Foncier : une mission parlementaire, en attendant une hypothétique loi

Le député et ex-ministre de l’Agriculture Stéphane Travert a annoncé le 29 mai la création d’une mission parlementaire, reconnaissant que le foncier était « la brique » qui manquait au projet de loi agricole adopté la veille, au grand dam du député Dominique Potier (PS), dénonçant un manque de « courage » et de « vision ».

« Oui nous avons besoin de travailler sur le foncier, c’est la brique qui manque parce qu’on peut travailler sur le revenu, on peut travailler sur tout l’environnement économique social environnemental, donner des grandes lignes de mise en œuvre des politiques publiques agricoles, mais à un moment on a besoin de cette brique qui est le foncier ». C’est ce qu’a déclaré Stéphane Travert lors d’une audition à l’Assemblée nationale le 29 mai.

Le foncier, mort-né et presque enterré

La veille, l’Assemblée nationale avait adopté par 272 voix contre 232 le projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture, totalement muet sur la question foncière, exception faite d’une allégation à l’article 8 : « L’État se fixe pour objectif de contrôler les phénomènes d’agrandissement par la régulation de l’ensemble des marchés fonciers afin de permettre le renouvellement des générations en agriculture ».

Quelques minutes avant le vote, le député Dominique Potier (PS) avait porté une charge virulente contre le texte, déplorant que la majorité ait fait peu de cas de la « dizaine » de propositions que son groupe avait portées et qui, à défaut « d’une grande loi, d’une grande architecture de réforme foncière », aurait permis de « réparer les manques et les failles de la dérégulation agricole ». Le député de Meurthe-et-Moselle, qui est aussi agriculteur bio, a revendiqué comme « seule victoire », l’abandon du projet de créer des Groupements fonciers agricoles d’investissement (GFAI), un « mécanisme de financiarisation » qui aurait « aggravé » la situation et à propos duquel Stéphane Travert a dit que le débat n’était pas « mûr » mais que « pour autant, il va falloir avancer là-dessus ».

Le groupe PS a également fait voter un amendement assignant aux politiques publiques et aux Schémas directeurs régionaux des exploitations agricoles (SDREA) l’objectif de compter au moins 400.000 exploitations et 500.000 exploitants à horizon 2035. « Plus d’un tiers des paysans quittera le métier dans les dix ans qui viennent, et un tiers de la surface agricole utile de notre pays, soit 10 millions d’hectares, changera de main, a encore énoncé le député. Soit ces terres iront à l’agrandissement, elles accélèreront ce phénomène d’agriculture dite de firme qui enrichit certains mais qui appauvrit l’ensemble des agriculteurs, des autres agriculteurs des territoire, sur le plan social écologique et économique, soit elles iront à l’installation ».

Le rendez-vous manqué d’Egalim

Lors de son audition, Stéphane Travert a justifié le choix du gouvernement d’esquiver la question foncière. « Après Egalim, nous devions faire une loi foncière, a dit l’ex-ministre de l’Agriculture, architecte de la loi Egalim 1 d’octobre 2018. Mais étant donné les idées que défendent les uns et les autres, à l’époque où même la majorité était totalement majoritaire et aujourd’hui en majorité relative, nous avions estimé que nous aurions un projet de loi avec plus de 10.000 amendements sur la question foncière ».

"Nous avons besoin de travailler sur ce sujet mais pas de le faire n’importe comment en déposant un projet de loi et en prenant 8000 amendements dans la vue"

L’ex-ministre a aussi évoqué les « évènements mondiaux » dus à la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine et nécessitant de « parer à l’urgence » pour expliquer l’attentisme de l’exécutif qui a prévalu ensuite. « Nous avons besoin de travailler sur ce sujet mais pas de le faire n’importe comment en déposant un projet de loi et en prenant 8000 amendements dans la vue » a-t-il dit.

L’absence de « consensus »

La veille, dans l’Hémicycle, le député Potier avait ciblé le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau qui avait affirmé auparavant qu’il n’y avait pas de « consensus » sur le foncier. « Moi je peux vous dire qu’en 1962, quand Edgar Pisani engage la France sur une voie de prospérité pour nourrir les Français, participer à la sécurité collective du monde en matière alimentaire, il n’a pas de consensus, a tancé le député. Il n’y a pas de consensus entre les propriétaires et les fermiers mais il tranche ».

"Nous allons tout droit vers une ferme agricole avec 200.000 paysans"

« La vérité, c’est qu’il n’y aura jamais de consensus, ni dans la profession agricole, ni dans la classe politique. Le vrai sujet c’est que dans votre majorité il n’y a pas sur ce sujet de consensus. Si vous aviez le courage, si vous aviez la vision, nous aurions pu rassembler une majorité d’idées pour engager cette réforme fondamentale à la fois pour le revenu du monde paysan, pour la prospérité de l’agriculture, pour l’agroécologie et pour la place de la France dans le monde. Nous ne l’avons pas fait et la promesse de 500.000 paysans sera une promesse vaine. Nous allons tout droit vers une ferme agricole avec 200.000 paysans ».

"Nous savons que sur le terrain, le phénomène sociétaire n’a pas été canalisé, il a même parfois été amplifié par les lois Sempastous"

Les références à Edgar Pisani

Dominique Potier n’a pas été tendre avec la loi Sempastous, ouvrant la transparence sur le marché des parts sociales. « Nous savons très bien que sur le terrain, au quotidien, dans chacun de nos territoires, chacune de nos circonscriptions, nous savons que sont à l’œuvre des démembrements de propriété juridiques, des aberrations en matière de travail délégué total. Nous savons que sur le terrain le phénomène sociétaire n’a pas été canalisé, il a même parfois été amplifié par les lois Sempastous. Nous savons qu’une grande dérégulation est à l’œuvre et qu’elle ruine les chances de renouvellement des générations ».

"Le grand Edgar Pisani déjà en 1962 évoquait à cette tribune la dépaysanisation de notre agriculture et l’accaparement des terres"

Et de citer le « grand Edgar Pisani qui déjà en 1962 évoquait à cette tribune la dépaysanisation de notre agriculture et l’accaparement des terres (...) Déjà le mot était utilisé par le ministre [Pisani], il expliquait que dans chaque village, lorsque le plus gros cultivateur faisait toutes les ventes, il empêchait les autres de se développer et de contribuer à la nourriture de nos concitoyens, il expliquait que l’argent devenait anonyme dans la possession des terres »

Une mission avant une hypothétique loi

Président de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée, Stéphane Travert a annoncé le lancement d’une mission parlementaire. « Je détaillerai les contours et le périmètre en discutant avec chacun des représentants des groupes de la Commission (...). Nous verrons si nous avons la capacité et la possibilité de pouvoir porter une proposition de loi, un projet de loi sur cette question. Mais la question du foncier, elle est absolument indispensable à traiter, je le dis et je l’assume ».