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Vendredi 12/12/2025
La souveraineté alimentaire, du champ de bataille au champ d’honneur
[Edito] La ministre de l’Agriculture a décrété la mobilisation de la Nation face à la « guerre agricole » qui se prépare. On ne saurait trop lui conseiller d’enfiler un casque si l’UE ratifie, dans une semaine, l’accord commercial avec le Mercosur.
12 : c’est le nombre de fois où la ministre de l’Agriculture Annie Genevard a usité le mot « guerre » lors de son discours à Rungis le 8 décembre 2025. C’est deux fois plus, en deux fois moins de temps, qu’Emmanuel Macron qui, le 11 octobre 2017, discourait au même endroit et avec le même décorum, à savoir un empilement de cagettes de fruits et légumes dont on ne doute qu’ils étaient français et pas « francisés », et face au même auditoire, en l’occurrence les représentants de la chaine de valeur agroalimentaire hexagonale. Sauf que le Chef des armées, alors en rase campagne des Etats généraux de l’alimentation, évoquait la « guerre des prix » franco-française, quand, huit ans et trois lois Egalim plus tard, sa ministre de l’Agriculture évoquait « la guerre, la vraie » pour le lancement des Conférences de la souveraineté alimentaire. Un événement baptisé « Grand réveil alimentaire » mais qui, rétrospectivement, aurait mérité le titre de « Grande guerre alimentaire ». « La guerre agricole se prépare », a tonné Annie Genevard, jugeant que « nos forces se réduisent » et que « le déclassement menace ».
En 2025, une bataille perdue sur le front commercial
Et il y a en effet péril pour la ferme France et l’usine (agroalimentaire) France. Notre nation, première puissance agricole européenne, va très probablement conclure l’exercice 2025 avec un déficit de sa balance commerciale agroalimentaire. Du jamais vu depuis 1977. Le décrochage, pour ne pas dire la Bérézina, est aussi brutal que violent, sous l’effet des brèches en productivité et en compétitivité, pas totalement passées sous les radars de nos gouvernants successifs, mais un tant soit peu camouflées par les canons de vin et les shots de spiritueux. Les brèches, elles sont aussi exacerbées par le changement climatique, dont la puissance de feu est encore largement devant nous. « Je ne serai pas la ministre qui a regardé sa balance commerciale s’inverser avec impuissance, a tambouriné Annie Genevard. Il faut éviter que nos chaînes d’approvisionnement ne deviennent, demain, des chaînes d’asservissement. Toutes les grandes puissances anticipent la montée en intensité de la guerre agricole en réarmant leur puissance verte ».
L’appel au réarmement et au patriotisme
Et d’en appeler à l’Union européenne, tentée de dépecer la Pac, à « l’armée de forces vives » que sont les paysans, les industriels et les distributeurs, cette alliance qui « structure notre puissance alimentaire » et enfin aux consommateurs, invités à « réveiller leur conscience » et à faire œuvre de « patriotisme alimentaire ». La ministre a de son côté assuré que l’Etat ne déserterait pas les champs de bataille, sans toutefois dévoiler ses cartes et faire étalage de ses cartouches, évoquant la création (encore très nébuleuse) d’un fonds souverain agricole, la volonté de faire de l’alimentation une « grande cause nationale » en 2026 (alors que la DLC de la SNANC est ultra-passée), de relever les taux de 50% et 20% de produits sous label et bio dans les cantines publiques (plutôt que de contraindre leur respect) ou encore d’instaurer des clauses-miroirs nationales avec des LMR à zéro pour les pesticides interdits en Europe si l’UE ne s’exécute pas. Ah…. Rendez-vous en juin prochain pour la conclusion des conférences et l’annonce du plan de bataille. « J’ai un combat personnel à mener : celui de ré-enchanter l’agriculture et l’agroalimentaire », a dit aussi la ministre. En attendant, on ne saurait trop lui conseiller d’enfiler un casque car les balles risquent de siffler si l’UE ratifie, dans une semaine, l’accord commercial avec le Mercosur. Du champ de bataille au champ d’honneur…