Loi d’orientation agricole : l’essentiel du texte examiné par le Sénat

Les sénateurs ont quelque peu amendé le Projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture que l’Assemblée nationale avait adopté en mai 2024 et que la Chambre haute examine à compter du 4 février, avant de passer en Commission mixte paritaire.

Après avoir adopté, le 27 janvier dernier, et à une large majorité, une proposition de loi visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », le Sénat examine à compter du 4 février le Projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture (PLOA). Promesse présidentielle de 2022 et lancé par Emmanuel Macron lui-même aux Terres de Jim de septembre de la même année, le projet a été percuté par la crise agricole du début 2024 avant d’être abandonné en rase campagne pendant huit mois, suite à la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024.

« Pas une véritable loi d’orientation »

Le texte adopté le 21 janvier par la Commission des affaires économiques du Sénat a été enrichi de 133 amendements et les articles les plus importants ont été « profondément remaniés », aux dires de leurs deux rapporteurs, à savoir Laurent Duplomb (LR) et Franck Menonville (Union centriste),  estimant que le texte adopté à l’Assemblée nationale n’était pas une « véritable loi d’orientation », à l’instar de celles de 1960 et 1962, qui avaient été « structurantes pour le développement de l’agriculture française ». Le texte amendé entend dessiner « un cap clair » pour l’agriculture française et fondé sur une triple ambition : consacrer le principe de souveraineté alimentaire, créer les conditions d'installations viables dans le temps et passer de réflexes de (sur)administration et de sanction à une dynamique d'information et d'incitations. Une fois adopté, le texte fera l’objet d’une Commission mixte paritaire afin de trouver un compromis entre les versions de l’Assemblée nationale et du Sénat, sans calendrier formalisé à ce jour.

« Intérêt général majeur » et principe de « non-régression » de la souveraineté alimentaire

Les sénateurs ont réécrit l’article 1er qui stipulait que « la protection, la valorisation et le développement de l’agriculture et de la pêche sont d’intérêt général majeur en tant qu’ils garantissent la souveraineté agricole et alimentaire de la Nation, qui contribue à la défense de ses intérêts fondamentaux ». L’article 1er affirme désormais que « la souveraineté alimentaire est un intérêt fondamental de la Nation » au sens du code pénal (art. 410-1), et qu’à ce titre, « l’agriculture, la pêche et l’aquaculture sont d’intérêt général majeur ». Les sénateurs ont en prime adopté le principe de « non-régression de la souveraineté alimentaire » de la Nation, inspiré principe de non-régression environnementale. L’article assigne quatre priorités à la souveraineté alimentaire, à savoir assurer la pérennité et l’attractivité de l’agriculture, assurer un haut niveau de compétitivité de l’agriculture, soutenir la recherche et l’innovation et enfin assurer la juste rémunération des actifs en agriculture.

Informer le consommateur pour stimuler l’approvisionnement local

Le texte du Sénat entend faire des consommateurs des acteurs à part entière de la reconquête de souveraineté au moyen de l’étiquetage des produits. Les rapporteurs ont ainsi renforcé l’assise juridique de l’article sur l’étiquetage des produits pour donner au gouvernement un objectif crédible et précis de révision du règlement européen « INCO » (information du consommateur) à horizon 2025, incluant l’obligation d’afficher l’origine des produits sur l’emballage des denrées alimentaires et l’obligation d’y faire figurer l’information que des pratiques interdites au sein de l’UE ont été utilisées, lorsque cela a été le cas. 

Non à « l’installation pour l’installation »

En ce qui concerne le morceau de choix du projet de loi, à savoir le renouvellement des générations, les sénateurs ont conservé les objectifs de 400.000 exploitations et 500.000 exploitants à horizon 2035 gravés dans le texte adopté par l’Assemblée nationale, bien qu’ils paraissent aux rapporteurs étroitement quantitatifs et déjà irréalistes au regard des prévisions de la Cour des comptes. Renonçant à une logique de « l’installation pour l’installation », les rapporteurs ont souhaité maintenir une attention particulière avant tout au sérieux des projets et à la viabilité économique des installations.

Ainsi, pour renforcer « l’efficacité » du guichet unique « France Service Agriculture », qualifié, « à peu de choses près », de processus déjà mis en œuvre sur le terrain, et rebaptisé « France installation-transmission » ou FIT, les rapporteurs l’ont recentré sur les seuls cédants et repreneurs, plutôt que sur l’ensemble des actifs agricoles, car « son élargissement voté à l’Assemblée nationale aurait pu engendrer des flux matériellement difficiles à absorber pour le réseau des Chambres d’agriculture ». Toutefois, le texte prévoit un « point de contact », une sorte de FIT allégé chargé plus spécifiquement de l’accueil des conjoints de candidats à l’installation et de l’ensemble des actifs agricoles (salariés, techniciens).

En ce qui concerne la Déclaration d’intention de cesser l’activité agricole (Dicaa), les rapporteurs ont introduit plus de souplesse et de lisibilité dans le dispositif, misant sur les incitations, plutôt que sur l’obligation, afin favoriser la mise en relation entre cédants et repreneurs.

Un diagnostic « micro » et « macro »

Si le texte reprend le principe du diagnostic modulaire des exploitations destiné à renforcer la viabilité économique, environnementale et sociale des projets d’installation et de cession d’exploitations agricoles, les sénateurs ont souhaité lui conférer une tonalité davantage économique, pour en faire « un outil orienté sur les préoccupations des agriculteurs ». Toujours nantis d’un « stress-test » climatique et rebaptisés « diagnostics de viabilité économique et de vivabilité des projets agricoles », ils seront gratuits pour les agriculteurs en début ou en fin de parcours, s’ils suivent le parcours d’accompagnement à l’installation-transmission. Le texte prévoit, de façon anonymisée, la transmission des données des diagnostics au guichet unique « afin de renforcer la pertinence de l’action de ce dernier ».

Les rapporteurs ont par ailleurs souhaité faire du marché à horizon 20 ans le principe directeur de la politique d’installation, afin d’orienter les candidats à l’installation qui le souhaitent vers les spécialisations les plus prometteuses. Il s’agit du complément, à une échelle « macro », du diagnostic de viabilité des exploitations, à une échelle « micro ».

Tout en en réécrivant le dispositif, les rapporteurs ont également conservé dans son principe la possibilité de percevoir des revenus non agricoles pour des sociétés dont l’objet principal est agricole, à la condition que ces revenus soient issus d’activités connexes s’inscrivant dans le prolongement de l’acte de production.

Bachelor agro et accent sur l’entreprenariat

Les sénateurs ont repris à leur compte la création d’un diplôme national de premier cycle en sciences et techniques de l’agronomie, reconnu comme une licence en sciences et techniques de l’agronomie du système licence-master-doctorat, mais qu’ils ont rebaptisé « bachelor agro » pour plus de visibilité, comme dans le texte originel du PLOA. Ils ont par ailleurs proposé de généraliser la formation à l’entrepreneuriat dans l’enseignement technique, « les chefs d’exploitation étant d’abord et avant tout des gestionnaires, capables d’opérer des choix difficiles dans un environnement économique et climatique de plus en plus incertain ».

Simplification et sécurisation administratives

Pas tendre avec certains articles portant sur la simplification, qualifiés d’ajouts « post-crise », de « copier-coller » s’agissant de l’accélération des contentieux et de l’atténuation de leurs effets ou encore de « coquilles vides » à propos du quantum des peines en matière d’atteinte à l’environnement ou les dommages causés par les chiens de protection des troupeaux, les rapporteurs du texte, entendent, à travers leur réécriture, « passer des réflexes de (sur-)administration et de sanctions à une dynamique d’information, d’incitations et d’innovation », avec notamment le la dépénalisation de certaines infractions environnementales non intentionnelles ou résultant d’un conflit de normes. En ce qui concerne les haies, le texte intronise une cartographie des réglementations applicables aux haies, « pour plus de clarté et de sécurité juridique », et la reconnaissance des us et coutumes sur le territoire du département, pour une application circonstanciée des règles, tenant compte notamment de la densité de haies sur un territoire donné et de son évolution passée.