A raison de 20.000 ha abandonnés chaque année, 10% des terres sont en friche

Un rapport du CGAAER pointe le défaut de compétitivité de la ferme France et la fiscalité entourant le foncier parmi les causes du délaissement des terres agricoles, dont le volume annuel est désormais supérieur au mitage induit par l’artificialisation. Avec un risque d’amplification dans les années à venir.

« Plus de 20.000 ha de terres agricoles abandonnés chaque année, un angle mort des politiques foncières » : tel est le titre d’un rapport de mission du Conseil général de l’agriculture de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER) commandité par le ministère de l’Agriculture. Où l’on apprend que les surfaces de terres abandonnées, délaissées sans usage ou en friche, sont désormais plus importantes que celles perdues pour cause d’artificialisation. Selon la FNSafer, les surfaces artificialisées sont passées en 2022 sous le seuil de 20.000ha, pour tomber à 12.900ha en 2023. Les terres abandonnées sont quant à elles vouées majoritairement à des espaces forestiers plus ou moins sauvages, selon un processus d’« afforestation » sur 15 à 20 ans.

Mieux connaître pour mieux piloter

Selon le rapport, qui juge « difficile » l’évaluation nationale du fait de la « disparité » des données et de « l’absence de travaux récents » sur le sujet, le rythme moyen d’abandon de terres agricoles s’est élevé à 0,3%/an depuis 1990, pour atteindre 9% de la SAU, soit 2,5 millions d’ha, un chiffre équivalent aux surfaces identifiées par les notaires comme « terres en friche ou manifestement sous-exploitées », évaluées à 10%. Afin de mieux documenter le phénomène, le rapport recommande de réactiver l’Observatoire national des espaces naturels, agricoles et forestiers (OENAF) institué par la loi d’avenir de 2014 mais lui-même abandonné en chemin et, au niveau régional, d’intégrer la problématique dans le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET). Le rapport pointe également l’inefficacité et/ou la lourdeur de la procédure de mise en valeur des terres incultes ou manifestement sous-exploitées inscrite dans le Code rural, à la main des exploitants, d’une Chambre d’agriculture ou encore d’un Conseil départemental.

Un faisceau de causes, dont la fiscalité et les revenus

La mission a procédé à un inventaire exhaustif des facteurs concourant à l’abandon des terres. Et des citer certains outils de politique foncière comme le statut du fermage jugé trop contraignant par les bailleurs ou le refus d’un propriétaire de signer un bail à l’agriculteur ayant obtenu une autorisation d’exploiter, la perte d’attractivité du métier, la « captation » de foncier pour des usages non agricoles au profit du loisir (cheval, jardinage), les contraintes à la préservation de la biodiversité et à la prévention des risques (incendies), le changement climatique ou encore le dépeuplement de certaines zones.

"La fiscalité sur le foncier agricole pousse à l’artificialisation et au changement d’usage des terres agricoles"

Est également citée la fiscalité sur le foncier agricole, jugée « incohérente avec les objectifs de maîtrise de l’artificialisation, d’orientation vers d’autres usages ou d’abandon (…) La France se caractérise par des loyers de fermage réglementés bas, un niveau de taxation élevé des terres agricoles et de leur revenu et une part importante de ces taxes qui est indépendante », lit-on dans le rapport. « La fiscalité sur le foncier agricole pousse à l’artificialisation et au changement d’usage des terres agricoles ».

La France fait partie de la minorité de pays européens qui conservent une taxe foncière indépendante du revenu sur les terres agricoles, avec pas moins de taxes : la taxe foncière, la taxe pour frais de chambres d'agriculture, les droits de mutation à titre onéreux, les droits de mutation à titre gratuit et, le cas échéant, l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). La France applique le taux marginal d‘imposition le plus élevé en Europe pour l’impôt sur le revenu, le deuxième taux marginal le plus élevé pour les droits de mutation à titre gratuit, le quatrième taux le plus élevé pour les droits de mutation à titre onéreux et le cinquième taux le plus élevé pour les plus-values immobilières, avec des abattements très lents et la durée de taxation la plus longue. S’agissant de l’IFI, la France est l’un des quatre seuls pays dans lesquels un impôt sur la fortune s’applique aux terres agricoles, malgré des loyers de fermage règlementés…

Evolution comparée des abandons de terre agricole « sans usage » et du revenu de la ferme France entre 1990 et 2019, sur une base 100 en 1990 (Source CGAAER)
Evolution comparée des abandons de terre agricole « sans usage » et du revenu de la ferme France entre 1990 et 2019, sur une base 100 en 1990 (Source CGAAER)

Selon les rapporteurs, « une partie de ces causes induit directement des conséquences économiques défavorables du point de vue de la compétitivité des exploitations et du revenu des agriculteurs », s’ajoutant à un contexte économique agricole global peu favorable aux investissements charges croissantes et nouvelles liées aux transitions énergétiques, environnementales, au changement climatique, à la volatilité des prix…) et à la poursuite de l’activité dans de nombreux cas. « L’abandon des terres agricoles, chaque année depuis trente ans, apparaît bien corrélé à l’évolution négative du revenu de la ferme France en euros constants sur la même période ».

Un risque d'amplification

En guise de conclusion, le rapport souligne l’importance d’une meilleure prise en compte de l’abandon des terres agricoles et du risque de son amplification au cours des prochaines années et recommande de revisiter en conséquence les politiques traditionnelles de gestion du foncier agricole et forestier. Parmi les facteurs d’amplification figurent le recul de l’élevage de ruminants et les menaces pesant sur le pastoralisme, lequel concentre 6% de la SAU et concerne un élevage sur quatre.