Le Mercosur, l’aloyau déloyal et la ligne Maginot du patriotisme alimentaire

[Edito] Sans surprise et avec des garde-fous en trompe l’œil, l’Europe ravale ses valeurs en ouvrant la porte à des produits moins-disants, tandis que la France en est réduite à mobiliser le patriotisme alimentaire. Une ligne Maginot face à des produits invisibilisés par l’industrie agroalimentaire et la consommation hors domicile.

« Toxique, incompréhensible et dangereux pour les agriculteurs français » selon la FNSEA. Une « trahison programmée de notre modèle agricole et une remise en cause directe de la souveraineté alimentaire de la France et de l’Europe » pour la Coordination rurale ». Une « offense à l’encontre des jeunes agriculteurs » selon les JA. Un « passage en force et un suicide de l’agriculture française » pour la Confédération paysanne. Telles sont quelques-unes des réactions suscitées par le lancement, le 3 septembre, du processus de ratification de l’accord commercial UE-Mercosur par la Commission européenne, la suite logique de l’accord conclu le 5 décembre dernier, au terme de 25 ans de négociation.

Des miettes de sauvegarde

Et 25 ans d’opacité. Durant ce quart de siècle, les termes de la négociation sont en effet demeurés le jardin secret de la Commission européenne, forte de sa compétence exclusive en matière d’accords de libre-échange. En guise d’apothéose, l’exfiltration du volet commercial de l’accord va accélérer son entrée en application, en court-circuitant au passage les parlements nationaux et en ne requérant qu'un vote à la majorité qualifiée au Conseil de l'UE. Une décision qualifiée d’« anti-démocratique » par les interprofessions de la viande, de la volaille, des céréales et du sucre, les secteurs du vin et des produits laitiers pouvant espérer remplir quelques containers. La Commission a certes concédé à la France quelques miettes en clauses de sauvegarde mais leur portée et leur opérationnalité paraissent aussi chiches que chimériques.

Le patriotisme alimentaire, cette ligne Maginot

Dans un monde qui tourne chaque jour un peu plus à l’envers, la Commission européenne s’accroche à un accord qui prévalait dans l’ancien monde, en ravalant ses valeurs et ses normes et en légitimant les distorsions de concurrence aux plan commercial, social, sanitaire et environnemental. En guise de sauf-conduit, la France, qui elle-même ne sait plus trop où elle habite, en est réduite à ériger une ligne Maginot en faisant appel au patriotisme alimentaire de nos concitoyens : aujourd’hui pour contrer la noisette traitée à l’acétamipride, demain l’aloyau argentin et l’aiguillette brésilienne issus d’une chaine de production mêlant pesticides anachroniques et activateurs de croissance surnaturels, avec une traçabilité suscitant a minima des réserves. Mais de ce côté-ci de l’Atlantique, ce minerai de poulet va s’invisibiliser en produits ultra-transformés et/ou dans la restauration rapide. Deux segments de marché en croissance, il est vrai.