- Accueil
- Pyrénées-Orientales : des dizaines de mm de pluie qui valent des millions d’euros
Pyrénées-Orientales : des dizaines de mm de pluie qui valent des millions d’euros
[Reportage] Après deux ans de sécheresse sans fin, à défaut de recharger les nappes et en attendant des aménagements structurels qui sont « dans les tuyaux », les 60 à 120 mm tombés en quelques jours sur le département sont de nature à sauver les récoltes d’abricots et de pêches. Mais pas les fameuses cerises de Céret, qui ont éclaté sous l’effet d’excès d’eau...
Entre le 27 avril et le 1er mai, il est tombé, selon les secteurs, entre 60 et 120 mm sur le département Pyrénées-Orientales. Selon Météo-France, il n’avait pas plus autant depuis mars 2022. C’est peu dire l’épisode pluvieux, qui en prime a eu la bonne idée de s’étirer dans le temps pour bien imprégner les sols, est une aubaine. « On est sauvé », s’exclame Jean Bertrand, responsable de la gestion de l’eau à la Chambre d’agriculture des Pyrénées-Orientales (PO), avant de rajouter, « au moins partiellement ».
D’ouest en est, les PO sont traversées par trois vallées correspondant aux trois fleuves principaux qui naissent dans le département avant de se jeter dans la méditerrannée. Deux d'entre eux, l’Agly et la Têt, sont entravés chacun par un barrage hydro-électrique, dont la fonction première est d’écrêter les crues, à des fins de sécurisation des populations, tout en ménageant des réserves respectives de 27,5 et 24,4 millions de m3 d’eau.
La Têt alimente en prime une troisième réserve de 17,5 millions de m3 à Villeneuve-de-la-Raho, via le canal de Perpignan, où un projet de golf fait grincer les dents, même s’il s’appuie sur la réutilisation d’eau usées traitées. « Partiellement sauvés parce que le secteur de l’Agly, le plus critique, n’a reçu que 60 mm », précise Jean Bertrand, qui ne désespère pas la survenue d’autres « coups d’eau » dans les jours et semaines à venir.
Il n’empêche. Les pluies de ces derniers jours font quasiment office d’assurance récolte pour les productions d’abricots et de pêches, biberonnées au goutte-à-goutte dans toute la plaine du Roussillon.
En 2023, la Chambre d’agriculture avait estimé à 367 millions d’euros le préjudice induit par la sécheresse et les restrictions d’irrigation, dont 78% de pertes de production et 22% de pertes de fonds, l’arboriculture payant le plus cher tribut, cumulant 51% des pertes, devant la viticulture (41%), le maraichage (4%), l’élevage (3%) et les grandes cultures (1%). « On avance à l’aveugle, énonce le technicien. Ce printemps, on a vu des arbres faire des fleurs, comme un ultime signe de survie, avant de mourir ».
L’agriculture catalane est en première ligne face au péril climatique. Selon Serge Zaka, Docteur en en agraclimatologie, il manque encore 1000 mm pour envisager un retour à la normale dans le département, ce à quoi il faut ajouter un risque de salinisation des nappes selon le BRGM. L’Etat et les collectivités locales sont pleinement mobilisés. A l’automne dernier, le gouvernement a confié à l’IGEDD (*) et au CGAAER (**) une mission visant à définir des propositions opérationnelles sur la gestion des principaux ouvrages hydrauliques et notamment des barrages, l’investissement dans le réseau de canaux, l’aménagement de nouvelles retenues hydrauliques, le contrôle des forages, le remplissage des nappes phréatiques, la mobilisation de nouvelles ressources (eaux usées, désalinisation) ou encore la préservation et la restauration des zones humides.
Sont sur la table le prolongement de l’aqueduc Aqua Domitia qui achemine l’eau du Rhône jusqu’à Narbonne (Aude), la rénovation du canal de Perpignan (vieux de 800 ans), la remontée des eaux usées traitées de la ville de Perpignan jusqu’au barrage de Vinça pour assurer le débit réservé de la Têt défendu par les associations écologistes, ou encore la construction d’une canalisation reliant le lac de Vinça à celui de Villeneuve pour mieux garantir le remplissage de ce dernier.
« Les acteurs se bougent mais l’ingénierie publique requis pour faire émerger les projets fait encore défaut, analyse Jean Bertrand. Au plan financier, l’Etat a lancé un fonds hydraulique de 20 millions d’euros pour tout le pays. Dans les PO, il faudrait 20 millions d’euros par an pendant 4 ou 5 ans si on veut être à la hauteur du défi ».
Depuis, Gabriel Attal a annoncé le lancement d’un Plan l’adaptation de l’agriculture méditerranéenne doté de 50 millions d’euros au bénéfice, entre autres, des Pyrénées-Orientales. En attendant, ce sont les producteurs de cerises de Céret qui risquent de solliciter le robinet des aides : les pluies de ces derniers jours ont littéralement éclaté les fruits, « comme des grenades », selon Jean Bertrand.
(*) Inspection générale de l'environnement et du développement durable
(**) Conseil général de l'agriculture, de l'alimentation et des espaces ruraux