La technique de l’insecte stérile, une alternative biologique prometteuse contre de nombreux ravageurs

Le lâchage de mâles stériles est de nature à réduire significativement les populations de diverses mouches, papillons et coléoptères des vergers, sans risque de résistance et a priori sans effets non intentionnels. Son déploiement est cependant suspendu à une forte mobilisation collective, aux plans opérationnel et financier.

Si l’acétamipride, finalement retoqué par le Conseil constitutionnel, a accaparé une bonne partie des débats de la proposition de loi Duplomb-Menonville, la loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, promulguée le 11 août dernier, a aussi ouvert la voie au déploiement d’une technique de lutte au spectre potentiellement beaucoup plus large que celui de l’insecticide néonicotinoïde et, lutte biologique oblige, sans incidences vis-à-vis de la santé humaine et de l’environnement.

La TIS s’est invitée dans l’actualité pas seulement à la faveur de la loi Duplomb. Elle est mentionnée dans un rapport du Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) rendu public en juillet dernier et consacré à la lutte anti-vectorielle en santé animale (FCO, MHE), la TIS étant susceptible de faire valoir ses intérêts dans les domaines animal et végétal. Elle est aussi le sujet d’un article publié récemment par l’INRAE et The Conversation et intitulé : « La technique de l’insecte stérile, alternative aux pesticides pour l’agriculture française ? »

La TIS, une technique de lutte autocide

La technique de l’insecte stérile, ou TIS, est une technique de lutte autocide, c’est-à-dire interrompant le cycle de reproduction des ravageurs. Elle consiste à élever en masse un insecte ravageur et à stériliser les mâles après sexage, sans toutefois les priver de leur compétitivité sexuelle. Lâchés par voie aérienne au-dessus de zones définies, les mâles stériles s’accouplent avec des femelles sauvages sans engendrer de descendance, ce qui entraîne une diminution de la population de l’espèce de ravageur ciblée. Provoquée par des rayons ionisants, la TIS ne met en jeu aucun processus transgénique et ne relève pas de la réglementation sur les OGM. La loi Duplomb proscrit du reste le recours au « forçage génétique ».

Les mutations obtenues par exposition aux rayonnements sont aléatoires et différentes dans chaque insecte libéré, ce qui empêche tout développement possible d’une résistance dans la population cible. La TIS, enfin, est une technique de lutte spécifique à chaque espèce et n’introduit pas d’espèces exotiques dans l’écosystème. Autant de raisons qui font que la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV) classe les insectes stériles dans la catégorie des organismes utiles, selon le rapport du CGAAER.

Une technique éprouvée depuis les années 1950

Selon l’article de l’INRAE et The Conversation, l’origine de la TIS remonte aux années 1950 et a été mise en œuvre aux Etats-Unis pour contrôler, avec succès, la lucilie bouchère (Cochliomyia hominivorax), une mouche parasite des mammifères. De son côté, le Mexique est parvenu à maîtriser la mouche méditerranéenne des fruits (Ceratitis capitata) et le Canada le carpocapse du pommier. De nombreux autres usages à travers le monde sont mentionnés : mouche orientale des fruits, mouche du melon, pyrale de la poire, ver rose de la capsule du cotonnier, ver rose du cotonnier, pyrale du cactus et orgyie de la pomme australienne, glossines riveraines du bassin de Sidéradougou (Burkina Faso) et à Zanzibar.

La TIS est en cours d’essai dans la lutte contre le moustique tigre (Aedes albopictus) en Italie et en France (Occitanie et La Réunion). En 2024, en plus des usages déjà opérationnels, 39 applications de TIS sont en test, notamment sur les moustiques, dans le monde : une a atteint la phase 4 (déploiement à grande échelle) quand 12 sont en phase 1 (tests en laboratoire), 22 en phase 2 (développement en milieu confiné) et 4 en phase 3 (tests en milieu naturel contrôlé).

8 millions d’euros pour sécuriser 10 milliards d’euros

En Espagne, dans la région de Valence, la TIS est déployée à grande échelle pour lutter contre la mouche méditerranéenne des fruits. Le programme, financé par le gouvernement régional, coûte huit millions d’euros par an et protège une industrie fruitière (agrumes, pêches…) dont le chiffre d’affaires se situe aux alentours de 10 milliards d’euros annuels.

En France, la TIS pourrait potentiellement être mise à profit pour lutter contre le carpocapse et la mouche asiatique (Drosophyla suzukii) sur fraise, framboise et cerise. Si la loi Duplomb donne un peu plus de consistance à cette perspective, encore faudra-il se donner les moyens de produire en masse des insectes stériles et d’organiser les lâchages ciblés. Selon l’article de l’INRAE et de The Conversation, la France pourrait s’inspirer du modèle canadien développé pour lutter contre la carpocapse de la pomme, caractérisé par une gouvernance partagée, entre agriculteurs et acteurs des territoires, avec l’appui d’industriels de la production d’insectes et de leur diffusion, une piste jugée « prometteuse ». « Il apparaît irresponsable de développer des solutions sans réfléchir à leurs effets non intentionnels. Les risques que comportent les différentes méthodes doivent être étudiés et explicités par les scientifiques. À cet égard, une mise en débat citoyenne pour définir les modalités de déploiement des alternatives aux pesticides et orienter les transformations de l’agriculture semble incontournable », conclut l’article.