Jérôme Bayle : « Les agriculteurs doivent arrêter de se cacher »

[SIA 2025] L’éleveur bovin, figure de la colère agricole sur l’emblématique barrage de Carbonne, a changé de statut, en soutenant une liste autonome, et victorieuse, à la Chambre d’agriculture de Haute-Garonne et qui le positionne désormais en « responsabilité ». Interview.

Le 18 janvier 2024, des agriculteurs entament à hauteur de Carbonne (Haute-Garonne) le barrage de l’autoroute A64 reliant Toulouse à Bayonne. Un barrage parmi des centaines pour de pas dire des milliers de blocages routiers et autres manifestations à travers tout le pays mais qui va devenir un temps l’emblème de la colère agricole, laquelle va submerger les ondes durant toute la deuxième quinzaine de janvier. Le barrage lui-même sera levé à partir du samedi 27 février, au lendemain de la visite sur place du Premier ministre Gabriel Attal, qui a « topé » avec Jérôme Bayle.

Un an plus tard, la crise couve toujours à bas bruit tandis que Jérôme Bayle, l’homme qui tutoie Emmanuel Macron en particulier et tout le monde en général, se fait toujours plus entendre, avec son association Les ultras de l’A64.

Vous avez rencontré le président de la République samedi, que lui avez-vous dit ?

Jérôme Bayle : textuellement ? « Je te le dis droit dans les yeux : je crèverai pas la gueule ouverte. Si l’agriculture disparait, le monde rural disparaitra aussi et la France avec ». Moi j’ai retrouvé mon père avec une balle dans la tête, je l’ai dit au président de la République. Quand mes parents se sont installés, ils n’avaient pas une fourche et mon père a fini avec 600 euros de retraite et pas un rond sur le compte pour payer les créanciers, c’est ça le dénouement, et moi j’ai la responsabilité des 150ha qu’il m’a laissés.

Que vous a répondu le président de la République ?

J.B. : « Je ne peux pas te laisser dire ça car on a fait des choses pour les agriculteurs ». Ce à quoi j’ai répondu : « D’accord, mais il a fallu que l’on bloque le pays ».

Etes-vous de ceux qui disent que l’Etat n’a rien fait depuis un an ?

J.B. : non. Beaucoup de choses ont été faites, il y a eu des avancées. On voit les politiques revenir vers les agriculteurs, on parle d’agriculture tous les jours. Malgré les remaniements ministériels, l’agriculture est restée au centre.

La loi d’orientation agricole adoptée il y a quelques jours est-elle porteuse d’espoir ?

J.B : je l’ai rapidement zieutée. Le premier truc, c’est qu’ils ont remis l’agriculture comme intérêt général de la national. Pour moi, ce n’est pas une formule creuse. On a un écrit, à l’Etat de tenir sa parole.

Vous-même, indirectement, allez être jugé sur pièce à la Chambre d’agriculture de Haute-Garonne ?

J. B. : on n’est pas des révolutionnaires, on veut continuer à faire marcher ce qui marche, analyser ce qui ne marche pas et l’améliorer on sera jugé et on verra dans six ans. On s’est trop écarté de la base, on veut remettre de la simplicité et du dialogue, de l’humanité et ramener de la valeur ajoutée dans les exploitations, arrêter que les industriels et les énergéticiens viennent chez nous et piochent comme si c’était open bar.

Quelle gouvernance allez-vous mettre en place à la Chambre ?

J.B. : comme on s’y était engagé, on va ouvrir le bureau à tous ceux qui veulent travailler avec nous pour le bien des agriculteurs du département et pas pour leur étiquette politique. Certains ont dit non mais la porte reste ouverte. Mais on veut aller plus loin : ce n’est pas 12 agriculteurs qui peuvent décider du sort des 4800 exploitants de Haute-Garonne. Nous allons créer des commissions d’agriculteurs dans le but de sortir l’agriculture de la merde. On s’est trop écarté de la base. On veut ramener du positif et de la confiance chez les agriculteurs.

Cela ne relève-t-il pas de la méthode Coué ?

J.B. : non. Ce qui manque le plus, c’est le côté humain. Les agriculteurs se sentent vraiment seuls et isolés dans leur exploitation. La solution c’est la proximité. Si les employés [de la Chambre] doivent faire une heure de plus pour parler à l’agriculteur, ça coutera plus cher mais si ça peut éviter de le retrouver pendu au bout d’une fourche. L’humain, c’est ce qui fait la force de notre combat et de notre mouvement. Depuis le début, humainement, on est très solidaire, on est très fédérateur, c’est ce dont le monde agricole a besoin. Si on ramène la confiance et si tout le monde se bat, on y arrivera.

"Vous pouvez faire tout ce que vous voulez, vous ne nous enlèverez pas la fierté d’être agriculteur et d’appartenir au monde rural"

Le problème, c’est que l’on s’est trop caché, pendant des années, les agriculteurs ont eu peur des micros. On a laissé la parole à des incompétents qui ont dénigré l’agriculture et même plus, le monde rural. Il faut arrêter de se cacher. On pensait, trop longtemps, face à nos détracteurs que l’on était plus nombreux qu’eux, donc on ne risquait rien, mais en fait ils étaient moins nombreux mais ils faisaient 100 fois plus de bruit. Moi je suis fier d’être du monde rural. Vous pouvez faire tout ce que vous voulez, vous ne nous enlèverez pas la fierté d’être agriculteur et d’appartenir au monde rural.

Après la contestation, comment relever le défi de la construction ?

B.J. : il faut que l’on change notre vision de l’agriculture. Pendant trop longtemps, l’objectif des agriculteurs, en se levant le matin, c’était de bouffer la ferme du voisin, il va falloir se lever avec l’objectif de dire bonjour à son voisin. Moins on sera nombreux, moins on sera puissant, certains seront plus riches mais ceux-là se retrouveront mais isolés et seuls. Maintenant, il faut œuvrer ensemble pour défendre la cause sinon on va tous mourir.