[Vidéo] Michel Biero (Lidl) : « Si tout le monde vendait le lait à 1 €, on n’en vendrait pas un litre de moins »

[SIA 2024] Prix plancher ou interdiction de revente à perte, peu importe : le président de Lidl France, qui n’a pas la prétention de « sauver le monde agricole » appelle à sortir de l’hypocrisie et réclame un élan collectif qui pourrait s’inspirer de ses contrats tripartites. Sous peine « de manger du poulet ukrainien et de boire du lait polonais ». Interview.

Les prix planchers, pour ou contre ?

Michel Biero : ni pour ni contre mais je vais arrêter de parler de prix planchers. Le président de la République était un peu sous pression et a lâché ce concept. Il faut faire attention. Ce n’est pas ce que j’ai impulsé. Il y a 6 ans, quand on a poussé des amendements via des parlementaires, pour la loi Egalim 1, on avait parlé de prix minimum garantis pour un éleveur.

"Ce que j’ai dit au Premier ministre : pourquoi l’éleveur à le droit de revendre à perte "

Un industriel n’a pas le droit de revendre à perte et un distributeur n’a pas le droit de revendre à perte. J'ai demandé au Premier ministre :  pourquoi l’éleveur à le droit de revendre à perte ? On les appelle comme on veut [les prix planchers] mais que tous ceux qui critiquent les idées, qu’ils en proposent d’autres. Dans les tripartites, c’est exactement ce qu’on fait, on pourrait intégrer dans la loi les contrats tripartites, l’obligation de 50% du volume par exemple. Egalim a bien été proposé à titre expérimentale, faisons d’autres expérimentations, étant donné que les versions 1, 2, 3, n'ont pas bien fonctionné.

Qu'est-ce que la mécanique des contrats tripartites ?

Michel Biero : je vais prendre l’exemple de NatUp, un groupement d’éleveurs de vaches normandes. Nous sommes en contrats tripartites depuis 6 ans. Ils définissent le coût de production et on s’engage à rémunérer ce coût de production avec l’industriel. L'éleveur sort alors de la discussion et je fais une deuxième contrat, qui est une condition d’achat entre le distributeur et l’industriel et je continue à négocier. Et comme ça, personne ne peut me dire que je suis dans l’anti-concurrence.

Combien de contrats tripartites chez Lidl ?

Michel Biero : c’est ça le problème, ce n'est que 20% dans la viande et 25% dans le lait. Quand l'intermédiaire entre dans un contrat tripartite, l’industriel devient transparent, j’ai presque envie de dire prestataire de service.

Est-ce la faute à l’industriel ?

Michel Biero : J'ai demandé à l l’industriel de m’en faire plus mais je n’y arrive pas.

Industriels privés ou coopératifs, même combat ?

Michel Biero : il faut que tout le monde aille dans le même sens et change de modèle. Mais, il n’y a pas de volonté collective. Que le législateur fasse son travail. Il faudrait peut-être supprimer 10 lois et en faire une vraie qui protège le monde agricole.

"A un moment donné, il faut arrêter l’hypocrisie générale"

Ainsi, il n’y aura plus d’industriels qui diront, « c’est compliqué, c’est pas possible » ni de distributeurs qui argumenteront : « vendre 1 kilo de porc à 1,99 €, c’est illégal ». L’hypocrisie générale doit cesser. Vendre du porc à 1,99 € en 2024 alors le cours de Plérin est à plus 2 € et qu'à la sortie de ferme il est à 1,80 €, ce n’est pas possible. Ça entraine toute la filière vers le bas tout en pénalisant le monde agricole.

À combien vendez-vous le porc ?

Michel Biero : la même semaine, quand mes concurrents vendaient à 1,99 € de l’échine, j’étais à 6,29 €.  Je ne devrais pas le dire, j’ai presque honte, avec 10% de marge. Mais là, mes clients vont plutôt aller voir mon concurrent et c'est un problème. Il faut donc que le mouvement soit collectif et c'est pourquoi j'avais proposé un prix minimum de vente pour les distributeurs.

"on achète du coca a 3 euros mais ça nous embête d’achter un litre de lait à 1 euro"

On achète du coca à 3 € mais ça nous embête d’acheter un litre de lait à 1 €. Si tout le monde vendait le litre de lait à 1 €, je suis sûr qu’on n’en vendrait pas un litre de moins. Faisons l’expérimentation !

Comment va-t-on sortir de la crise ?

Michel Biero : c’est une crise agricole profonde. La rémunération est le point crucial, j'en ai parlé au Premier ministre. Arrêtons de parler d'aides, il faut parler de rémunération aux agriculteurs. Ils veulent simplement vivre de leur métier. Qu’on l’appelle "prix plancher" ou "interdiction de revente à perte", il faut proposer quelque chose et rapidement ou bien dans un an ou deux ans, on sera exactement dans la même situation.

La prochaine loi Egalim, on pourrait l’appeler la loi Lidl ?

Michel Biero : surtout pas ! Je lance un appel et je reste à disposition avec les équipes pour en parler. Je ne suis ni politicien ni avocat mais un distributeur. Je ne suis pas philanthrope non plus, je dois gagner de l’argent et je prouve qu'avec les contrats tripartites, c’est possible. Mais il faut néanmoins un élan collectif. Je n’ai pas la prétention de sauver le monde agricole mais il faut s'activer sinon on mangera du poulet ukrainien, on boira du lait polonais et on mangera du porc danois.