Sur la question foncière, l’esquive et le paradoxe du projet de loi d’orientation

[Edito] Alors que les potentiels entrants dans le métier, majoritairement non issus du milieu agricole, ont les pires difficultés à acheter ou à louer de la terre, parce qu’ils n’ont ni la carte (bancaire), ni les codes (anthropologiques), le Projet de loi d’orientation agricole esquive en partie la question foncière tout en visant 400.000 exploitations à l’horizon 2035.

Le Projet de loi d’orientation agricole, (PLOA), dont l’examen à l’Assemblée nationale a débuté le 15 mai, ne constituera pas le grand soir du foncier agricole. La chose était entendue depuis le début des concertations sur le Pacte et la loi d'orientation et d’avenir agricoles, le gouvernement manifestant sa frilosité pour en pas dire son opposition à un tel projet. C’est à tout le moins étonnant quand on sait que 10 millions d’hectares (un tiers de la SAU) vont changer de mains dans les 10 ans à venir et que les potentiels entrants dans le métier, majoritairement non issus du milieu agricole, ont les pires difficultés à acheter ou à louer de la terre, parce qu’ils n’ont ni la carte (bancaire), ni les codes (anthropologiques). Or l’accès au foncier constitue un des premiers freins à l’installation, le disputant au triptyque vocation-formation-rémunération.

Des GFAI aux GFAE

Le projet de loi d’orientation ne fait pas totalement l’impasse sur la question foncière, qu’il aborde sous l’angle du portage foncier, à travers les fonds Elan et Entrepreneurs du vivant et la création des Groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI). Manque de chance, les GFAI ont été retoqués en commission mais le gouvernement a remis le couvert avec les Groupements fonciers agricoles d’épargne (GFAE). De la FNSafer à Terre de liens, on s’inquiète du risque de financiarisation inhérent à ce nouvel instrument, ce dont se défend la majorité, qui met aussi en avant le Fonds de garantie de 2 milliards d’euros destiné notamment à sécuriser les reprises d’exploitation. « Plus de 25 milliards d’euros d’investissements dans le foncier agricole seront nécessaires dans les dix prochaines années, a déclaré dans l’Hémicycle Pascal Lecamp, un des rapporteurs du projet de loi. Ce constat nous exhorte à trouver des solutions pour lisser dans le temps la charge financière pour les jeunes et faire rentrer des capitaux extérieurs pour que ces terres à vendre puisse trouver des repreneurs sans jamais compromettre leur maîtrise par les agriculteurs ».

Un plancher de 400.000 exploitations en 2035

Du côté du la Fédération nationale de la propriété privée rurale qui, hasard du calendrier, tenait cette semaine son congrès (le dernier en date remontait à 15 ans), on milite pour une réforme du statut du fermage, autrement dit du bail rural pour rendre à nouveau attrayante la détention de terres agricoles. « Si rien n’est fait, c'est la porte ouverte à des ventes, à des friches, la porte ouverte à des investisseurs étrangers », a déclaré son président, dénonçant une rentabilité négative du fait de la distorsion entre loyers et fiscalité, qui n’est pas sans rappeler la distorsion entre la valeur patrimoniale et la valeur économique de la terre. La fiscalité, c’est, avec les fonds de portage, l’autre levier que le gouvernement compte activer dans la prochaine loi de finances pour favoriser la transmission. Les députés ont mis la barre haute, en inscrivant à l’article 8 du projet de loi un plancher de 400.000 exploitations à l’horizon 2035. On en dénombrait 389.000 en 2020. Une ambition « saluée » par le ministre de l’Agriculture. « Entre aujourd’hui [15 mai] et vendredi 24 mai [vote solennel], la France aura perdu plus de 250 fermes », a mis en garde Pascal Lecamp.