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Lundi 08/12/2025

Souveraineté alimentaire : un discours martial pour le top départ de la reconquête

La ministre de l’Agriculture Annie Genevard a lancé lundi, dans un discours à la tonalité martiale, les Conférences de la souveraineté alimentaire qui doivent accoucher, d’ici à juin 2026, d’un Plan national de production et de transformation à 10 ans pour 7 principales filières. Une consultation citoyenne pour un « Grand réveil alimentaire » est aussi ouverte jusqu’au 31 décembre.

« La guerre agricole se prépare. C’est l’observation lucide du monde et des rapports entre nations qui impose ce constat implacable : la guerre agricole menace un peu plus chaque jour, il est temps d’agir » a déclaré la ministre de l’Agriculture Annie Genevard au « Grand réveil alimentaire » à Rungis lundi, évènement préfigurant le lancement des Conférences de la souveraineté alimentaire. « Je ne serai pas la ministre qui a regardé sa balance commerciale s’inverser avec impuissance », a également dit la ministre. Le défi est ardu.

La dernière alerte émane du service statistique du ministère de l’Agriculture et elle résonne comme un choc : sut la base des résultats enregistrés sur les 9 premiers mois de l’année, avec un déficit cumulé de 353 millions d’euros, l’année 2025 pourrait consacrer le premier déficit de la balance commerciale agroalimentaire de l’Hexagone depuis 50 ans. Une demi-surprise, compte tenu de la trajectoire suivie depuis quelques années et les multiples alertes sur la double brèche productivité et en compétitivité mais le décrochage d’avec les dernières années est brutal. En 2024, le solde était positif de 4,9 milliards d’euros, en 2023 de 6,5 milliards d’euros et en 2022 de 10,3 milliards d’euros.

Des conférences inscrites dans la LOA

« Reconquérir la souveraineté alimentaire de la France pour la défense de ses intérêts » : tel le titre 1er de la Loi n° 2025-268 du 24 mars 2025 d'orientation pour la souveraineté alimentaire et le renouvellement des générations en agriculture, promulguée le 24 mars 2025. Au menu de l’article 1er ? « Sauvegarder et, pour les filières les plus à risque, reconquérir la souveraineté alimentaire de la France »… « Garantir une sécurité alimentaire permettant l’accès de l’ensemble de la population à une alimentation suffisante, saine, sûre, diversifiée et nutritive, tout au long de l’année »… « Améliorer la compétitivité et la coopération agricoles sur le plan international »… « Veiller, dans tout accord de libre-échange, au respect du principe de réciprocité… Reconnaître et de mieux valoriser les externalités positives de l’agriculture »… « Favoriser l’installation économiquement viable d’exploitations agricoles en AB »… « Préserver la SAU »…

Ce n’est pas tout. « Promouvoir l’autonomie de l’Union européenne et de la France en protéines »… « Veiller à une juste rémunération des exploitants, des salariés et des non-salariés des secteurs agricole et agroalimentaire »… « Reconnaître et de valoriser le rôle des femmes en agriculture »… « Assurer le maintien de l’élevage et de l’agropastoralisme en France et de lutter contre la décapitalisation, par un plan stratégique déterminant notamment les objectifs de production, en assurant l’approvisionnement en protéines animales des Français et en maintenant l’ensemble des fonctionnalités environnementales, sociales, économiques et territoriales de l’élevage ainsi que ses complémentarités agronomiques avec les productions végétales ». Vaste programme, qui est donc celui des Conférences de la souveraineté alimentaire, prévues dans la LOA et lancées officiellement ce lundi par la ministre de l’Agriculture Annie Genevard et le « Grand réveil alimentaire » organisé à Rungis (Val-de-Marne).

Un Plan de production et de transformation à 10 ans

« La capacité à produire, transformer et distribuer une alimentation saine, durable et accessible à tous tout en préservant nos capacités exportatrices » : telle est l’acception de la souveraineté alimentaire retenue par le ministère de l’Agriculture, qui a constitué 7 groupes de travail, correspondant à 7 grandes filières (ruminants et chevaux, viandes blanches, grandes cultures, viticulture, productions végétales spécialisées, fruits et légumes, pêche et aquaculture), intégrant toutes les composantes de l’amont et de l’aval, recherche fondamentale (INRAE) et appliquée (instituts techniques) comprise.

L’objectif des conférences, sous l’égide de FranceAgriMer, est d’aboutir à l’élaboration, d’ici à juin 2026, d’un Plan national de production et de transformation à 10 ans pour les filières, en tenant compte des évolutions de marché (offre/demande) mondiales, européennes et nationales, du contexte géopolitique, de l’impact du changement climatique et de la disponibilité des ressources. « Les travaux doivent mener à des objectifs de production en visant à la fois une cohérence intra et inter filières et une cohérence vis-à-vis des politiques publiques et stratégies interministérielles établies », précise le ministère, en référence aux stratégies carbone (SNBC), biodiversité, nutrition, santé et climat (SNANC), Ecophyto etc.

Une consultation citoyenne est également ouverte jusqu’au 31 décembre prochain.

Les extraits du discours d’Annie Genevard

Les Conférences de la souveraineté alimentaire, qui seront déclinées dans les Régions, ont été officiellement lancées ce lundi par la ministre de l’Agriculture Annie Genevard, au marché de Rungis. Là où Emmanuel Macron, avait lancé les travaux préfigurant les futures lois Egalim. C’était en 2017, avant les Gilets jaunes, la crise du Covid, la guerre de la Russie en Ukraine, le retournement d’alliance des Etats-Unis, la marche impériale de la Chine, le nationalisme triomphant, la déstabilisation, l’ingérence et les attaques en règle du modèle démocratique européen ciblé de toutes parts… D’où la tonalité martiale du discours de lancement d’Annie Genevard.

"Toutes les grandes puissances anticipent la montée en intensité de la guerre agricole en réarmant leur puissance verte"

« Oui, la guerre agricole nous menace, et nous aurions tort de la prendre à la légère (…) Toutes les grandes puissances inscrivent déjà leur agriculture dans des stratégies globales et volontaristes, anticipent la montée en intensité de la guerre agricole en réarmant leur puissance verte, et pendant ce temps sur notre continent, nous devons lutter contre les tentations de la décroissance, portées par quelques thuriféraires de décadentisme (…) Nos forces se réduisent, le déclassement menace ».

"Le meilleur kit de survie des Français n’est ni une pile, ni une cle de voiture, c’est une assiette"

« Je vois devant moi, et je sais avoir partout dans le pays, une armée de forces vives, paysans, industriels, distributeurs, consommateurs, prêts à faire de la France une puissance agricole qui ne se laisse pas intimider (…) Si la guerre éclate, c’est sur les agriculteurs, et sur eux seuls qu’il faudra compter pour nous nourrir. L’alimentation, c’est l’arme ultime. Le meilleur kit de survie des Français n’est ni une pile, ni une clé de voiture, c’est une assiette »

"Il faut éviter que nos chaînes d’approvisionnement ne deviennent, demain, des chaînes d’asservissement"

« Pour la première fois depuis 1977, la France, grenier historique de l’Europe et du monde, pourrait voir la courbe des importations agroalimentaires croiser celle des exportations, faisant de notre agroalimentaire un secteur en déficit commercial. En 2021, il y a seulement 4 ans, les secteurs agricoles et agroalimentaire généraient un excédent de 8 milliards d’euros, le 3ème poste d’excédent commercial du pays (…) Mesdames et messieurs, la France en vient, dans certaines filières, à exporter ses productions brutes et à réimporter ce que les autres transforment. La valeur ajoutée part ailleurs Les pays en voie de développement ne font pas autre chose, voilà une vérité douloureuse. Je ne serai pas la ministre qui a regardé sa balance commerciale s’inverser avec impuissance. Il faut éviter que nos chaînes d’approvisionnement ne deviennent, demain, des chaînes d’asservissement ».

"La Pac est la matrice de notre souveraineté »"

« Contre les tentations de décommunautariser et de désarmer la Pac, elle qui a pourtant fait la réussite agricole de l’Europe, toute proposition qui aboutirait à ouvrir les négociations de la prochaine Pac avec un budget en baisse pour nos agriculteurs sera résolument combattue par la France. La Pac est la matrice de notre souveraineté ».

"Le patriotisme alimentaire n’est pas un sacrifice, c’est un investissement"

« Des fermes françaises, des usines françaises, des magasins français et des consommateurs qui achètent français : voilà les quatre murs porteurs d’une Ferme France à même de résister à tous les vents. Le patriotisme alimentaire n’est pas un sacrifice, c’est un investissement dans nos vies, notre santé, et dans la capacité durable de nourrir nos enfants par nos propres forces (…) Ce « Grand réveil alimentaire » n’a rien d’un slogan, il est une ambition nationale. J’invite les Français, tous les Français, à renouer avec le patriotisme alimentaire ».

"J’ai proposé au Premier ministre de faire de l’éducation à l’alimentation la Grande Cause Nationale 2026"

« Pour accompagner ce réveil, j’ai proposé au Premier ministre de faire de l’éducation à l’alimentation la Grande Cause Nationale 2026. Ce label permettrait de financer, partout dans le pays, et d’abord auprès des plus jeunes, de grandes campagnes de sensibilisation, pour redonner à l’alimentation la place et la valeur qu’elle mérite dans notre culture commune : une force de santé, de goût, d’identité, de souveraineté ».

"Réenchanter l’agriculture et l’agroalimentaire"

« Dans ce réveil, j’ai un combat personnel à mener : celui de réenchanter l’agriculture et l’agroalimentaire, de redire la noblesse de vos métiers, la qualité de vos produits, la force économique et culturelle qu’ils représentent, le gisement de sens qu’ils portent. Je serai, partout où je le pourrai, l’ambassadrice infatigable de nos terroirs et de nos paysages nourriciers. Car derrière chaque assiette, chacun sait qu’il y a une part de notre identité, chacun doit aussi savoir qu’il y a une part de vous, une part de nous ».

"Nos produits locaux, de qualité, nos produits bio et durables doivent trôner en rois dans nos selfs et nos cantines"

« Les marchés publics doivent jouer leur rôle dans cette reconquête. Le monde entier le fait : pourquoi pas nous ? Nos produits locaux, de qualité, nos produits bio et durables doivent trôner en rois dans nos selfs et nos cantines. Il y a des blocages, bien entendu, avant tout budgétaires, mais des solutions concrètes existent. Je veux que l’Etat soit exemplaire en la matière et je souhaite personnellement qu’il se fixe des objectifs plus ambitieux, notamment dans les cantines des administrations centrales. L’Etat doit montrer l’exemple au consommateur. Je proposerai cette réforme auprès de mes homologues dès le mois de janvier ».

"Et s’il faut faire sauter le totem de la loi LME, nous le ferons"

« Si la loi d’orientation agricole a été l’alpha du renouvellement des générations, ce mouvement doit trouver son oméga dans une évolution du système de formation des prix alimentaires. Les lois Egalim ont posé des jalons utiles, mais elles demeurent trop complexes dans leur application. Nous devons bâtir un cadre plus simple, plus efficace, plus protecteur. Et, surtout, redonner toute sa force à l’alliance qui structure notre puissance alimentaire : le triptyque producteurs, transformateurs, distributeurs. Et s’il faut faire sauter le totem de la loi LME, nous le ferons ».

"Consolider la réforme de l’assurance récolte"

« Le dispositif d’assurance récolte - doit, à terme, permettre de couvrir l’ensemble des cultures. Quatre ans après son entrée en vigueur, nous devons en faire le bilan sans tabou pour que le dispositif fonctionne à plein. Il s’agit là d’une nécessité d’adaptation aux aléas météorologiques toujours plus violents et nombreux. C’est une réforme majeure : je veux la consolider (…° Nous devons aussi prendre le virage de l’agriculture 3.0 et investir massivement dans l’innovation, dont notre pays abonde déjà : variétés plus résilientes, outils de précision, numérique, robotique, biocontrôle, intelligence artificielle. Sans souveraineté technologique, il n’y aura pas de souveraineté alimentaire soutenable ».

"Nous avons des hommes et des femmes incroyablement engagés dans un modèle familial qui fait notre force"

« Nous avons tous les atouts : un climat qui, bien qu’impacté par la hausse des températures, reste tempéré, des sols riches et variés, du bocage normand jusqu’aux oliveraies provençales, des grandes cultures beauceronnes jusqu’aux prairies d’élevage du Cantal, des vergers du Val de Loire jusqu’aux vignes du Languedoc (…) Nous avons des hommes et des femmes incroyablement engagés dans un modèle familial qui fait notre force, imprégnés des techniques culturales les plus efficaces, d’une recherche agronomique qui irrigue de ses travaux de pointe toutes les exploitations de France (…) Nous avons un secteur agroalimentaire qui innove chaque jour, au bénéfice de marques iconiques qui flottent au-dessus des marchés mondiaux comme le pavillon même de la France. Nous avons une grande distribution exceptionnellement diverse, présente partout dans le pays, et qui porte un maillage territorial que tous nos voisins nous envient (…) Ce qu’il nous manque encore, c’est la confiance que procure l’ensemble d’une chaîne alimentaire, de l’amont à l’aval, qui marche d’un même pas conquérant vers son destin historique : celui de retrouver sa puissance alimentaire ».

"J’interdirai moi-même les importations sur notre sol de produits contenant des substances interdites en Europe"

Sur l’accord UE-Mercosur, la ministre s’est contentée de de rappeler sa « conviction » et a appelé à « des accords de nouvelle génération où l’agriculture ne sera plus une variable d’ajustement, mais un actif stratégique à promouvoir », une protection qui passe notamment par des « clauses de sauvegarde robustes systématiques » et « des mesures miroirs enfin appliquées ». « Je veux affirmer ici que nos efforts diplomatiques doivent payer en vue de l’obtention de l’abaissement des limites maximales de résidus à zéro quand une substance est interdite sur le sol européen. Cela permettrait d’empêcher tout produit chassé du sol européen par la porte règlementaire de revenir par la fenêtre des importations. Et si la Commission ne le fait pas de son propre chef dans les semaines à venir, soyez assurés que j’interdirai moi-même les importations sur notre sol de produits contenant des substances interdites en Europe comme le droit européen me le permet (…) C’est pourquoi je plaide pour la création d’une brigade française de contrôle des denrées importées, intégrée à une force européenne de contrôle, compétente sur tous les ports du continent, pour déceler les anomalies plus systématiquement, par plus de tests, par exemple de résidus de pesticides ainsi que des contrôles renforcés des pratiques frauduleuses, comme la francisation, qui est une tromperie insupportable du consommateur. Une police spéciale pour garantir que les contrôles seront effectués (…) La surtransposition restera une ligne rouge. Pas un gramme de charge en plus sur la barque française par rapport au navire européen ».

"Il faut doter notre pays d’un fonds souverain agricole"

« Il faut doter notre pays d’un fonds souverain agricole. Permettre aux épargnants qui aiment les agriculteurs de choisir d’investir dans leur alimentation. Inciter les acteurs de l’aval et de la distribution, l’Etat lui-même, à contribuer aux financements des investissements de leurs fournisseurs pour sécuriser leurs approvisionnements à l’heure du changement climatique et de la guerre agricole ».

"L’heure est au rassemblement de nos forces, de nos filières de nos consommateurs"

« L’heure n’est ni au doute, ni à la dispersion mais au rassemblement, rassemblement de nos forces, de nos filières, de nos consommateurs, de nos institutions, rassemblement d’un pays pour lutter contre toutes les forces de désunion, de dispersion, d’opposition de stigmatisation, de radicalisation, qui se sont emparées de notre pays sur cette question de l’alimentation sur cette question de l’agriculture, sur cette question de sa compatibilité avec l’environnement, là est un grand danger pour nous tous ».