ils aient souscrit ou non une assurance multirisque climatique. Le rapport est censé identifier les « pistes pour ne pas pénaliser, par une minoration, les taux d’indemnisation au titre de la solidarité nationale pour les exploitants non assurés disposant des moyens de prévention offrant une protection suffisante face à certains risques ».

Quid de la moyenne olympique ?

Le dérèglement climatique a pour effet de niveler vers le bas les rendements moyens par culture et donc d’établir des références basses, ayant pour effet de minorer le montant des indemnisations, basées sur la moyenne olympique (moyenne quinquennale excluant la meilleure et la pire année). Problème : la référence à la moyenne olympique (au lieu de la moyenne décennale par exemple) fait l’objet d’un accord négocié en 1994 dans le cadre de l’OMC. Sortir de la moyenne olympique changerait la nature de l’indemnisation versée, qui deviendrait une aide sectorielle et non plus exceptionnelle. L’article 20 de la loi du 2 mars 2022 exige du gouvernement « les pistes d’évolution les plus pertinentes à promouvoir pour reformer les modalités de calcul du potentiel de production moyen par culture, notamment les moyens de rendre le calcul de la moyenne olympique plus cohérent avec la réalité́ des impacts du changement climatique pour les exploitants ». La FNSEA réitère cette exigence.

Selon le ministère de l’Agriculture, le sujet est discuté par le ministre au niveau européen, ne pourra pas à ce stade être embarqué dans le dispositif d’assurance récolte, évoquant « une réforme relevant de l’OMC à moyen long terme ».

Des clauses de revoyure sont-elles prévues ?

Certains paramètres du nouveau dispositif ne sont pas inscrits dans la loi du 2 mars 2022 et relèvent donc de décisions d’ordre budgétaire, s’agissant de la contribution de l’Etat, ou réglementaire, s’agissant des niveaux de franchise, des seuils de pertes exceptionnelles, des critères de couverture surfacique minimale par type de contrat, en fonction des groupes de cultures ou de la destination des cultures, ou encore des conditions d’évaluation (et de réévaluation) des pertes par système indiciel, concernant les prairies par exemple. Ces paramètres seront donc susceptibles d’évoluer dans le temps au gré de la sinistralité et de l’évolution des taux de souscription, ces deux facteurs constituant l’alpha et l’oméga du dispositif.

A Terres de Jim, Emmanuel Macron a lui-même évoqué une « une clause de revoyure » en cas de dépassement des 680 millions d’euros mobilisés par l’Etat au titre de la solidarité nationale à échéance 2025. La clause de revoyure est intégrée dans le décret triennal fixant les différents paramètres (seuils de pertes, taux d’indemnisation...). Selon le ministère de l’Agriculture, en cas de dépassement des 680 M€, « on remettra tout le monde autour de la table pour déterminer, comment financer le dépassement », ce qui pourra passer « soit par des financements supplémentaires, soit par une révision à la baisse de certains paramètres ».

Prairies : expertise « terrain » ou satellitaire ?

Développé par Airbus, en partenariat avec la profession et les assureurs, l’Indice de production des prairies (IPP) repose sur des observations satellitaires à l’échelle communale. Calculé tous les dix jours de février à octobre, il permet ainsi de s’affranchir des variations individuelles liées au mode d’exploitation. L’indice de pousse est comparé à l’indice moyen des cinq années antérieures et déclenche, le cas échéant, le processus d’indemnisation. La FNSEA réclame « la mise en œuvre, dès le 1er janvier 2023, d’un dispositif complémentaire d’expertises terrain simple et accessible à chaque éleveur, assuré ou non, qui permette de corriger toute incohérence entre l’indice et la mesure constatée de la pousse de l’herbe ».

Selon le ministère de l’Agriculture, « le futur système intègrera bien des cartes indicielles mais ne prévoit pas à ce stade la prise en compte des enquêtes terrain ». Le ministère s’en réfère à l’article 5 de la loi du 2 mars, qui entérine la possibilité de contester les évaluations indicielles : « Un décret fixe les conditions d’application du présent article et les conditions dans lesquelles les évaluations des pertes de récolte ou de cultures peuvent faire l’objet d’une demande de réévaluation par les exploitants, notamment en cas d’erreur manifeste relative à l’évaluation des pertes par un système indiciel ». Selon le ministère, « ce décret sera publié d’ici à la fin de l’année, après la constitution de groupes de travail réunissant OPA et assureurs ».