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Pesticides au robinet (2/4) : comment préserver les aires d’alimentation de captage ?
Un rapport interministériel prône la massification de pratiques culturales à bas niveau d’intrants en mobilisant la Pac sinon en sanctuarisant le foncier via des acquisitions ciblées ou des baux conditionnés à des pratiques vertueuses. Des mécanismes assuranciels « zéro phyto » sont aussi suggérés. A défaut, un moyen d’action jugé « efficace » consiste tout bonnement à restreindre l’usage des produits incriminés...
Selon le dernier bilan en date établi par le ministère de la santé, relatif à l’année 2022, 10,2 millions de Français ont été alimentés au moins une fois par une eau non conforme aux exigences réglementaires vis-à-vis des pesticides et de leurs métabolites. Si l’eau non conforme coule malgré tout au robinet, c’est parce que les niveaux de pollution outrepassent les capacités des (coûteux) dispositifs de traitement. Et c’est au prix de (lourdes) procédures dérogatoires, engageant la responsabilité des préfets, des autorités sanitaires et des personnes responsables de la production et distribution de l'eau (PRPDE). « La préservation de la qualité des ressources en eau est en échec pour ce qui concerne les pesticides, écrivent les experts missionnés. La politique de protection des captages est à refonder. Sans mesures préventives ambitieuses et ciblées, la reconquête de la qualité des eaux est illusoire ».
Captages prioritaires et points de prélèvement sensibles
La France compte environ 30.000 captages dont 1398 dits « prioritaires » (SDAGE 2022-2027), autrement dit, très problématiques, faisant l’objet de plans d’action visant à la restauration et à la préservation de la ressource, conformément au Grenelle de l’environnement lancé en 2009 et où ils étaient alors au nombre de 507. La liste de captages prioritaires devrait s’élargir sous peu, lorsqu’un arrêté interministériel aura défini la méthode pour déterminer les points de prélèvement sensibles institués par la directive 2020/2184. La mission note que ce nombre pourrait être de l’ordre du triple de celui des captages prioritaires. Problème : selon la Direction de l’eau et de la biodiversité, seuls 60 % des captages prioritaires des SDAGE 2016-2021 disposaient d’un plan d’action validé en 2023. « En outre, ces plans d’action ne sont pas à la hauteur des enjeux et leur rapport coût-efficacité n’est pas bon. Lorsqu’ils existent, l’efficacité des plans d’action volontaires est faible pour améliorer la qualité de l’eau sur le paramètre pesticides ». Selon une étude de l’INRAE citée dans le rapport, seulement une douzaine d’aires d’alimentation de captage (AAC) auraient été restaurées en 25 ans sous l’effet du changement des pratiques agricoles. Le rapport ministériel invite à mobiliser plusieurs leviers pour renforcer l’efficience des mesures préventives.
Soutenir l’AB via un écorégime revalorisé
La mission souligne l’importance de soutenir fortement toutes les actions en faveur de l’agriculture biologique car elle permet à la fois de préserver efficacement les ressources en eau et de réduire l’exposition aux pesticides de synthèse par voie alimentaire. « La conversion à l’agriculture biologique (CAB) est la mesure volontaire la plus efficace pour réduire sur les cultures l’usage des produits phytopharmaceutiques de synthèse ». Le niveau d’aide dont bénéficient les producteurs certifiés AB via l’écorégime (82 €/ha/an, hors crédit d’impôt) est inférieur au niveau versé sur la période 2014-2020 pour ceux ayant bénéficié de l’aide au maintien en agriculture biologique (122 €/ha/an, en moyenne), « ce qui réduit l’attractivité pour cette certification, alors que c’est elle qui emporte les incidences les plus positives pour l’environnement ».
La mission considère que la révision du PSN en 2025 doit être l’occasion de rehausser le niveau d’ambition environnementale des aides allouées dans le cadre de l’écorégime. « Les exploitations en agriculture biologique doivent bénéficier d’un montant d’écorégime revalorisé et significativement plus élevé que celles qui sont simplement certifiées HVE ». Ni plus ni moins qu’une revendication maintes fois ressassée par la FNAB.
Renforcer l’attractivité des MAEC
La mission a observé que les MAEC « système-grandes cultures » et les MAEC localisées « grandes cultures - phyto » sont très peu souscrites, car jugées trop risquées et peu rémunératrices pour les grandes cultures. De fait, la France est l’État membre de l’Union européenne qui alloue aux MAEC la plus faible part du second pilier de la Pac, avec comme objectif 5,9 % de SAU couverte par des MAEC en 2027, contre 6 % en 2020. La mission considère qu’il convient, à l’occasion du réexamen du PSN et sur la base d’un retour d’expérience des MAEC souscrites en 2023 et 2024, de réviser certaines d’entre elles pour accroître leur attractivité et le cas échéant leur efficacité dans les secteurs où la reconquête de la qualité de la ressource en eau impose une limitation des usages des produits phytos.
Développer les PSE
Les Paiements pour services environnementaux (PSE) rémunèrent le service environnemental effectivement fourni. Ils peuvent être mis en œuvre et financés par des acteurs publics, associatifs ou privés. Outre le régime « de minimis » qui permet de verser des aides aux agriculteurs, hors notification à la Commission européenne, dans la limite d’un plafond de 20.000 € sur 3 ans. Le principal dispositif de PSE financés par des acteurs publics est celui élaboré par le ministère de la Transition écologique et notifié en 2020 à la Commission européenne.
Sur l’ensemble du territoire, on répertorie 113 projets couvrant 278.684 ha (1% de la SAU totale), dont un peu plus de 20 % situés dans des aides d’alimentations de captage. Le montant total d’aides attribuées est de 131,7 M€ sur 5 ans, financées en totalité par les agences de l’eau, pour rémunérer les 3041 exploitations engagées (entre 75 et 125 €/ha). La mission a constaté que ce dispositif de PSE a permis de concevoir des projets et des indicateurs adaptés aux problématiques de chaque territoire, mais que, seul, il ne suffit pas pour inciter et pérenniser le changement. Le dispositif a été prolongé jusqu’en 2027, avec une enveloppe de crédits de 30 M€/an, avec comme cible principale les pratiques agricoles à bas niveau d’intrants dans les AAC.
Un match MAEC-PSE
Le dispositif PSE est globalement considéré par les acteurs de terrain comme plus attractif qu’une MAEC. Ainsi, 78 % des agriculteurs engagés dans un PSE n’avaient auparavant jamais souscrit de MAEC. Par ailleurs, les aides de conversion à l’AB (CAB) restent plus rémunératrices que les PSE. La mission préconise qu’une comparaison des cahiers des charges entre PSE et MAEC soit réalisée lors de l’évaluation finale du dispositif PSE du ministère de la Transition écologique. « Sans anticiper sur cette évaluation de l’expérimentation des PSE, l’objectif de massification des changements de pratiques justifierait qu’une première amélioration soit apportée au dispositif du ministère chargé de la transition écologique en ne rémunérant que les surfaces comprises dans les zones à enjeux, en premier lieu les AAC les plus prioritaires, préconise la mission. Cela éviterait de disperser les moyens et inciterait les collectivités à cofinancer des PSE ». La mission préconise également de bien calibrer le montant des PSE à déployer sur les grandes cultures afin qu’ils soient suffisamment incitatifs au regard des valeurs ajoutées constatées sur ces systèmes de culture dominants sur les AAC les plus prioritaires.
Renforcer les actions d’animation et de conseil
La mission relève que la mobilisation des Chambres d’agriculture sur l’enjeu de la préservation de la qualité des ressources est « variable » selon les territoires et juge qu’une priorité d’intervention doit leur être fixée en matière de déploiement du conseil aux agriculteurs sur les AAC les plus sensibles à la pollution par les produits phytosanitaires.
La mission note par ailleurs que collectivités PRPDE (Personnes responsables de la production et distribution de l'eau) se dotent progressivement de moyens d’animation afin d’aller au-devant des acteurs agricoles pour protéger les aires de captage. Toutefois, compte tenu des moyens humains et de l’expertise à mobiliser, seules les PRPDE de grande taille et bien structurées sont en mesure de prendre directement en charge tout ou partie de cette animation agricole. L’exemple d’Eau de Paris qui mène une stratégie de protection efficace sur de grandes AAC en contexte céréalier (PSE sur 17.305ha via 155 exploitations), montre que le poids politique et financier de la PRPDE ainsi que sa détermination dans la durée, sont une condition nécessaire pour obtenir des résultats.
Investir dans les techniques alternatives
La mission loue la pertinence des Plans de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE) inscrits dans le plan stratégique national (PSN) de la Pac 2023-2027, à l’initiative des conseils régionaux. Les équipements les plus fréquemment subventionnés sont du matériel de désherbage alternatif et de travail du sol qui permet de supprimer ou de réduire l’usage et l’impact des produits phytosanitaires. Le taux d’aide des agences de l’eau varie entre 32,5 et 60 %. En complément, une aide aux agriculteurs qui s’engagent à pratiquer le désherbage mécanique serait à envisager, comme le fait Eau 17, afin de faciliter l’intervention de prestataires. De manière plus générale, le déploiement des alternatives non chimiques devrait être soutenu dans les AAC, préconise la mission : variétés tolérantes et résistantes, produits de biocontrôle, lutte biologique, méthodes agronomiques, méthodes physiques, plantes attractives et répulsives, mosaïque paysagère, etc. « Les investissements pour réduire les transferts de polluants vers le milieu restent minoritaires en proportion des autres dispositifs préventifs », regrette la mission. Dans le cadre du PSN 2023-2027, seulement sept régions ont ouvert la possibilité de soutenir des investissements de plantation et entretien de haies, la mise en place de systèmes agroforestiers intra-parcellaires, le boisement de terres agricoles, ainsi que les travaux concernant les zones tampons épuratoires. Les agences de l’eau participent au cofinancement de ces programmes en complément du fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), mais certaines d’entre elles peuvent également soutenir directement ces investissements non productifs dans des régions qui n’ont pas ouvert cette mesure dans le cadre du PSN.
Maîtriser le foncier pour une protection pérenne des captages
La mission s’est penchée sur différents leviers fonciers de nature à mettre en place d’une gestion agroécologique pérenne de surfaces agricoles, à commencer par l’acquisition de foncier par les PRPDE, qui bénéficient d’un droit de préemption primant sur celui des exploitants et des Safer, en attendant un éventuel droit d’expropriation, une proposition parlementaire qui « pourrait utilement être suivie pour délimiter des périmètres de protection de taille suffisante pour éviter les pollutions diffuses ». Selon la FNSafer, 120 opérations portant sur 800 ha ont été réalisées en 2021 dans les aires d’alimentation de captage.
Les acquisitions foncières peuvent aussi être effectuées par des sociétés foncières solidaires comme Terres de Liens et Fermes en Vie qui ont acquis plus de 10.000 hectares mis en location par un bail environnemental de très longue durée répondant au cahier des charges de l’agriculture biologique. Outre le bail rural à clauses environnementales, s’appuyant sur une liste de 16 pratiques culturales vertueuses, et qui mériterait « une incitation fiscale pour les propriétaires privés », la mission pointe également l’outil juridique des obligations réelles environnementales (ORE) qui permet à un propriétaire de mettre en place une protection environnementale attachée à son bien au moyen d’un contrat librement signé avec une collectivité pour une durée pouvant aller jusqu’à 99 ans. Les mesures sont attachées au bien et s’imposent aux propriétaires et détenteurs de droits successifs pendant toute la durée de l’ORE.
Une assurance « zéro phyto » ?
Citant le cas de l’Italie, qui a mis en place un fonds abondé par les agriculteurs (à raison de 3 à 5€/ha/an) destiné à compenser les pertes induites par la réduction d’usage des produits phytos, les missionnés estiment que des mécanismes assuranciels complémentaires privés pourraient couvrir le risque associé à une agriculture « zéro phyto ». En France, la Banque des territoires a lancé début 2024 une étude sur le modèle économique et les conditions de mise en place d’un fonds de compensation pour sécuriser la transition vers une agriculture plus économe en produits phytosanitaires. « Cette initiative intéressante peut venir utilement compléter les mesures préventives existantes, a priori avec un bon rapport coût/efficacité ».
A défaut, couper le robinet… des produits phytosanitaires
Comme on peut le constater, les mesures de prévention de pollution des aires d’alimentation de captage sont légion. Pour autant, la mission n’exclut pas d’autre leviers plus radicaux. « Le retrait de substances du marché et les restrictions d’usage des produits sont un levier efficace », lit-on dans le rapport qui évoque sans plus de fard une fiscalité sur l’utilisation des produits phytos « pas suffisante pour réduire les usages » ou encore le levier du contrôle des utilisations, à « mieux mobiliser ». A suivre.