- Accueil
- Terre de liens dénonce la double sujétion de l’agriculture à l’export et à l’industrie agroalimentaire
Terre de liens dénonce la double sujétion de l’agriculture à l’export et à l’industrie agroalimentaire
Dans son 4ème rapport sur l’état des terres agricoles en France, le mouvement Terre de liens décrit une agriculture et une alimentation « accros » aux importations et appelle à transformer radicalement les politiques publiques, du champ à l’assiette en passant par les industries agroalimentaires.
Après un premier rapport (2022) appelant à une refondation des politiques en matière d’urbanisme et de régulation foncière, un deuxième (2023) dénonçant la financiarisation du foncier via les parts de sociétés agricoles et un troisième (2024) militant pour le développement d’un portage foncier d’intérêt général, non spéculatif, orienté vers des systèmes productifs agroécologiques, le mouvement Terres de liens publie son quatrième rapport sur l’état des terres agricoles en France. Il porte sur la souveraineté alimentaire, sous-titré : « un scandale made in France ».
Depuis la crise sanitaire de 2020, qui avait vu le Salon de l’agriculture écourté d’une journée, puis la non-déclaration de guerre de la Russie à l’Ukraine, qui avait vu le président de la République expédier l’inauguration de l’édition 2022, la souveraineté alimentaire est omniprésente dans les débats. Elle est désormais gravée dans l’intitulé du ministère de l’Agriculture tandis que le Projet de loi d’orientation agricole, que le Sénat doit adopter le 18 février, l’érige en « intérêt fondamental de la Nation » et lui applique le principe de « non-régression ». A la veille du Salon de l’agriculture, Terre de liens remet le couvert, en se focalisant sur la souveraineté alimentaire.
Export / import : 43% et 34% de la SAU
Avec 28 millions d’ha de terres agricoles, la France a la capacité de nourrir 88 millions de personnes au régime alimentaire moyen actuel, selon l’outil de modélisation Parcel. Problème : elle exporte l’équivalent de 43% de sa SAU, ce qui ramène à 2100m2 la surface disponible pour chaque habitant, alors que 4300m2 seraient requis. Résultat : la France importe l’équivalent de 10 millions d’hectares, soit 34% de sa SAU, en fruits tempérés, légumes, volaille ou encore en viande ovine.
« L’agriculture française comme la filière agroalimentaire s’est industrialisée et à misé sur le marché mondial, analyse Philippe Pointereau, président de la Fondation Terre de liens. On exporte toujours plus mais plus on exporte, plus on importe. Le solde de la balance agroalimentaire ne représente que 6% des exportations, voire 4% si on compte l’achat de biodiesel, donc on n’est pas loin de zéro. Un pays dont l’agriculture est commandée par les marchés internationaux a perdu sa souveraineté alimentaire ». Et de s’inquiéter des perspectives à venir, avec la croissance de la population française (+200.000 habitants/an), le grignotage de la SAU (-60.000ha/an) par l’artificialisation sinon l’enfrichement, le plafonnement voire la régression des rendements d’une culture emblématique comme le blé tendre, sans compter le développement des usages non alimentaires et les impacts du changement climatique.
Si Terres de liens décrie « l’agriculture industrielle tournée vers l’exportation », fortement inféodée aux importations d’intrants extérieurs, au premier rang desquels figurent les engrais (non intégrés dans la balance commerciale agroalimentaire) et le soja, alors même que « l’insécurité alimentaire dans le monde n’est pas liée à un déficit d’offre », le mouvement s’attarde sur l’assujettissement de l’agriculture à l’industrie agroalimentaire. Celle-ci est accusée de simplifier et spécialiser implicitement les systèmes et les fermes, de standardiser l’offre de produits agricoles, d’uniformiser les goûts et textures et de faire le lit des aliments ultras-transformés (préjudiciables à la santé), à hauteur d’un tiers de nos besoins caloriques.
« Pourquoi, alors que la France produit plus que de besoin dans certaines filières, importe-on les mêmes produits pour couvrir la consommation nationale », s’interroge Terre de liens. « Cette situation absurde s’explique d’un côté par l’insertion de l’agriculture dans le commerce international et de l’autre par la montée en puissance de l’industrie agroalimentaire et de ses besoins en produits bruts importés ».
Les produits transformés constituent en effet le cheval de Troie des produits importés, bien aidés par une réglementation entretenant le mystère de l’origine. Terres de liens cite une étude réalisée en 2024 par l’UFC-Que Choisir, évaluant à 69% le taux d’ingrédients sans origine, 47% en étant totalement dépourvus, 22% arborant une mention générique du type « origine UE/non UE ». « Aujourd’hui, quand on mange quelque chose, on ne sait plus d’où il vient, comment il a été produit, on a perdu ce lien à l’agriculture », déplore Philippe Pointereau.
Outre les atteintes à la santé humaine et à l’environnement, ce système fait selon Terre de liens de nombreuses victimes collatérales, à commencer par les agriculteurs, dont 18% vivraient en-deçà du seuil de pauvreté, tandis que la précarité alimentaire toucherait 17% de la population. Si l’alimentation ne représente en moyenne que 12,4% du budget des ménages, elle atteint 20% pour les catégories sociales les plus modestes.
Ce que préconise Terre de liens
En ce qui concerne la partie aval (transformation, distribution), Terre de liens invite la puissance publique à taper au portefeuille. « Les acteurs de l’aval reçoivent chaque année 16,4 milliards principalement sous forme d’exonérations fiscales et de cotisations sociales. Or, ces acteurs orientent considérablement la production agricole. Ces exonérations fiscales représentent donc un levier important de politique publique », juge l’association. Côté amont, l’association préconise une réorientation de la Pac vers une Politique agricole et alimentaire commune (PAAC), une massification des installations porteuses d’une agriculture nourricière et riche en emplois et enfin la démocratisation du système alimentaire par la participation citoyenne dans les instances agricoles.
« Il est urgent de placer la politique alimentaire au cœur des priorités nationales et d’en faire un levier pour transformer en profondeur notre système agricole et alimentaire. La transformation du système du sytème alimentaire se joue sur la rencontre d’initiatives locales avec des politiques publiques qui les soutiennent ». Le mouvement ne sombre pas dans l’optimisme. « La France a plein de très beaux engagements, elle s’engage à augmenter les surfaces en bio, à réduire les pesticides, pour l’agroécologie, pour la biodiversité, mais si on regarde le détail des politiques publiques et notamment la Pac, on voit bien que les politiques ne vont pas dans ce sens-là et qu’elles vont même à contre-courant des objectifs que l’on se pose nous-mêmes », conclut Coline Sovran, chargée de plaidoyer à l’association.