- Accueil
- [Rétro 2024] En novembre, des pesticides au robinet de 10 millions de Français
[Rétro 2024] En novembre, des pesticides au robinet de 10 millions de Français
C’est le constat établi dans un rapport interministériel, invitant à couper le robinet aux phytos, à défaut de protéger les aires d’alimentation de captages. Celles-ci font justement l’objet d’une attention particulière dans la Stratégie Ecophyto 2030, dévoilée quelques mois plus tôt, après la « pause » décrétée en pleine crise hivernale.
En 2022, 10,2 millions de Français ont été alimentés au moins une fois par une eau non conforme aux exigences réglementaires vis-à-vis des pesticides et de leurs métabolites, dont certains comme l’atrazine retirés sur marché depuis des décennies : tel est le constat dressé dans un rapport interministériel (Agriculture, Santé, Transition écologique) publié à la mi-novembre et consacré à la problématique de la contamination par des pesticides des eaux destinées à la consommation humaine. Le constat est grave pour ne pas dire alarmiste. « La préservation de la qualité des ressources en eau est en échec pour ce qui concerne les pesticides (…) La politique de protection des captages est à refonder (…) Les leviers « régaliens » sont insuffisamment utilisés pour réduire les usages des produits phytosanitaires (…) Sans mesures préventives ambitieuses et ciblées, la reconquête de la qualité des eaux est illusoire ».
Un phénomène qui s’amplifie
Entre 1980-2019, 12.500 captages d’eau potable, sur les 50.000 existants, ont été fermés en raison de la dégradation de la qualité de la ressource en eau, due, dans 41 % des cas, à des teneurs excessives en nitrates et pesticides. La 4ème génération de SDAGE (2022- 2027) voit le nombre de captages dit « prioritaires », autrement dit très problématiques, augmenter de 24% par rapport à la précédente. Si, initialement, la pollution de l’eau était principalement liée à des pollutions ponctuelles, les pollutions diffuses constituent désormais le principal motif de fermeture. « Si les effets sanitaires de la présence des pesticides et des métabolites dans les eaux destinées à la consommation humaine sur la santé humaine demeurent mal quantifiés, il est évident que leur absence est un gage de protection des consommateurs, lit-on dans le rapport. L’objectif de reconquête de la qualité des eaux est donc, plus que jamais, à l’ordre du jour. Cela impose de réduire au maximum la concentration dans les eaux brutes des molécules qui restent autorisées ».
Des pis-aller dans un entonnoir
Si l’eau non conforme coule malgré tout au robinet, c’est parce que les niveaux de pollution outrepassent les capacités des coûteux dispositifs de traitement : le surcoût du charbon actif est estimé entre 0,2 et 0,3€/m3 et celui de la nanofiltration entre 0,5 et 1,2€/m3 en fonction des volumes en jeu. Mais c’est aussi au prix de lourdes procédures dérogatoires, engageant la responsabilité des préfets, des autorités sanitaires et des entités responsables de la production et de la distribution de l'eau, que la directive européenne (UE) n°2020/2184, traduite en droit français en 2022, restreint de plus en plus. Le changement climatique, par les tensions qu’il exerce sur la ressource, réduit quant à lui le champ des gisements alternatifs et/ou des pratiques de dilution.
L’exemple du PSE d’Eau de Paris
Reste le changement de pratiques. Las. Selon une étude de l’INRAE citée dans le rapport, seulement une douzaine d’aires d’alimentation de captage auraient été restaurées en 25 ans sous l’effet du changement de pratiques agricoles. Le rapport s’attarde sur une réussite, celle d’Eau de Paris, première entreprise publique d’eau française, qui produit chaque jour 500.000 m3 d’eau pour le compte de 3 millions d’usagers. En 2020, L’établissement public lance un dispositif de protection de la ressource en amont, impliquant 115 exploitations et 17.305 ha, soit 20% de la surface cumulée des quatre aires d’alimentation de captages. Résultats : la quantité de pesticides utilisée a été réduite de 77% en 2023, équivalant à 55 tonnes de substances actives, tandis que les concentrations maximales annuelles de pesticides ont baissé de 50% dans certaines aires, notamment celles où l’agriculture biologique est la plus présente, le taux moyen d’AB étant de 58% au sein du PSE. A quel prix ? En intégrant l’ensemble des coûts et après déduction des aides de l’agence de l’eau, le coût net de la protection des ressources en eau est de l’ordre de 4 centimes d’euro au m3 d’eau vendu par Eau de Paris, bien moindre que coûts de traitement précités.
Du préventif plutôt que du curatif….
A l’image du PSE Eau de Paris, le rapport prône la massification de pratiques culturales à bas niveau d’intrants, via le renforcement des différents dispositifs de la Pac tels que les MAEC et le soutien l’agriculture biologique. Les rapporteurs déplorent que le montant de l’écorégime spécifique à l’AB soit inférieur à celui de l’ex-aide au maintien. Des évolutions qui pourraient prendre forme dans la révision du PSN à l’agenda de cette année 2025. Le rapport passe par ailleurs en revue différents leviers fonciers de nature à garantir une gestion agroécologique des aires de captage (acquisitions foncières, bail à obligations réelles environnementales…). Il cite enfin l’exemple de l’Italie qui a mis en place sur une assurance « zéro phyto » destinée à compenser les pertes induites par la réduction d’usage des pesticides.
… sinon du coercitif
S’il existe donc différents leviers pour prévenir la pollution des aires d’alimentation de captage, le rapport n’exclut le recours à des mesures plus radicales. « Le retrait de substances du marché et les restrictions d’usage des produits sont un levier efficace (…) La fiscalité sur l’utilisation des produits phytopharmaceutiques n’est pas suffisante pour réduire les usages (…) Les contrôles de l’utilisation des produits phytosanitaires sont un levier à mieux mobiliser » lit-on dans le rapport, qui rappelle que les préfets ont la main sur différents instruments réglementaires tels que les Déclarations d’utilité publique (DUP) et les Zones soumises à contrainte environnementale (ZSCE) pour restreindre l’usage des produits, au-delà du cadre réglementaire national et européen.
Conformément au Plan eau, dévoilé en mars 2023, la Stratégie Ecophyto 2030, dévoilée en mai 2024, a instauré la notion d’aires d’alimentation de captage « sensibles et prioritaires ». Au sein de ces zones, en cas de dépassement des exigences de qualité fixées pour les eaux destinées à la consommation humaine par un pesticide toujours utilisé, des mesures de gestion permettant de juguler le risque peuvent mises en place automatiquement par le préfet, en complément des mesures du plan de gestion de la sécurité sanitaire des eaux de la collectivité. Attendu pour la fin de l’année 2024, l’arrêté définissant les zones en question n’a pas encore été publié. Comme un prolongement de la « pause » du Plan Ecophyto décrétée en pleine crise hivernale.
Les 12 temps forts de 2024, année sacrificielle : En janvier, les paysans sur le bitume, le Premier ministre sur la paille En février, au Salon de l’agriculture, le soulèvement de terriens En mars, on plante des haies et en octobre, on plante le Pacte En avril, la France gagne une bataille contre l’Influenza aviaire En mai, la loi d’orientation agricole adoptée… pendant 12 jours En juin, la bio atteint son plafond de vert En juillet, la pire moisson depuis 40 ans En août, les maladies vectorielles cernent la France ruminante En septembre, le loup perd une canine En octobre, rien de « vin » plus En novembre, des pesticides au robinet de 10 millions de Français |