[Rétro 2024] En janvier, les paysans sur le bitume, le Premier ministre sur la paille

La colère qui couvait à bas bruit depuis des mois, sur fond de refiscalisation du GNR et d’émergence de la MHE, connait son point d’orgue à Carbonne (Haute-Garonne) où les tracteurs bloquent durant 10 jours l’autoroute A64, que Gabriel Attal, au coin d’une botte de paille, débloquera partiellement et provisoirement en « topant » avec l’éleveur Jérôme Bayle. C’est aussi sur le bitume que le mouvement va connaitre un drame, avec la mort accidentelle d’une jeune éleveuse et de sa fille en Ariège.

Le 18 janvier 2024, des agriculteurs entament à hauteur de Carbonne (Haute-Garonne) le barrage de l’autoroute A64 reliant Toulouse (Haute-Garonne) à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques). Un barrage parmi des centaines pour de pas dire des milliers de blocages routiers et autres manifestations à travers tout le pays mais qui va devenir un temps l’emblème de la colère agricole, laquelle va submerger les ondes durant toute la deuxième quinzaine de janvier. Le barrage lui-même sera levé à partir du samedi 27 février, au lendemain de la visite sur place du Premier ministre Gabriel Attal.

Dans la soirée du 22 octobre 2023, des agriculteurs tarnais retournent quelque 300 panneaux d’entrée de village aux quatre coins du département (Crédit photo : JA du Tarn)
Dans la soirée du 22 octobre 2023, des agriculteurs tarnais retournent quelque 300 panneaux d’entrée de village aux quatre coins du département (Crédit photo : JA du Tarn)

Le 22 octobre 2023, quelque part le Tarn, « on marche sur la tête »

A peine nommé à la suite d’Elisabeth Borne, Gabriel Attal est en effet happé par une crise agricole dont les origines peuvent être datées et localisées dans le Tarn, toujours en Occitanie, quelques mois auparavant. Dans la soirée du 22 octobre 2023, des agriculteurs retournent quelque 300 panneaux d’entrée de village aux quatre coins du département. L’opération « on marche sur la tête » est née et s’avérera terriblement efficace, les agriculteurs réussissant le tour de force de mettre comme rarement les médias et l’opinion publique dans leur poche, forçant les pouvoirs publics à faire preuve de mansuétude sur les différents théâtres d’action syndicale, au grand dam des militants écologistes taxés d’être des « éco-terroristes » à la moindre incartade. Factuellement, le barrage de Carbonne est en réalité un barrage filtrant du fait de la présence de bretelles de sortie de part et d’autre du barrage, qui plus est sur une portion gratuite de l’A64.

Le 26 janvier à Montastruc-de-Salies (Haute-Garonne), non loin du barrage de Carbonne, le Premier ministre Gabriel Attal annonce une première salve de mesures (Crédit photo : ministère de l’Agriculture)
Le 26 janvier à Montastruc-de-Salies (Haute-Garonne), non loin du barrage de Carbonne, le Premier ministre Gabriel Attal annonce une première salve de mesures (Crédit photo : ministère de l’Agriculture)

« Sans les agriculteurs, on n’est plus la France »

A l’occasion de son premier déplacement « agricole » le 26 janvier dans exploitation bovine de Montastruc-de-Salies (Haute-Garonne), au pied d’une botte de paille, le Premier ministre ne lésine sur les formules, énonçant une « agriculture au-dessus de tout », le « début d’un sursaut », un « nouveau chapitre que l’on va écrire ensemble ». « On ne vous lâchera pas, je ne vous lâcherai pas », dit encore le Premier ministre.

"On va se battre à l’international pour refuser des traités de libre-échange qui sont en réalité la loi de la jungle"

« On va se battre ici en France », « on va se battre aussi au niveau européen pour faire bouger les lignes », « on va se battre à l’international pour refuser des traités de libre-échange qui sont en réalité la loi de la jungle », ce que la finalisation de l’accord UE-Mercosur le 6 décembre dernier démentira. « Sans paysan, il n’y a pas de pays » ou « sans les agriculteurs, on n’est plus la France » clame encore Gabriel Attal.

Un « choc de simplification »

Le Premier ministre réinstaure l’exonération fiscale du GNR avec déduction en pied de facture, débloque un fonds d’urgence de 50M€ pour la bio, annonce la prise en charge des frais vétérinaires liés à la Maladie hémorragique épizootique à hauteur de 90% cotre 80% auparavant et promet un « choc de la simplification » d’ici au Salon de l’agriculture. « La vérité m’oblige à dire que depuis plusieurs années, les agriculteurs ont le sentiment de faire face à un Etat qui contrôle, plus qu’il n’accompagne », dit Gabriel Attal. « On simplifie au maximum l’administration du quotidien, avec en ligne de mire le projet de loi d’orientation, qui va être enrichi, énonce le Premier ministre. Simplifier drastiquement les procédures. Supprimer des normes quand elles n’ont pas de sens. Ça commence aujourd’hui ».

Le « tope » avec Jérôme Bayle, électron syndical

Dans la soirée, le Premier ministre se rend sur le barrage de Carbonne à un jet de bouse de là et obtient de Jérôme Bayle, éleveur bovin de Montesquieu-Volvestre (Haute-Garonne) et leader local de la contestation, la levée du blocage. Sauf que l’électron syndical libre n’est pas Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, qui déclare, trois jours plus tard : « Gabriel Attal n’a levé qu’un seul blocage, celui de l’A64 ». Le Premier ministre se fendra dans la foulée d’une seconde salve d’annonces à 360°, visant à sacraliser la souveraineté alimentaire, à redonner du revenu aux agriculteurs et de la valeur à l’alimentation, à en finir avec les surtranspositions et les situations de concurrence déloyale, à porter Egalim au plan européen ou encore à assouplir la fiscalité entourant la transmission-installation. Un plan de 150M€ est attribué à l’élevage en soutien social et fiscal tandis que le plan Ecophyto est mis en « pause ». Le répit sera assuré jusqu’au 24 février, jour d’ouverture (chaotique) du Salon de l’Agriculture.

« Agriculteur : enfant, on en rêve, adulte, on ne crève » : le slogan va faire florès sur de nombreux lieu de manifestation (Crédit photo : R. Lecocq)
« Agriculteur : enfant, on en rêve, adulte, on ne crève » : le slogan va faire florès sur de nombreux lieu de manifestation (Crédit photo : R. Lecocq)

Les Français au soutien massivement et durablement

Durant toute cette séquence hivernale, les témoignages et reportages ont donné à voir la réalité d’un métier sous-considéré et sous-payé, et d’une profession toujours plus invisibilisée, aux prises à une perte de sens voire à une crise existentielle. Les Français compatissent, massivement et durablement : au plus fort de la crise, ils sont 89% à soutenir et à légitimer les revendications des agriculteurs. Sous l’effet d’une couverture médiatique sans précèdent, nos compatriotes ont ainsi pris en pleine face la charge mentale pesant sur une profession brinquebalée par les aléas sanitaires, climatiques et géopolitiques, une profession déboussolée par des injonctions contradictoires à tout-va, celle des consommateurs et citoyens, mais aussi celles de nos institutions. Il ne suffit de mettre en parallèle les conditionnalités de la Pac avec les libéralités du Mercosur pour s'en convaincre.

Accident dramatique sur un barrage en Ariège

Si les agriculteurs ont battu le bitume pendant plusieurs semaines, le bitume leur aussi tragiquement enlevé deux des leurs. « Je n’oublie pas au milieu de cette crise agricole immense le coup de téléphone reçu un matin de janvier, c’était le 23 janvier à 6h30, qui m’a appris l’accident qui avait coûté la vie à Alexandra et Camille Sonac en Ariège », dira le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau le 21 septembre, lorsqu’il transmettra le flambeau, pour ne pas dire le lambeau, à Annie Genevard.

Le testament d’une jeune éleveuse de 35 ans

La jeune éleveuse et sa fille de 12 ans ont perdu la vie sur un barrage érigé sur la route nationale 20 à Pamiers (Ariège). La veille au soir, Alexandra Sonac témoignait sur une radio locale. « On est là aujourd’hui parce qu’on vient défendre notre métier, trop de contrôles, trop de contraintes par rapport à cette irrigation, par rapport à cette nouvelle maladie qui est sortie, la MHE. (...) Il y a encore plus de contraintes, de prises de sang à faire pour pouvoir vendre, c’est trop de débordement, un ras-le-bol, la goutte d’eau qui fait déborder le vase (...) On fait quand même partie du seul métier pour lequel on a des produits où on ne décide pas du prix de vente, chose pour moi qui est inadmissible (...) Moi j’ai quand même une famille à nourrir et quand on voit qu’on peut pas se retirer de salaire ou juste le Smic, pour moi c’est pas normal (...) Moi j’ai deux enfants à charge, là pour l’instant on vit, mais pour elles (...) On part pas en vacances, on n’a pas de jour de repos, aucun plaisir avec les enfants ».

 

Dossier :  Les 12 temps forts de 2024, année erratique

En février, le soulèvement de terriens au Salon de l’agriculture

Tous les articles de la rétrospective 2024