Le traité UE-Mercosur conclu, la France toujours opposée, les agriculteurs furibonds

La présidente de la Commission européenne a conclu le 6 décembre 2024 les négociations avec le Mercosur, au grand dam de Paris, qui précise que l’accord n’est « ni signé, ni ratifié », et des organisations agricoles, qui évoquent un « coup de poignard » et une « trahison » de l’Union européenne.

Elle en avait le mandat depuis 1999 et elle l’a parachevé le 6 décembre : la Commission européenne, par l’entremise de sa présidente Ursula von der Leyen, a conclu à Montevideo (Uruguay) le traité de libre-échange entre l’UE et le Mercosur. « C’est un accord qui bénéficiera aux deux parties et apportera des bénéfices significatifs aux consommateurs et aux entreprises », a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse conjointe avec les présidents de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay. « Nous écoutons les préoccupations de nos agriculteurs et nous agissons en conséquence. Cet accord inclut des garanties solides pour protéger nos moyens de subsistance », a-t-elle ajouté.

« L’accord n’est ni signé ni ratifié, ce n’est donc pas la fin de l’histoire »

Dans la foulée, la France a réaffirmé son opposition à un traité qui « inacceptable en l’état ». « La Commission a achevé son travail de négociation avec le Mercosur, c’est sa responsabilité, mais l’accord n’est ni signé ni ratifié, a indiqué l’Elysée lors d’un échange avec des journalistes. Ce n’est donc pas la fin de l’histoire. Il n’y a aucune entrée en vigueur de l’accord avec le Mercosur ». Les 26 et 27 novembre derniers, l’Assemblée nationale et le Sénat s’étaient, à une très large majorité, prononcés contre l’accord lors d’un vote consultatif.

« Un coup de poignard » de la Commission

La réaction des organisations agricoles n’a pas tardé. Une fois n’est pas coutume, la FNB, association spécialisée de la FNSEA, et la Confédération paysanne ont usé de la même expression pour qualifier l’acte de la Commission, en parlant d’un « coup de poignard ». Un coup porté par « von der Leyen » dans le cas de la FNB, « pour les paysan·nes de France, d'Europe et d'Amérique du Sud », dans le cas de la Conf’. La FNSEA et les JA estiment que « von der Leyen trahit les agriculteurs européens ». Egalement opposée à l’accord, « depuis l’origine, sans ambiguïté », la Coordination rurale dénonce une « attaque contre la souveraineté nationale française », un accord « déforestation brésilienne contre désertification des campagnes d’Europe » et donc « perdant-perdant ».

Plusieurs filières françaises, des secteurs de la viande bovine (Interbev), de la volaille (Anvol), des céréales (Intercéréales) et du sucre (AIBS) appellent à « une mobilisation immédiate » et réclament le recours au droit de veto lors du Conseil de l’Union européenne. Elles appellent « instamment Emmanuel Macron, la France et les partenaires européens, en particulier la Pologne, l’Italie, les Pays-Bas, l’Autriche et l’Irlande à faire valoir expressément leur droit de veto légitime pour défendre fermement les intérêts agricoles européens ».

A l’échelon européen, le Copa-Cogeca (organisations agricoles et coopératives) a dénoncé « un message catastrophique aux millions d’agriculteurs européens » et un accord qui aura « de lourdes conséquences sur l’agriculture familiale dans toute l’Europe ».

Comment la France peut-elle s’opposer ?

Comme l’a souligné l’Elysée, l’accord est conclu et non signé et encore moins ratifié. La ratification passera en effet par l’accord des vingt-sept pays membres de l’UE à l’unanimité, avant l’approbation du Parlement européen et de l’ensemble des parlements nationaux. La France pourra alors user de son droit de veto. Sauf si entre-temps, la Commission décide de sortir le volet commercial de l’accord, lequel relève de ses seules prérogatives. Dans ce cas de figure, la France devra rallier à sa cause au moins trois autres pays membres totalisant avec elle au moins 35% de la population de l’UE pour prétendre bloquer la ratification.

Un océan de distorsions de concurrence et de différentiels de compétitivité

L’agriculture européenne et singulièrement française a beaucoup à perdre avec cet accord de libre-échange, les agricultures des deux rives de l’océan atlantique opérant dans des cours bien distinctes, tant du point de vue des structures économiques que des normes sanitaires, environnementales et sociales.

L’Institut de l’élevage a récemment livré une analyse détaillée des impacts pour la filière bovine, passant en revue le recours aux antibiotiques activateurs de croissance, les pesticides utilisés pour la production de végétaux servant entre autres à la finition des bovins, la considération pour le bien-être animal, la traçabilité lacunaire, la contribution à la déforestation, sans parler des différentiels pour des pas dire des gouffres en matière de compétitivité sur tous les maillons de la chaine.

Entre Paris et Bruxelles, le torchon brûle

Point positif : la conclusion de l’accord va au moins permettre de connaitre son contenu, plus précisément sa nouvelle version après celle préalablement conclue en 2019 et restée vaine, les accords commerciaux étant l’apanage exclusif de la Commission européenne.

Invitée à la cérémonie de réouverture de la cathédrale Notre-Dame à Paris samedi, cinq ans et demi après l'incendie dévastateur, Ursula von der Leyen a finalement annulé sa venue et ne sera pas sur la photo. Entre Paris et Bruxelles, le torchon brûle. Et le pardon ne passera pas par Notre-Dame.