La loi d’orientation agricole, entre bifurcation et renonciation

[Edito] La crise agricole a fait bifurquer le projet de loi d’orientation vers la très conceptuelle souveraineté ou, à l’inverse, les très pragmatiques conditions d’exercice du métier, édulcorant le plat et le plan de résistance à l’agrandissement.

« Plus de 14.000 fermes ont disparu sur nos territoires depuis le lancement officiel du processus de Pacte et de loi d’orientation et d’avenir agricoles par Emmanuel Macron il y a 18 mois, en septembre 2022 » : tel est le funeste décompte établi par la Fadear, le réseau spécialisé dans l’accompagnement des NIMA, les Non issus du milieu agricole, sur les épaules desquelles repose en partie le salut de notre agriculture. Parmi les nombreuses réactions à la présentation de ce qui est pour finir le « projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture », celle de la Fadear et consorts (Civam, Fnab, Reneta, Terre de liens...) n’est pas la moins frappée du bon sens paysan. Les fermes ferment et nous regardons ailleurs, pour paraphraser un de nos illustres. Et le précipice démographique se rapproche.

Des indicateurs de souveraineté mais pas du renouvellement

Il faut dire que la crise agricole, dont l’exécutif désespère la sortie, a déplacé la focale sur la fin de mois des agriculteurs au détriment de la fin du monde agricole, tandis que la guerre en Ukraine, succédant à la crise du Covid, a mis en exergue nos vulnérabilités et interrogé notre souveraineté. Le court-termisme l’a emporté et a érigé cette sacro-sainte souveraineté en épouvantail (au champ) et en tarte à la crème (à l’assiette), et jusqu’à l’article 1er du projet de loi. Résultat : en l’état du projet, la future loi d’orientation nous gratifiera chaque année de moult pourcentages d’auto-approvisionnement (y compris en engrais et en soja) mais pas du moindre ratio entre entrants et sortants dans la profession.

Une « mère des batailles » qui fait « pschitt »

On ne va pas se mentir : ni la quantité ni la qualité de notre alimentation ne sont indexées sur le nombre de paysans, même si la course à la compétitivité fait courir un risque de nivellement par le bas des exigences sanitaires et environnementales. La déprise ne nous guette pas encore. Et puis, combien y aurait-il fallu de Jupiter pour arrêter l’antédiluvien rétrécissement de la population agricole et ses corollaires : la concentration et la spécialisation ? Emmanuel Macron avait pris le taureau par les cornes dès le début de son premier mandat en s’attaquant à la rémunération, « la mère des batailles », une arme à double détente, anti-agrandissement et pro-attractivité. Un septennat et une course à l’échalote et à Egalim plus tard, ça fait « pschitt », pour emprunter une autre paraphrase du même illustre.

Un échec collectif, des fautes politiques

Rabroué au Salon de l’agriculture, le président s’est pris les pieds dans le tapis des prix planchers que, comble de l’ironie, les Verts ont fait adopter hier soir à l’Assemblée nationale... contre le parti présidentiel. Cependant, l’échec n’est pas tant dans la difficulté à revaloriser les prix payés aux agriculteurs qu’à rehausser la valeur de l’alimentation dans l’esprit et in fine dans l’assiette de nos compatriotes. Un levier autrement plus massif et gratifiant pour les producteurs, mais qui reste à l’état d’incantation, comme en témoigne le plafond de verre de la bio. Un échec collectif mais où l’impulsion politique fait défaut, si l’on songe à la renonciation au chèque alimentaire, à la passivité assumée de l’Etat face à l’irrespect des taux de produits durables et de qualité (50%) et bio (20%) dans la restauration collective ou encore au retard à l’allumage de la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat et de l’étiquetage nutritionnel et durable des aliments.