Pac : le spectre de la décroissance s’éloigne, place au débat sur la (re)distribution des aides

[Edito] En quelques semaines, les exécutifs européen et nationaux ont partiellement réécrit une Pac sur laquelle avaient phosphoré 450 millions d’européens pendant des années. Dont acte. Et puisque le spectre de la décroissance s’éloigne, le champ est libre pour s’attaquer à la (re)distribution des aides, avec en filigrane l’adhésion de l’Ukraine, le pays aux 5 millions de micro-exploitations.

Le 1er juin 2018, la Commission européenne présentait ses propositions législatives relatives à la réforme de la Pac. Le 31 août 2022, elle donnait son blanc-seing à la France pour son Programme stratégique national (PSN). Entre-temps, quatre ministres de l’Agriculture se seront succédé rue de Varenne et on ne compte pas le nombre de conseils européens, de trilogues, de débats parlementaires européens et nationaux, de Conseils supérieurs d’orientation, sans oublier la plateforme participative du débat public ImPACtons et son assemblée citoyenne sur l’agriculture. On passe rapidement sur les avis du Haut conseil pour le climat, de la Cour des comptes ou encore de l’Autorité environnementale. Au final, chaque citoyen européen aura, de près ou de loin, donné son avis sur la Pac, un exercice qui se sera étiré sur 4 ans et à valoir pour 5 ans, pas aidé par le Covid, il faut en convenir. Un bel exercice démocratique à la gloire de l’UE et à sa seule et unique politique commune, UE que les populistes et démocrates illibéraux rêvent de dézinguer le 9 juin à l’occasion des élections européennes.

La jachère en jachère

Cette échéance électorale, cruciale pour notre continent - « L’Europe est en danger de mort » a martelé Emmanuel Macron dans son discours à la Sorbonne le 25 avril - n’est pas totalement étrangère à la célérité avec laquelle les exécutifs européen et nationaux ont ménagé des « simplifications » dans le règlement de la Pac. Un bel euphémisme pour torpiller le volet environnemental de la Pac ou enterrer la décroissance sous feu la jachère, selon que vous serez écologiste ou souverainiste (à la mode agricole). Mais la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine ont piqué à vif la sécurité alimentaire. Le 24 avril, le Parlement européen a ainsi entériné plusieurs assouplissements des règles de conditionnalité portées par les BCAE. Exit la BCAE 8 et l’obligation du respect d’un taux minimal de jachère et d’éléments improductifs favorables à la biodiversité. Des garde-fous sont toutefois ménagés via l’écorégime. Dans cette séquence expresse, le signal donné est cependant plus signifiant que le fond, car le nouveau règlement ne va pas fondamentalement changer la donne, ni pour les quintaux, ni pour les carabes.

Le champ libre pour le débat sur la distribution des aides

Une autre manière de voir le « vert » à moitié plein est de considérer que, la question environnementale étant, au moins temporairement, évacuée, le champ est libre pour aborder le morceau de choix de la Pac : le budget et plus encore ses règles de distribution, alors que se profile à l’horizon - lointain - la perspective de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE. En France, le PSN 2023-2027 avait achoppé sur le taux de transfert entre 1er et 2ème pilier (maintenu à 7,53%), le paiement redistributif, maintenu à 10% du 1er pilier sur les 52 premiers hectares (soit la SAU moyenne de 2014 contre 69ha en 2020), ou encore sur l’aide aux petites fermes (éconduite en dehors d’une aide couplée au « petit maraichage ») susceptible de préfigurer l’arlésienne aide l’actif. Arlésienne ou ukrainienne ? Selon la fiche dédiée à l’Ukraine des « Politiques agricoles à travers le monde », éditée par le ministère de l’Agriculture en 2019, l’Ukraine comptait alors 150 « agroholdings » exploitant chacun plus de 10.000ha, 33.000 exploitations couvrant entre 1 et quelques milliers d’ha, et 5,4 millions de micro-exploitations. Place au débat sur la (re)distribution des aides.