Plan eau : la feuille de route de l’agriculture

Au plan quantitatif, les irrigants vont devoir mobiliser des leviers de sobriété pour que l’équivalent de 10% de leur consommation irrigue de nouvelles surfaces, à prélèvements constants. Le Plan vise aussi à valoriser davantage l’eau des ouvrages existants et à en construire de nouveaux. Au plan qualitatif, la traque des pesticides se renforce. S’agissant des nitrates et des phosphates, le Plan est tout en retenue...

Réduire de 10% la consommation d’eau douce d’ici à 2030, comparativement à 2019, pour tous les usagers : tel est l’objectif du Plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau, annoncé par le président de la République le 30 mars. Il matérialise l’un des 22 chantiers de la Planification écologique visant à appréhender collectivement les urgences climatiques, énergétiques et environnementales, le tout sous la bannière « France Nation verte ».

Avec un compteur affichant 58% de la consommation totale d’eau douce, loin devant la production d’eau potable (26%), le refroidissement des centrales électriques (12%) et l’industrie (4%), l’agriculture sera donc fortement mise à contribution. Sauf que le président de la République lui-même a fixé l’étiage autrement. « Notre souveraineté alimentaire n’est pas négociable et le Plan eau pose un principe simple : on doit faire plus d’irrigation avec la même quantité d’eau », a-t-il arbitré.

Sobriété : irriguer autrement et davantage de surfaces à volume global constant

Le ministre de l’Agriculture a mis en forme l’équation présidentielle. « La sobriété en agriculture, cela veut dire que comme tout le monde, le prélèvement brut doit lui aussi faire partie de la trajectoire des -10%, a-t-il déclaré au lendemain de la présentation du Plan. En prélèvements nets, on a besoin de stabiliser la ressource pour irriguer là où il n’y avait en avait pas besoin ». Dit autrement, les irrigants actuels vont devoir activer des leviers de sobriété pour que l’équivalent de 10% de leur consommation serve l’irrigation de nouvelles surfaces, à prélèvements globaux constants donc. En 2020, l’irrigation était déployée sur 6,8% de la SAU contre 6% en 2010, SAU rognée de 1% sur la période.

Le ministre de l’Agriculture a évoqué plusieurs leviers d’économie, à commencer par le volet matériel, qui avait fait l’objet d’un plan d’aide à l’investissement de 40 millions d’euros en 2022 dans le cadre de la 3ème révolution agricole. Au-delà de l’emblématique et un peu restrictif goutte-à-goutte, il faudra compter avec le matériel de télégestion/pilotage automatique de l’irrigation (logiciels d’automatisation de l’irrigation, programmateurs d’arrosage, vannes programmables, électrovannes, régulation électronique, compteurs communicants), les outils  d'évaluation de l'offre (sondes capacitives, tensiométriques, etc.), les outils d’évaluation de la demande en eau des cultures (capteurs flux de sève, potentiel hydrique foliaire).

Un deuxième levier réside dans les pratiques agricoles et plus particulièrement dans la maximisation du stockage dans le sol, via les couverts végétaux, la matière organique, les haies et autres infrastructures agroécologiques. Les assolements devront aussi être questionnés. « On a besoin de réfléchir avec le monde agricole à la géographie de nos productions », a déclaré Marc Fesneau. A l’appui de ces transitions, le ministère de l’Agriculture fléchera, à partir de 2024, 30 millions d’euros par an en soutien aux pratiques agricoles économes en eau (émergence de filières peu consommatrices d’eau, irrigation au goutte-à-goutte, etc.).

Stockage : optimiser les volumes disponibles

Le deuxième axe du Plan eau se fixe pour objectif d’optimiser la disponibilité de la ressource. Il s’agit de réduire les pertes, de valoriser les eaux non conventionnelles (eaux de pluie de toitures, eaux usées traitées), d’améliorer et de développer, « lorsque cela est nécessaire », le stockage dans les sols, les nappes, les ouvrages. Au plan budgétaire, à compter de 2024, un fonds d’investissement hydraulique agricole issu des Agences de l’eau sera abondé à hauteur de 30 millions d’euros par an pour remobiliser et moderniser les ouvrages existants (curages de retenues, entretien de canaux...) et développer de nouveaux projets, « dans le respect des équilibres des usages et des écosystèmes ».

Au sujet du curage, le ministre de l’Agriculture a promis de travailler sur « le statut de déchets » de la vase, qui en réfrène la pratique et qui, « dans un certain nombre de cas », entame « d’un tiers » l’eau effectivement mobilisable.

Concernant les nouvelles retenues, Marc Fesneau a cité en exemple Sainte-Soline (Deux-Sèvres), avec des « engagements quantitatifs, des engagements d’évolution de pratiques, des engagements de plantation de haies et qui sont factuels ». Le ministre de l’Agriculture mise sur le renforcement du « dialogue territorial » pour que le pas de temps des nouveaux projets ne soit plus de « 10 ans, 12 ans » mais en phase avec « l’accélération des effets du changement climatique ».

Concentration moyenne en pesticides dans les eaux souterraines, en 2010 (à gauche) et en 2018 (à droite) (source : ministère de la Transition écologique)
Concentration moyenne en pesticides dans les eaux souterraines, en 2010 (à gauche) et en 2018 (à droite) (source : ministère de la Transition écologique)

Qualité : la traque aux pesticides

La gestion de la ressource en eau se pose aussi en terme qualitatifs, l’agriculture ayant des impacts significatifs sur la qualité des eaux de surface et des eaux souterraines. Les teneurs excessives en pesticides et en nitrates sont par exemple la première cause, à hauteur de 41%, des fermetures annuelles des points de captage d’eau causées par des pollutions. Dès cette année, au sein des aires d’alimentation de captage, les projets d’installation en agriculture biologique ou s’inscrivant dans une démarche agro-écologique, seront favorisés, ce que formalisera le Pacte et de la Loi d’orientation et d’avenir agricoles.

Dans le cadre des négociations européennes du règlement pour un usage durable des pesticides (SUR), la France adaptera ses usages de produits phytos au regard des forts enjeux de santé-environnement sur les aires d’alimentation de captages.

En cas de dépassement des exigences de qualité fixées pour les eaux destinées à la consommation humaine par un pesticide toujours utilisé, des mesures de gestion permettant de juguler le risque seront mises en place automatiquement par le préfet, en complément des mesures du plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux de la collectivité.

A compter de 2024, le soutien aux pratiques agricoles à bas niveau d’intrants sur les aires d’alimentation de captage sera renforcé via les Agences de l’eau. Les Maec et les aides à la bio seront revalorisées à hauteur de 50 millions d’euros par an. L’expérimentation des Paiements pour services environnementaux (PSE) sera prolongée jusqu’à la fin de la programmation Pac à hauteur de 30 millions d’euros par an. Les collectivités bénéficieront de 20 millions d’euros par an pour réaliser des acquisitions foncières.

Enfin le futur Plan Ecophyto 2030, bras armé de la planification écologique sur les produits phytos, et qui doit être présenté d’ici à quelques mois, veillera aussi à limiter l’usage des intrants dans les aires d’alimentation des captages.

Le Comité national de l’eau sera chargé de rendre compte de la mise en œuvre du Plan a minima deux fois pas an. A noter deux absents de marque du Plan eau : les nitrates et les phosphates.