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La loi d’orientation agricole, un double défi productif et inclusif
[Edito] Le texte adopté par le Parlement donne des gages de réarmement censés corriger certaines de nos vulnérabilités tandis que le guichet unique « France Services Agriculture » porte en germe une politique d’installation potentiellement plus inclusive, tant au niveau des candidats que des acteurs mobilisés. A l’accès au foncier près.
Après deux ans et demi de gestation, un cycle de concertations dans toutes les régions de France, une première adoption à l’Assemblée nationale, une dissolution et une censure, le « Projet de loi d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture » (LOA) a été définitivement adopté par le Parlement le 20 février. Objectif : se donner les moyens de reconquérir une souveraineté alimentaire déliquescente, voyant la France exporter du lait et importer du beurre, exporter du blé dur et importer des pâtes, exporter des patates et importer des frites, exporter des broutards et importer de la viande de bœuf, importer des fruits et importer de la salade de fruits, importer des légumes et importer de la ratatouille. On passe rapidement sur deux denrées emblématiques que sont la volaille et la tomate, dans les plumes et dans le rouge vif.
« Il nous faut stopper ce délire décroissant, cette folie normative »
Depuis quelques années, aux côtés de la double érosion de la SAU et de la population agricole, les chiffres de la balance commerciale et plus encore des taux d’auto-approvisionnement font office de gyrophare, que la crise du Covid puis la guerre en Ukraine ont fait davantage scintiller. En 2022, la Commission des affaires économiques du Sénat publiait un rapport et appelant à un « choc de compétitivité » de la ferme France, débouchant sur une proposition de loi ayant pour rapporteur le sénateur Laurent Duplomb, logiquement à la manœuvre sur la LOA. « Il nous faut stopper ce délire décroissant, cette folie normative, ces oppositions stériles qui nous mènent sur le chemin du déclin », a affirmé l’agriculteur-sénateur au cours des débats. Les contempteurs du projet loi, pour qui l’acception de la souveraineté alimentaire retenue dans la LOA est dévoyée, dénoncent une fuite éperdue, et perdue, au productivisme et à la compétitivité, au mépris des transitions agricoles et alimentaires et de la résilience. « Plus on exporte, plus on importe, plus on impacte », résument-ils, en référence notamment, mais pas seulement, aux engrais et au soja qui perfusent le modèle actuel.
Une loi bis anti-entraves
Si la LOA ne s’attarde pas sur les engrais et le soja, elle traite d’autres facteurs de production tels que les produits phytos, les bâtiments d’élevage ou encore les réserves d’eau, avec pour dénominateur commun l’allègement des entraves, assorties, le cas échéant, d’une dépénalisation des infractions « non intentionnelles » s’agissant des atteintes à la biodiversité. Le texte emprunte au Code de l’environnement, pour l’inscrire dans le Code rural, le principe de non-régression, en l’appliquant à la souveraineté alimentaire. Une pirouette aux allures de « foutez-nous la paix, laissez-nous travailler », cher à la Coordination rurale et dans la lignée de la proposition de loi anti-entraves portée par la même majorité sénatoriale, en cours d’examen l’Assemblée nationale. La LOA a failli du reste sacrifier l’agriculture bio, tout en étrennant un autre principe inédit, « refusant des interdictions de produits phytopharmaceutiques sans solutions économiquement viables et techniques efficaces apportées aux agriculteurs », une forme de négation de l’AB, que les députés ont finalement réhabilitée. Mais pas l’agroécologie, en dépit du fait que, selon un récent rapport du Shift Project, 80% des agriculteurs souhaitent adopter ou ont déjà adopté des pratiques agronomiques durables.
Une LOA orpheline de la question foncière
Autre facteur de production, et pas des moindres : les actifs agricoles. « La politique en faveur de la souveraineté alimentaire a pour priorité d’assurer la pérennité et l’attractivité de l’agriculture ainsi que le renouvellement de ses générations d’actifs, en facilitant l’installation, la transmission et la reprise d’exploitations », est-il gravé dans la loi. Cette dernière enterre les Points d’accueil installation (PAI) au profit de guichets uniques départementaux « France Services Agriculture » (FSA). L’intitulé, qui a lui-même varié au cours de l’examen du texte, n’est pas sans rappeler les maisons France Services, instituées par Emmanuel Macron en 2018, et rassemblant 12 organismes pour faciliter la vie administrative des Français. Puisse les guichets FSA avoir le même sens du service public et les mêmes vertus inclusives, tant des candidats à l’installation que des acteurs compétents et reconnus en la matière. Outre les indicateurs de souveraineté, l’Histoire jugera aussi la LOA sur l’objectif de 400.000 fermes à 2035 inscrit la loi, et qui pourra difficilement faire l’économie d’une loi foncière, la problématique de l’accès à la terre, facteur de production s’il en est, et frein majeur à l’installation, étant totalement absente de la loi, sinon cantonnée à la création d’un droit d’association à l’essai et d’une aide au passage de relais.